À l’IHU de Strasbourg, le sous-effectif des infirmières de bloc révélateur d’une situation générale

InFO militante par Chloé Bouvier, L’inFO militante

© Anthony MICALLEF/HAYTHAM-REA

Les infirmières de bloc des hôpitaux universitaires de Strasbourg qui dénoncent un sous-effectif inédit ont manifesté le 22 novembre. Alors que depuis deux ans, 50 % des infirmières sont parties, celles qui restent doivent assurer toute l’activité, sans qu’aucun recrutement n’ai été effectué.

C’est un cri d’alerte. Le deuxième en peu de temps. Mardi 22 novembre, des infirmières spécialisées des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) sont descendues sous les fenêtres de leur direction à l’appel du syndicat Force Ouvrière. Vêtues de leurs blouses bleues et de leurs charlottes, leurs tenues de travail en salles d’opération, elles ont manifesté jusque devant la préfecture du Bas-Rhin, pour dénoncer un sous-effectif inédit, qui met en danger les patients comme les soignants. C’est le deuxième acte de ce mouvement de protestation né au sein de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU), après une première mobilisation le 8 novembre.

Il y a deux ans, l’hôpital comptait 30 infirmières de blocs opératoires (aussi appelées Ibodes). Aujourd’hui, elles ne sont plus que 14, soit 50 % de l’effectif initial, pointe Christian Prud’homme, secrétaire général du syndicat FO des HUS. Le covid a mis un frein dans l’usage des blocs opératoires : seules 3 ou 4 des 55 salles fonctionnaient. Dans ce cadre, les Ibodes ont été réparties dans d’autres services. Mais lorsque la situation est revenue à la normale, beaucoup sont parties et il n’y a eu aucun recrutement.

Des départs non remplacés

Ces départs ont différentes causes : deux soignants sont partis à la retraite, d’autres ont été reclassés ou sont partis en formation. Cinq professionnelles ont aussi préféré rejoindre le privé, en choisissant d’exercer dans des cliniques, indique le militant. Or, les HUS n’ont pas anticipé ces départs pour ajuster leur recrutement.

Force Ouvrière rappelle que le problème de recrutement n’est pas nouveau et qu’il s’inscrit dans un cadre bien au-delà de celui de Strasbourg. Le syndicat avait ainsi auparavant souligné que les embauches étaient loin, très loin, de compenser les départs. Cette question des effectifs avait en effet été évoquée largement à l’occasion de la conférence nationale Pour un autre hôpital, un autre système de santé, organisée le 1er février dernier par la fédération FO-SPS au siège de la confédération à Paris. FO exige ainsi un plan Marshall pour l’hôpital public. Notamment la création de 200 000 postes dans les hôpitaux et les Ehpad.

Un rythme de travail insoutenable

Car, à Strasbourg comme ailleurs, les nombreux départs de personnels sont, en premier lieu, une réaction aux dégradations des conditions de travail que subissent ces professionnelles depuis plusieurs années. Lorsque j’ai commencé ma carrière d’infirmier, en tant qu’Ibode justement, le métier attirait des professionnelles, par ailleurs mères de familles car les blocs fermaient vers 15h. Les horaires de travail, pour ce métier prenant, étaient compatibles avec la vie privée. Mais aujourd’hui, on opère jusque 17h parfois et les horaires de travail s’allongent dans le contexte de sous-effectif, explique Christian Prud’homme. Tous ces changements obligent les infirmières à trouver des solutions pour la garde des enfants.

Au sein des hôpitaux, et dans le cadre de cette situation de sous-effectif, les témoignages critiques concernant le rythme de travail abondent. Certaines infirmières évoquent 15 jours travaillés, parfois 20, sans jour de repos. D’autres 60 heures travaillées en seulement huit jours. Les exemples fusent. Une infirmière relate ainsi une journée de travail, soit de 17h à 4h du matin, pour revenir le lendemain, à midi… J’ai deux enfants, mais je ne les vois plus, insiste-t-elle. Une des Ibodes est en arrêt, notamment à cause de l’épuisement de ce rythme, souligne le délégué syndical. Mais je pense que si une autre, n’importe laquelle du groupe, allait voir son médecin, il lui prescrirait aussi un arrêt. Elles sont à bout.

La question du recours à l’intérim

Les professionnelles racontent également le manque de visibilité qu’elles ont sur leur planning. C’est ce qu’elles demandent à la direction : de sécuriser leur vie privée, rappelle Christian Prud’homme. Elles exigent des temps de repos et de la régularité dans leur planning, afin qu’elles puissent anticiper et donc organiser leur vie privée. Et bien sûr des postes en nombre.

On le voit, certains néo-diplômés choisissent l’intérim, leur permettant davantage d’exprimer la demande de ne pas travailler le week-end ou de nuit. Une des Ibodes de l’HUS est d’ailleurs partie pour travailler en tant qu’intérimaire. Lorsque l’HUS embauche une personne en intérim pour venir en aide aux infirmières ? Il est difficile de fidéliser cette personne lorsque celle-ci constate les horaires à rallonge constate encore Christian Prud’homme. Par ailleurs, l’intérim est problématique au sein de l’hôpital puisqu’il implique une concurrence avec les autres soignants de la fonction publique. Et de rappeler les propos de Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière : L’intérim est un cancer qui gangrène l’hôpital.

Un vrai problème de sécurité et de santé publique

Même à 50 % des effectifs, les Ibodes de Strasbourg n’ont d’autres choix que d’assurer leur métier, entre les urgences et les opérations. L’hypothèse a été soulevée de déprogrammer les interventions dans une des trois salles d’opération, mais cela ne ferait que reporter celles-ci sur les autres salles. Ce sous-effectif, c’est un vrai problème de sécurité et de santé publique. C’est aussi pour cela que la manifestation du 22 novembre allait jusqu’à la préfecture, détaille Christian Prud’homme. Aujourd’hui, faute de personnel, il faudra attendre avril pour une opération cardiaque.

Le syndicaliste évoque aussi la charge mentale des infirmières de bloc opératoire, qui ont la vie des patients entre leurs mains. Celles-ci, assistantes du chirurgien, doivent connaître le déroulé des opérations, anticiper les instruments à utiliser et les éventuelles complications. Cette responsabilité lourde devient bien plus difficile à assurer lorsque l’on travaille plus de 10h d’affilée. La crainte est aussi bien sûr qu’une erreur médicale soit commise : Si c’est le cas, on pointera les soignants alors que c’est par l’attitude de l’institution que peut intervenir le risque d’erreurs...

Chloé Bouvier

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

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