Dumping douanier d’un pays à l’autre

Mettre en concurrence des administrations européennes par Mathieu Lapprand

Le temps de passage en douane d’un produit contrôlé a été divisé par trois entre 2004 et 2012. Un container contrôlé était immobilisé en moyenne moins de cinq minutes en 2012.
La diminution du temps de contrôle est en effet, depuis plusieurs années, un objectif à tenir : réduire cette durée, c’est fluidifier le marché et inciter les entreprises à passer par les plates-formes logistiques françaises pour dédouaner leurs produits.

Le Projet stratégique des douanes (PSD) 2018 l’affirme dès son introduction : l’évolution du corps des douanes est nécessaire car le commerce mondial évolue et « depuis l’avènement du marché unique, les administrations douanières de l’Union européenne (UE) se trouvent en situation de concurrence accrue, les opérateurs ayant la faculté de dédouaner leurs marchandises dans l’État membre de leur choix ».

Aujourd’hui, 80% à 90% des containers qui arrivent aux Pays-Bas, essentiellement à Rotterdam et à Amsterdam, sont destinés à un autre pays de l’Union européenne. « Cette situation concurrentielle est amplifiée par les politiques de contrôle différentes mises en œuvre par les différentes douanes de l’UE, lesquelles peuvent conduire à des “détournements” de flux importants, préjudiciables à l’activité des plates-formes logistiques françaises. » Les « politiques de contrôle différentes » évoquées dans ce PSD masquent pudiquement une quasi-absence de contrôle réel, selon de nombreux douaniers, des produits introduits dans l’Union par les Pays-Bas, par exemple.

Moins-disant douanier

Le même rapport estime que « la part des importations destinées au marché français, mais dédouanées hors de France, avoisine aujourd’hui les 20%. Dès lors, la “reconquête du dédouanement” est un réel enjeu économique, dans la mesure où le dédouanement et les circuits logistiques associés sont créateurs d’activité et d’emploi sur les plates-formes logistiques, d’une part, et de richesse fiscale, d’autre part, une partie des droits de douane collectés au titre des ressources propres de l’Union européenne étant reversée au budget national ». Le corps des douanes doit donc « reconquérir le dédouanement ». Mais pas au nom du contrôle, de la sécurité des approvisionnements, mais bien au nom des parts de marché du dédouanement. Or aujourd’hui, si la direction des douanes estime à 1% le taux de marchandises contrôlées, les douaniers évoquent plus volontiers actuellement un taux réel de 0,01%, soit cent fois moins.

Les entreprises pouvant librement choisir leur pays d’introduction, comment reconquérir le « marché du dédouanement » sans s’ali­gner par le bas sur les modalités de contrôle des pays les plus permissifs de l’Union européenne ? Le rapport ne le dit pas. En revanche, il pointe la contradiction évidente entre cette ambition de reconquête et la diminution des moyens et effectifs mis en œuvre. Il indique en effet qu’un « nouvel équilibre des implantations douanières doit être recherché, conciliant concentration du dédouanement et besoin de proximité »... Vaste programme qui ressemble fort à une injonction paradoxale, dont les agents des douanes sont les premières victimes mais dont les citoyens pâtiront inéluctablement. Comme le rappelle un douanier défilant le 20 mars : « Tant qu’on ne contrôle pas, on ne sait pas si l’on mange du bœuf ou du cheval. Et lorsque plus personne ne contrôle... »

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante

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