Par deux arrêts rendus très récemment par la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 12 juin 2014, n°12-29063 et n°13-11448), un coup d’arrêt semble avoir été porté par les Hauts magistrats à la résiliation judiciaire du contrat de travail, ainsi qu’à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Au-delà du frein à ces deux dispositifs de rupture à l’initiative du salarié, les arrêts du 12 juin 2014 viennent chambouler le régime juridique de la modification du contrat de travail.
À titre de rappel, la résiliation judiciaire est un recours permettant au salarié de demander au conseil de prud’hommes de prononcer la rupture du contrat lorsque l’employeur n’exécute pas ses obligations contractuelles (article 1184 du code civil). Bien que le conseil de prud’hommes ait été saisi, le salarié continue à travailler pour l’entreprise et continue à percevoir le salaire correspondant à l’emploi occupé. Si le conseil de prud’hommes refuse de prononcer la résiliation du contrat de travail, alors celui-ci se poursuit. Le salarié ne peut pas être considéré comme démissionnaire (Cass. soc., 7 juillet 2010, n°09-42636), il reste maintenu dans son emploi. À l’inverse, si les juges prononcent la résiliation aux torts de l’employeur, celle-ci produit les mêmes effets qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 20 janvier 1998, n°95-43350). Il relève du pouvoir souverain [1] des juges du fond [2] d’apprécier si l’inexécution de certaines obligations résultant d’un contrat synallagmatique [3] présente une gravité suffisante pour en justifier la résiliation (Cass. soc., 15 mars 2005, n°03-41555).
Quant à la prise d’acte, pure création prétorienne, elle consiste, pour le salarié, à rompre son contrat de travail tout en imputant la responsabilité de cette rupture à l’employeur. À l’inverse de la résiliation judiciaire, cette action consomme immédiatement la rupture qui pourra produire les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les griefs du salarié sont fondés, soit d’une démission si les manquements reprochés à l’employeur sont infondés.
En l’espèce, dans la première affaire (n°12-29063), un salarié embauché en qualité de VRP s’est vu notifier par l’employeur une baisse de son taux de commissionnement. Le 25 mars 2009, le salarié dénonce une modification unilatérale du contrat de travail et saisit la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail. Le salarié est débouté de sa demande par la cour d’appel de Rennes. Il forme alors un pourvoi en cassation afin de faire valoir que la modification unilatérale par l’employeur du mode de rémunération du salarié justifie, à elle seule, le prononcé de la résiliation judiciaire. La Cour de cassation confirme l’arrêt rendu par les juges du fond au motif qu’ils ont constaté que « la créance de salaire résultant de la modification unilatérale du contrat de travail représentait une faible partie de la rémunération », et qu’ainsi « ce manquement de l’employeur n’empêchait pas la poursuite du contrat ».
Dans la seconde affaire (n°13-11448), un salarié embauché en qualité d’attaché commercial se voit soumettre pour signature un avenant modifiant, avec effet rétroactif, son mode de rémunération. Le salarié refuse. Le 15 février 2011, le salarié dénonce une modification unilatérale du contrat de travail et saisit la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail. Le salarié est débouté de sa demande par la cour d’appel de Chambéry au motif « que les manquements aux règles contractuelles de principe n’avaient pas été préjudiciables au salarié ». Ce dernier se pourvoit en cassation et rappelle à cette occasion la jurisprudence, jusque-là constante en la matière, selon laquelle « le mode de rémunération contractuel d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord, peu important que le nouveau mode soit plus avantageux ». La Cour de cassation rejette le pourvoi du salarié, les juges du fond ayant constaté que « la modification appliquée par l’employeur n’avait pas exercé d’influence défavorable sur le montant de la rémunération perçue par le salarié pendant plusieurs années », et qu’ainsi, cette modification unilatérale « n’était pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail ».
Bien qu’à chaud, il est déjà possible de tirer plusieurs enseignements de ces arrêts du 12 juin 2014. D’abord, la modification unilatérale du contrat ne justifie plus en soi la résiliation judiciaire. Les juges ne se contentent plus de constater son existence, mais examinent dorénavant les conséquences de la modification sur la poursuite du contrat de travail. Une rupture avec la jurisprudence antérieure est donc notable. Elle inquiète en ce qu’elle bouleverse quelque peu le régime juridique de la modification du contrat de travail. Depuis 1996, il convenait de différencier la modification du contrat touchant à un élément essentiel de celui-ci, et nécessitant l’accord du salarié, du simple changement des conditions de travail. Dorénavant, la catégorie de la modification du contrat semble, elle-même, souffrir d’une division. En effet, doit-on en comprendre qu’il existe des modifications unilatérales du contrat de travail suffisamment importantes pour justifier la rupture du contrat et d’autres qui ne le seraient pas ?
En outre, bien que ces deux arrêts ne mettent en scène que le seul dispositif de la résiliation judiciaire, il semblerait que la solution dégagée par les Hauts magistrats trouve également à s’appliquer à la prise d’acte de la rupture, notamment en raison du fait que « des manquements suffisamment graves » étaient jusqu’alors exigés à l’appui de ces deux modes de rupture. Dorénavant, ces manquements suffisamment graves doivent véritablement empêcher la poursuite du contrat de travail, qu’il s’agisse d’une demande de résiliation judiciaire ou d’une prise d’acte. Ce mouvement, d’ailleurs amorcé par les arrêts du 26 mars 2014 (n°12-23634, n°12-21372 et n° 12-35040), confisque au salarié l’initiative qui lui avait été conférée de rompre son contrat de travail aux torts de l’employeur.