Niches fiscales et sociales

InFOéco n°9 du 15 septembre 2010 par Pascal Pavageau

Article publié dans l’action Dossier fiscalité

La priorité donnée par le gouvernement à la réduction des déficits publics le conduit à examiner toutes les possibilités de réduire les dépenses budgétaires à défaut de rechercher de nouvelles recettes. Fin août, le gouvernement a ainsi annoncé un plan de réduction des niches fiscales et sociales de 10 milliards d’euros. Les « niches fiscales » - ou dépenses fiscales - sont des mesures dérogatoires à la règle générale. Elles correspondent à des réductions d’impôt, à des crédits d’impôt ou à des exonérations, l’État souhaitant répondre favorablement au lobbying de certains groupes d’une part, et orienter, de l’autre, les comportements des particuliers et des entreprises en matière par exemple de consommation, d’investissement et/ou de créations d’emploi. On peut ainsi citer les crédits d’impôt en faveur de l’emploi de salariés à domicile, ou le crédit impôt recherche pour les entreprises.

Les principales niches fiscales (loi de finances 2010) représentent :
 Crédit impôt recherche : 5,8 milliards €
 TVA réduite sur les travaux de rénovation : 5,15 milliards €
 Prime pour l’emploi : 4,02 milliards €
 Crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile : 3,9 milliards €
 Exonérations et fiscalité réduite sur l’assurance vie : 3 milliards €
 TVA réduite dans la restauration : 3 milliards €

Les « niches sociales » sont les revenus plus ou moins directement liés à l’activité et qui, contrairement aux salaires, ne sont pas soumis à cotisation ou bien bénéficient d’exonérations de cotisations sociales (sur les bas salaires ou celles sur les heures supplémentaires, introduites par la loi TEPA d’août 2007). Elles grèvent le budget de la Sécurité sociale. Il en va ainsi de l’intéressement et de la participation, de l’épargne salariale ou des stock-options.

Un développement sans précédent des niches fiscales au cours des dernières années

Sur le plan fiscal, les dispositifs dérogatoires se sont multipliés en France et ont atteint une ampleur et une complexité extrêmement importantes. Le total des 468 dépenses fiscales atteint 74,8 milliards € en 2009. Les niches fiscales sur l’impôt sur le revenu (IR) sont les plus importantes : elles représentent un montant de 37,5 milliards d’euros, soit un peu plus de la moitié de l’ensemble des dépenses. Ce montant est en hausse de 14,7 % depuis 2007. Ce manque à gagner pour les recettes publiques doit être regardé en comparaison au produit net de l’impôt sur le revenu qui correspond à 49 milliards d’euros pour 2010. [1]

Par ailleurs, le recours massif à ces dispositifs peut permettre aux personnes ayant un fort revenu d’échapper totalement au paiement de l’impôt, mettant à mal l’équité fiscale. En combinant « niches » et bouclier fiscal, certains patrimoines supérieurs à 15,5 millions d’euros peuvent quasiment échapper à toute imposition. De fait, ce système vide l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) d’une partie de sa substance. Le système est si pervers qu’en cas d’augmentation d’impôts que justifie par exemple la conjoncture, les privilégiés sont à l’abri !

Selon un rapport récent de l’IGF (inspection générale des finances), la fiscalité des produits d’épargne génère un manque à gagner de 11,5 milliards d’euros pour le budget de l’État. Le rapport pointe notamment qu’à vouloir favoriser l’épargne en actions, un montant de 6 milliards d’euros d’incitations fiscales bénéficie essentiellement à la frange à la plus riche de la population.

En outre, le chiffrage officiel des niches fiscales est sujet à caution. La cour des comptes indiquait dans son rapport annuel publié en février 2010 que le réel montant des niches sociales et fiscales pourrait s’élever en fait à 140 milliards d’euros. Pour un bon nombre d’entre elles, le ministère de l’économie a cessé de les comptabiliser comme telles lorsqu’elles se sont pérennisées. En outre, l’une des niches les plus scandaleuses créées en 2007, l’exonération d’impôt sur les plus-values réalisées lors de la vente d’une filiale par une entreprise (la fameuse « niche Copé »), n’est pas comptabilisées alors qu’elle a privé le budget de l’État de près de 20 milliards d’euros en trois ans !

Une remise en cause du principe d’égalité devant l’impôt

Pour Force ouvrière, les niches fiscales remettent en cause le principe républicain d’égalité devant l’impôt posé par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui veut que la « contribution commune » soit « également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés », a fortiori lorsqu’elles existent sans justification véritable.

En 2009, 24 dispositifs propres à l’impôt sur le revenu ont été supprimés ou réduits pour une économie de 3,48 milliards d’euros, tandis que 31 ont été créés ou augmentés (dont six concernent également l’impôt sur les sociétés) pour un coût de 5,65 milliards d’euros, soit un solde de négatif de 2,17 milliards d’euros pour les ressources publiques.

L’idée d’un plafonnement global des niches fiscales, suggérée par un rapport parlementaire publié en juin 2008, a été vite abandonnée par le gouvernement. Les plafonnements votés dans le cadre du budget 2009 (fixés à 10 % du revenu imposable auquel s’ajoute 25 000 euros) étaient évalués en loi de finances à seulement 300 millions d’euros, ce qui en fait une fausse réponse à la perte de recettes générée par des exonérations devenues de généreuses primes fiscales à la fortune.

Dans les faits, selon les informations diffusées par le rapporteur du budget à l’assemblée nationale, en raison des conditions sur la mise en application du plafonnement (revenu du foyer, montant des avantages, objectifs poursuivis par les avantages), le nombre de foyers concernés est extrêmement réduit. Les projections de la direction de la législation fiscale, conduiraient à plafonner l’avantage fiscal de 731 contribuables à hauteur en moyenne de 28 337 euros, ce qui permet de chiffrer l’économie réalisée grâce à la mesure à 20,7 millions d’euros (résultat obtenu sur la base des déclarations de 2007), soit 15 fois moins que ce qui était attendu !

Les niches dont bénéficient les entreprises épargnées par les coupes budgétaires

Les principales niches seront certainement épargnées par le projet de loi de finances pour 2011 et le budget triennal 2011/2013, dont la présentation est attendue pour la fin du mois de septembre, notamment celles dont bénéficient les entreprises. Ainsi, le crédit impôt recherche, dont le coût est fortement monté en charge après la réforme de 2008, ne sera pas touché, alors que ses retombées en matière de recherche, de développement et d’emplois sont plus que discutables. Le dispositif permet surtout aux grandes entreprises d’effectuer de l’optimisation fiscale et de réduire fortement leur imposition effective. De même, l’exonération d’impôt sur les plus values de cession de filiales a permis aux entreprises du CAC 40 d’économiser plus de 20 milliards d’euros en quatre ans, sommes redistribuées aux actionnaires, au détriment de l’investissement productif, de la compétitivité, de l’emploi et des salaires.

La Cour des comptes a recommandé en juin au gouvernement de revoir la liste des dépenses fiscales et de « raboter » de manière uniforme et sans exception l’ensemble des niches pour aboutir à une réduction de ces dépenses de l’ordre de 10 milliards d’euros. La Cour des comptes plaidait également pour un relèvement du taux de la CRDS (proposition reprise par le rapporteur du PLFSS à l’Assemblée Nationale sur un relèvement de 0,4 point de la CRDS pour la porter à 0,9%), un allongement de la durée de vie de la dette sociale, et un gel temporaire de tout ou partie des rémunérations versées aux fonctionnaires.

Le gouvernement a suivi la Cour des comptes sur la prolongation de 4 ans de la durée de vie de la CADES et de la CRDS et le gel des rémunérations (valeur du point d’indice) dans la fonction publique. Il envisage également de mobiliser le fonds de réserve pour les retraites, le détournant ainsi de son objectif qui est d’assurer le financement de la retraite par répartition en 2020. Enfin, le gouvernement envisage de taxer les assureurs pour réduire la dette sociale, visant ainsi les placements d’assurance-vie et les mutuelles complémentaires-santé.

Début septembre, la Cour des comptes a publié des recommandations pour dégager 15 milliards d’économie sur les niches sociales. Si certaines mesures proposent des évolutions qui méritent d’être débattues, comme l’abaissement de 1,6 à 1,4 Smic du seuil pour les exonérations de cotisations patronales ou l’augmentation du forfait social (sur l’intéressement et l’épargne salariale), d’autres sont contestables et seront, si elles sont suivies par le gouvernement, combattues par Force ouvrière. C’est le cas de la proposition d’élargissement de l’assiette de la CSG aux titres restaurants et aux chèques vacances qui ne saurait être assimilée à une niche sociale. Une telle mesure serait une nouvelle attaque contre le pouvoir d’achat des salariés, qui n’ont concrètement pas constaté la baisse des tarifs dans la restauration à la suite de l’abaissement de la TVA, qui coûte pourtant en année pleine 3 milliards d’euros au budget de l’État.

Pour combler la dette sociale, la présidente du Medef déclarait le 1er septembre : « Pour réduire les dépenses, il faut continuer les réformes structurelles. Nous sommes au milieu du gué pour celle des retraites. Il faudra ensuite lancer très vite celle de l’assurancemaladie ». Tout un programme… gouvernemental ?

Enfin, à peine mises en place dans la foulée du Grenelle de l’environnement, les niches environnementales sont déjà en passe d’être fortement réduites, illustrant s’il en était encore besoin, combien la conversion écologique de ce gouvernement n’était qu’une opération de communication. Ainsi, le crédit d’impôt développement durable qui visait à inciter les ménages propriétaires à effectuer des travaux de rénovation dans leur logement va être réduit de 10% ; celui sur les installations photovoltaïques sera divisé par deux. Le gouvernement espère ainsi récupérer 600 à 800 millions d’euros. Considérée comme une niche fiscale, l’application du taux réduit de TVA à 5,5% sur les abonnements internet va être supprimée. C’est le taux normal de TVA à 19,6% qui s’appliquera à partir du 1er janvier. Cette mesure va directement impacter les ménages (alors que les plus précaires n’arrivent déjà pas à accéder à internet).

Le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt, créé en 2007 semble lui aussi menacé. 970 000 foyers fiscaux en ont bénéficié en 2009, après 376 000 foyers en 2008, soit 594 000 foyers supplémentaires. Le coût en 2009 était de 1,088 milliard d’euros, soit un montant moyen de crédit d’impôt de 1 122 euros.

Pour FO, la réduction des niches doit s’inscrire dans le cadre d’une grande réforme fiscale :

Pour Force ouvrière, la multiplication des niches fiscales, c’est-à-dire de mesures dérogatoires, favorisant les intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général a trop souvent tenu lieu de politique depuis 2002. Ainsi, le crédit impôt recherche se substitue à une véritable politique publique en faveur de l’industrie et de la recherche, l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires en lieu et place d’une véritable politique publique de l’emploi ; les multiples crédits d’impôt en faveur du logement locatif au détriment d’une politique publique du logement digne de ce nom, les mesures fiscales issues du Grenelle de l’environnement plutôt qu’une grande politique publique de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique.

La complexité de ce millefeuille fiscal l’a rendu extrêmement indigeste année après année. Surtout, la pérennisation des niches a fait perdre de vue leur objectif au fil du temps. Une évaluation sérieuse et transparente des niches fiscales est plus que jamais indispensable au regard de leur justification économique et sociale, qui apparait de moins en moins avérée.

La multiplication des niches a également participé au mitage de l’impôt sur le revenu, attaqué par tous les bouts par les différents gouvernements depuis 2000 : réduction des taux d’imposition, réduction du nombre de tranches, montée en charge de la PPE (prime pour l’emploi), bouclier fiscal, exonérations multiples et variées. La perte de recettes fiscales est conséquente. Le montant des niches dépasse le rendement net de cet impôt qui couvre à peine les intérêts de la dette, versée par l’État aux marchés financiers. En réduisant l’impôt des plus riches, les gouvernements ont permis aux couches les plus favorisées d’acheter des titres de la dette publique, porteurs d’intérêts avec les sommes ainsi économisées.

Or, l’impôt sur le revenu progressif est le plus juste et le plus redistributif des outils fiscaux, c’est la raison pour laquelle il doit être réhabilité et remis au centre de la fiscalité dans le cadre d’une grande réforme fiscale, que Force ouvrière revendique avec détermination.

Achevé de rédiger le 13 septembre 2010

Pascal Pavageau Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

Notes

[1Les chiffres mentionnés ici sont issus du rapport d’information n°2692 de Gilles Carrez, sur l’application des mesures fiscales en loi de finances, Assemblée Nationale, 30 juin 2010 ; http://www.assembleenationale. fr/13/rap-info/i2692.asp