Avec le plan d’économie imposé par le président de la République et son gouvernement, et qui pourrait s’élever à 70 Mds entre 2014 et 2017 inclus [1], la notion de « dépense publique » est à nouveau stigmatisée comme la responsable de tous les maux : endettement public trop important, perte de compétitivité, procédures administratives et règlementaires trop lourdes pénalisant l’activité, etc.
Sans revenir sur l’aberration qui sert de prétexte à ces économies d’une ampleur inégalée (le respect lié au traité de rigueur TSCG et de la « norme » absurde et injustifiée de 0% de déficit public structurel d’ici 2017 [2]), attaquer la dépense publique constitue à la fois une erreur et une manipulation.
COMPARAISON N’EST PAS RAISON
Pour affoler et donner l’impression d’un « coût » exorbitant du secteur public, les pouvoirs publics présentent la dépense publique comme représentant 57% du PIB [3]. Le secteur privé ne représenterait que 43% du PIB ? Elémentaire ?
Comparer la dépense publique (1 151 Mds en 2012) au PIB (2 032 Mds en 2012) revient à donner un pourcentage… qui ne représente rien de significatif et qui n’a même aucun sens. On compare la somme des diverses dépenses publiques avec une grandeur économique familière, le PIB dont la définition prête encore à débat, dont elle n’est pas une partie. Si la même opération est menée avec la dépense privée (salaires, prestations privées, revenus sur la propriété, etc), alors celle-ci représente un peu plus de 200% du PIB. Et si l’on y rajoute la dépense privée des ménages, on obtient un total de 265% du PIB. Cela fait encore plus peur, et c’est tout aussi absurde. Ni la dépense publique, ni la dépense privée ne constituent des parts du PIB. Leur comparaison n’a pas de signification.
Comparer le montant de la dépense publique au PIB sur une année n’a qu’un objectif : tenter de justifier artificiellement les politiques d’austérité budgétaire. De surcroit, si le dénominateur (Produit Intérieur Brut) et le numérateur (dépense publique) n’ont rien à voir, il n’est pas non plus précisé ce que recouvre réellement ce dernier.
DÉPENSES PUBLIQUE ET SOCIALE
Comme nous l’avons régulièrement rappelé ces dernières années, la dépense publique est la somme de quatre grands types de dépenses :
– celles de fonctionnement des administrations (392 Mds, soit un tiers des dépenses). A noter que la « masse salariale » ne représente que 23 % de la dépense publique ;
– des sommes prélevées mais pour être immédiatement reversées aux ménages ou aux entreprises : 643 Mds, soit 56 % de la dépense publique. Il s’agit principalement des prestations sociales (525 Mds, soit à elles seules la moitié de la dépense publique), mais aussi toutes sortes de subventions et de transferts (115 Mds) aux ménages, aux entreprises ou bien encore aux institutions internationales ;
– l’investissement public : 64 Mds soit 5,6% de la dépense (commande publique de l’État et des collectivités, BPI, Programme d’investissement d’avenir, etc) ;
– les intérêts de la dette publique (52 Mds soit 4,5 % de la dépense).
A noter que, là encore, comparaison n’est pas raison : lorsque les chantres du libéralisme ou les « sociaux-libéraux » s’amusent à comparer le montant de la dépense publique française avec celle d’autres pays, ils omettent sciemment de dire que ces chiffres ne regroupent pas la même chose : l’une des spécificités françaises est, par exemple, d’intégrer les prestations sociales dans cette dépense, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux pays. De même, une partie des investissements publics ne sont pas toujours repris dans la dépense publique dans certains États (le cas le plus spécifique fut celui du coût de la réunification allemande qui ne fut pas comptabilisé comme tel). Ainsi, la dépense publique ne sert pas « à payer des fonctionnaires ». Sans compter que la baisse du nombre de postes (suppressions d’effectifs depuis 2007) et la modération salariale imposée (gel de la valeur du point d’indice notamment) font que la part de la masse salariale dans la dépense publique ne cesse de baisser. Ensuite, les prestations et les transferts sont immédiatement reversés aux ménages et aux particuliers mais aussi aux entreprises, ce qui soutient évidemment la dépense privée et l’activité économique.
16% DU PIB, SEULEMENT !
Avec l’impôt sur le revenu [4], les dépenses publiques et sociales sont les principaux moyens de lutter et de réduire les inégalités [5] (entre les personnes, entre les rémunérations, entre les zones géographiques, etc). Mais, par ailleurs, les fonctionnaires, les agents publics, les personnels des services sociaux contribuent au PIB. Leur valeur ajoutée s’élève à environ 333 Mds, ce qui représente tout de même un tiers de celle des salariés des entreprises et sociétés privés, le reste de la valeur ajoutée étant principalement apportée par les ménages (du moins tant qu’ils peuvent consommer…). Ainsi, la part de l’action publique dans le PIB (là, cela est cohérent de comparer) s’élève alors à 16% du PIB. Ce qui est alors bien faible et qui ne fait que baisser depuis que les politiques de rigueur budgétaire…
DÉPENSE PUBLIQUE : UNE RICHESSE PLUS QU’UN COÛT
Un exemple récent illustre parfaitement le rôle essentiel de la dépense publique en faveur de l’activité et de l’emploi privées, ce que l’on pourrait qualifier de : « schizophrénie medefienne ». Quand, d’un coté, le président du Medef explique qu’il faut faire beaucoup plus d’économies budgétaires et réduire encore plus la dépense publique (naturellement afin de pouvoir financer plus de « baisses de charges » fiscales et sociales que les 30 Mds déjà décidés), les fédérations patronales professionnelles s’alarment de ces coupes budgétaires sans précédent.
Les grands groupes [6] des secteurs de la défense français viennent d’adresser une lettre au président de la République contre les « conséquences dramatiques » des réductions dans le budget du ministère de la défense et s’alarment d’éventuelles coupes supplémentaires d’ici 2017. Alors que les licenciements, le décrochage technologique, et la perte de souveraineté [7] existent ou menacent déjà dans la filière, une nouvelle baisse de la dépense publique dans celle-ci serait synonyme de désindustrialisation et de destructions d’emplois massives. Comme dans d’autres filières, les conséquences sur l’emploi seraient également dramatiques pour les entreprises sous-traitantes de ces grands donneurs d’ordre.
Autre cas similaire, les représentants patronaux des filières nucléaires, pharmaceutiques et industries de l’environnement ont fait part au sein des travaux du Conseil national de l’industrie de leurs inquiétudes sur l’activité, sur l’emploi et même « la compétitivité » des secteurs concernés si les réductions budgétaires de l’État, des collectivités et de la Sécurité sociale venaient à s’appliquer.
Plus anecdotique, les entreprises spécialisées et la Fédération des ascenseurs dénoncent actuellement les retards survenus dans la mise en sécurité des ascenseurs : il reste 85 000 appareils à mettre en conformité, soit 15% du parc français. Déjà, en 2011, le « Livre noir de la RGPP » de Force Ouvrière regorgeait d’exemples où la réduction de la dépense publique (directe par commande publique ou indirecte par subvention) conduisait à des absences de mises en sécurité d’ouvrages publics (passage à niveau par exemple) ou à des absences de contrôles (risques sanitaires, risques technologiques, risques environnementaux).
De façon plus précise encore, la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) a évalué en mai 2014 que la baisse de la commande publique de l’État et des collectivités territoriales [8], reviendrait à une suppression d’emplois comprise entre 37 000 et 58 600 entre 2014 et 2017. Les annonces récentes de fusions des régions, de suppression des Conseils généraux et de 11 Mds d’économies budgétaires conduisent de nombreuses collectivités à geler leurs investissements, déjà réduits depuis 2011 du fait des baisses des dotations de l’État.
Bien entendu, la production du secteur public est principalement non marchande. On ne paye pas pour marcher sur un trottoir éclairé la nuit, pour rentrer faire une démarche dans un commissariat ou une sous-préfecture. Le financement du service public relève du rôle de l’impôt, d’où l’importance qu’il soit progressif (participer selon ses moyens, bénéficier selon ses besoins) et redistributif. Ce qui, pour nous, signifie qu’un fonctionnaire contribue au PIB et que chaque usager en bénéficie, de façon égalitaire.