Projet de Traité transatlantique UE - Etats-Unis

InFOeco n°83 du 19 mai 2014 par Pascal Pavageau

Article publié dans l’action Dossier Traités de libre-échange commerciaux

Le débat relatif au « partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement » (PTCI), plus connu sous son acronyme en anglais TTIP, prend de l’ampleur alors que les négociations se poursuivent dans la plus grande discrétion.

Depuis l’été 2013, quatre cycles de négociations ont déjà eu lieu. Le cinquième se tient à Arlington en Virginie à partir du 19 mai.

En juin 2013, les États membres de l’UE ont confié un mandat au commissaire en charge du commerce, Karel de Gucht, pour mener ces négociations au nom de l’UE. Rappelons que la politique commerciale est désormais une compétence exclusive de l’Union (article 3 du Traité de Lisbonne).

Quatre rounds de négociations plus tard : c’est l’opacité la plus totale ! Même les parlementaires européens ignorent le détail des échanges. Le mandat de négociation qui a été confié par les pays membres à la Commission européenne n’a pas été rendu public, mais des fuites ont permis néanmoins au projet de texte de circuler.

1. Que contient ce projet de TTIP ?

A ce stade, le projet de partenariat envisage :

  • (i) la suppression de droits de douane. Selon Force Ouvrière, c’est là un point très important car si les barrières tarifaires qui subsistent entre l’UE et les États-Unis sont certes limitées, la « dernière protection » qu’elles offrent pourraient sauter ;
  • (ii) l’harmonisation des normes réglementaires, c’est-à-dire les « barrières non tarifaires », qui sont très nombreuses, et la réciprocité en matière d’accès aux marchés publics (qui sont largement ouverts en Europe mais pas aux États-Unis).
  • (iii) la mise en place d’une procédure de règlement des différends, afin de protéger les investisseurs.

Pour Force Ouvrière, les inquiétudes concernant ce projet de TTIP sont fortes.

En effet, l’harmonisation des normes règlementaires risque de se faire « par le bas ». C’est le partenaire qui a les règlementations les plus protectrices qui risque de perdre le plus, en l’occurrence l’Union européenne et pas les États-Unis.

L’Union européenne pourrait être contrainte de réviser sa législation et de laisser entrer des produits ne respectant pas les actuelles normes européennes (bœuf aux hormones ou de la volaille nettoyée au chlore par exemple).

En fait, la suppression des barrières existantes serait organisée selon une concertation visant à fixer des normes à venir (plus souples… et in fine quasi inexistantes) visant à les rendre compatibles entre elles.

Les règles sur les appellations d’origine protégées sont également un enjeu de la négociation. Ces indications géographiques n’existent pas aux États-Unis. La filière agro-alimentaire (européenne et française) serait particulièrement fragilisée.
C’est aussi sur les produits agricoles que les droits de douane encore en vigueur sont les plus élevés. A cet égard, la fédération européenne EFFAT considère que l’agriculture devrait être exclue des négociations.

Pour Force Ouvrière, c’est bien la déréglementation qui est au cœur de cette négociation, pas le libre-échange. Et les États-Unis ont moins de protections que l’Europe dans de nombreux domaines : normes et droits sociaux, normes environnementales, normes sanitaires, normes de productions, normes alimentaires, etc. Tous ces domaines pourraient être touchés et leurs cadres de droits et de protections (des salariés, des consommateurs, des usagers, des citoyens) réduits.

Les États-Unis n’ont pas ratifié les principales conventions de l’OIT. L’harmonisation souhaitée ne va pas accroitre les normes sociales aux États-Unis mais risque de les réduire en Europe.

2. Une procédure dangereuse pour les droits et les normes des États :

De plus, l’accord prévoit, comme tout accord de ce type, un volet consacré à la « protection des investisseurs » avec la mise en place d’une procédure de règlement des différends protectrice pour les entreprises. Les multinationales seraient les grandes gagnantes d’un accord.

Ce mécanisme serait particulièrement dangereux car il permettrait à des investisseurs privés de contester la légitimité de telle ou telle législation nationale s’il estime que celle-ci entrave ses actions/projets d’investissements.

Les domaines sociaux et environnementaux seraient particulièrement affaiblis. Les droits nationaux en la matière également.

Pour l’instant, l’UE est également engagée dans des négociations d’un accord du même type avec la Canada, dont le processus est beaucoup plus avancé (voir encadré ci-dessous) et qui prévoit aussi un mécanisme identique.

L’accord UE – Canada : une sorte de pré TTIP

José Manuel Barroso, actuel président de la Commission européenne et Stephen Harper, Premier ministre du Canada, ont annoncé le 18 octobre 2013 la conclusion de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. L’accord prévoit notamment :

  • La suppression de la quasi-totalité des droits de douane entre les deux parties
  • Un meilleur accès aux marchés de part et d’autres dans le commerce des services, en particulier les services financiers, les télécommunications, l’énergie et les transports
  • L’ouverture des marchés publics canadiens (à tous les niveaux de gouvernement) aux fournisseurs européens. L’UE ne limite pas l’accès à ses marchés publics.
  • L’exclusion de l’accord du domaine de la culture.
  • L’agriculture est l’un des domaines les plus sensibles. De part et d’autre, l’accès aux marchés sera élargi sous la forme de contingents tarifaires. Cela signifie concrètement que davantage de bœuf et de porc canadien pourra d’un côté être exporté vers l’UE. De l’autre, davantage de fromages européens pourront entrer au Canada. Pour d’autres produits agricoles, notamment les vins et spiritueux, les droits de douane sont éliminés, ce qui devrait accroitre les exportations européennes. En janvier 2014, la ministre française chargée du commerce extérieur avait fait part de sa « préoccupation » concernant l’impact de l’accord sur la filière viande !

Concernant la protection des investisseurs, l’accord prévoit un mécanisme de règlement des différends entre État et investisseurs, c’est-à-dire le même type de « tribunal d’arbitrage » qui est contesté dans le cadre du TTIP. Ce mécanisme doit être utilisé en dernier ressort si les parties ne parviennent pas à résoudre les désaccords relatifs à l’interprétation et à la mise en œuvre des dispositions de l’accord. Dans ces conditions, les parties peuvent demander la mise en place d’une instance d’arbitrage composée d’experts juridiques indépendants. Sur son site, la Commission européenne indique que « les dispositions en matière de protection de l’investissement préservent totalement le droit des parties de réglementer et de mettre en œuvre les objectifs de leur politique publique. ». L’instauration d’un tel mécanisme pourrait néanmoins conduire les entreprises privées à porter plainte abusivement contre les États.

La protection des droits de propriété intellectuelle et notamment les indications géographiques est une autre question sensible de l’accord. Si certains produits entrant sur le marché canadien seront préservés, la protection des indications géographiques ne va pas de soi pour beaucoup d’autres produits.

En 2011, le Parlement européen se voulait vigilant sur plusieurs points, notamment le respect de l’accord par les provinces canadiennes ou encore la possibilité pour l’UE de ne pas être limitée dans sa volonté de légiférer sur les OGM ou les ressources naturelles. Pourtant, en 2013, le PE votait une recommandation demandant la conclusion de l’accord « dans les plus brefs délais » !

En pratique, l’accord n’est pas définitivement conclu. Le communiqué de presse du conseil de l’UE du 8 mai 2014 consacré aux questions commerciales confirme que certaines questions, notamment « des aspects techniques » sont encore en suspend. La ratification (qui se fera au niveau européen selon la procédure législative ordinaire, soit une adoption conjointe par le Conseil des ministres de l’UE et le Parlement européen) d’un éventuel accord n’est pas encore à l’ordre du jour mais est posée.

Or, il serait difficile d’envisager qu’un tel mécanisme soit présent dans un accord avec le Canada et absent dans un accord avec les États-Unis. La ratification de l’accord EU-Canada pourrait entrainer la ratification du TTIP.

Concrètement, dans le cadre de l’ALENA, la zone de libre-échange de l’Atlantique nord, le groupe américain Lone Pine s’est servi de ce mécanisme pour réclamer au Québec 180 millions d’euros de dédommagement pour le préjudice causé selon lui par l’instauration d’un moratoire sur la fracturation hydraulique. L’affaire n’a pas encore été examinée.

La presse financière (notamment un article du Financial Times du 11 mars) s’inquiète aussi de ce mécanisme.

Le gouvernement français a également pris position contre ce mécanisme. Le sujet n’a pas été abordé lors du cycle de négociations de mars, la Commission européenne ayant décidé une consultation publique d’ici juin (à laquelle la CES a prévu de répondre).

A noter également, la position de l’économiste Paul Krugman dans le New York Times le 28 février 2014. Pourtant très favorable au libre-échange, il indique qu’il serait soulagé si cette négociation venait à échouer. L’argument : les droits de propriété intellectuelle que les multinationales pourraient faire valoir et qui leur garantissent des rentes de monopole (brevets pharmaceutiques par exemple).

3. Réactions syndicales :

Le dernier comité exécutif de la CES de mars 2014 a longuement abordé ce projet de TTIP.

La CES a adopté une résolution en avril 2013 dans laquelle elle définit ses principales préoccupations, notamment en matière de droits du travail. Elle demande notamment l’exclusion des services publics des négociations et s’oppose à la clause de règlements des différends état-investisseurs.

En outre, la CES a déjà rencontré l’AFL-CIO à ce sujet. Les syndicalistes américains sont aussi inquiets du fait de leur expérience de l’ALENA et de ses conséquences depuis les années 90.

Dans une position écrite, la fédération européenne EFFAT demande à ce qu’un accord inclue une reconnaissance légalement contraignante des normes fondamentales du travail de l’OIT et des normes minimales européenne en matière de droits sociaux et du travail afin d’éviter tout dumping social. Et ajoute que « pour y parvenir, les négociateurs de l’UE devraient demander à ce que leurs homologues américains ratifient l’intégralité des normes fondamentales du travail de l’OIT ».

Pour Force Ouvrière, un accord de libre-échange n’a jamais fait progresser les normes sociales. Comme la résolution du Comité confédéral national de la cgt-Force Ouvrière des 3 et 4 avril 2014 l’indique, ce projet « contribue à une totale déréglementation pour le seul intérêt du capital et de la finance ». Nous refusons le mécanisme de règlement des différends État/investisseurs. Face à la montée de la contestation, la Commission, s’est résolue à ouvrir une consultation en ligne sur le volet « protection des investissements ». La CES demande le retrait du mécanisme de règlement des différends États/investisseurs.

La Commission a également mis en place un groupe consultatif sur le TTIP fin janvier (voir http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-79_fr.htm ). La CES y participe ainsi que IndustriALL. C’est seulement une fois l’accord trouvé, si cela se fait, probablement pas avant 2015, que son contenu sera soumis au débat, puis au vote du Parlement européen.

Nous ne manquerons pas de vous tenir informés régulièrement de l’évolution de ce dossier important.

Achevé de rédiger le 19 mai 2014

 Voir en ligne  : InFOeco n°83 du 19 mai 2014 [PDF]

Pascal Pavageau Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière