FO Hebdo : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans vos échanges avec les ouvriers chinois ?
Michaël Sztanke : Premièrement, les migrants qui arrivent aujourd’hui de la campagne pour trouver du travail en ville, soit 80% de la main-d’œuvre, ont entre 20 et 30 ans et à la différence de leurs parents, ils ne veulent pas repartir à la campagne. Ils veulent être des ouvriers citadins, vivre en ville avec des salaires corrects, pouvoir y élever leurs enfants, les éduquer. La deuxième nouveauté, c’est que ces jeunes ouvriers ne sont plus isolés comme l’étaient leurs parents. Il n’y a pas aujourd’hui un ouvrier chinois sans smartphone et pour eux c’est une ouverture sur la vie, la possibilité de s’informer, d’informer, d’être reliés les uns aux autres, à travers tout le pays. Il existe l’équivalent de Twitter, qui permet par exemple de lancer le message « dans mon usine aujourd’hui, grève », ou « dans mon usine aujourd’hui, accident du travail »... Du coup, les mouvements sociaux prennent une nouvelle ampleur, que le gouvernement ne peut pas contrôler. Troisièmement, cette nouvelle génération sait que c’est grâce à elle que le pays s’est développé. Quand de jeunes ouvriers de 23, 24, 25 ans me disent : « On produit du PIB, pourquoi on n’en voit pas la couleur ? », ou bien quand un autre, de 22 ans, me lance face caméra : « Ma fille ne comprend pas encore combien je travaille pour elle, mais je me battrai pour qu’elle ait une vie meilleure que la mienne », cela exprime une maturité extrême. Tout cela constitue un cocktail explosif. Il ne se passe pas une journée dans le sud de la Chine sans que n’éclate un conflit, sans une grève ouvrière.
FO Hebdo : Comment réagissent les employeurs chinois du secteur textile ?
Michaël Sztanke : Ils délocalisent à leur tour. Ils cherchent un coût du travail plus faible, des conditions managériales plus favorables, un gouvernement qui les appuie, avec bien sûr, comme chez eux, une présence syndicale faible, voire inexistante. Le Bangladesh a justement érigé en politique nationale l’ouverture de son économie aux capitaux étrangers. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, quand on va dans ses ministères et qu’on interroge les responsables politiques, il n’y a aucune langue de bois. Ils vous disent très clairement : « Bien sûr que les salaires sont bas, c’est la condition pour que les investisseurs restent chez nous. » C’est tout le cynisme de la mondialisation. Au Cambodge il existe des syndicats et c’est un problème pour les Chinois : quand ils sont confrontés à des grèves, la police ne débarque pas parce qu’il y a des syndicats. Maintenant, ils commencent à délocaliser en Birmanie, en Éthiopie... Mais pour l’instant, c’est encore le Bangladesh le moins cher.
FO Hebdo : Que pensez-vous de la Responsabilité sociale des entreprises ?
Michaël Sztanke : La RSE, c’est de la communication. Si vous allez sur le site de GAP, vous y trouverez plein de clauses sur le respect du droit du travail. Au Cambodge, il y a quatre ans, je suis tombé par hasard sur l’un de ses sous-traitants sud-coréens. J’ai filmé en caméra cachée. Le patron m’expliquait : « Je n’ai pas le choix. Si GAP ou un autre me passe une grosse commande, je dois respecter le délai. Et donc, si les ouvrières doivent bosser 70 heures par semaine, elles le font sans problème. Pour 50 dollars par mois (38 euros). » De retour en France, j’ai contacté GAP. Leur seule réponse a été : « Nous ne connaissons pas ce sous-traitant. »