La mobilisation ne faiblit pas pour exiger le retrait de la réforme des retraites, elle grandit et se renforce. L’extrême densité des cortèges parisiens, lors de la 9e journée de manifestations interprofessionnelles jeudi 23 mars, en a fait l’éclatante démonstration : la participation a atteint un nouveau record, avec 800.000 manifestants recensés sur le parcours entre les places de la Bastille et de l’Opéra Garnier et, nouveauté, une présence importante de lycéens et étudiants. Quarante-huit heures après l’adoption brutale du recul de l’âge légal de départ en retraite à 64 ans par l’arme constitutionnelle du 49-3, vingt-quatre heures après l’intervention télévisée du chef de l’État resté inflexible, la détermination et la colère se sont exprimées sans détour ni retenue, mais aussi énormément de rancoeur à l’égard de l’exécutif sommé de battre en retraite.
Ces réactions s’affichaient sur les pancartes des manifestants : On a 49.3 de fièvre
, Ni factieux ni faction, le peuple dit non !
, Nous sommes la foule et notre combat est légitime
... Elles s’exprimaient autant dans les rangs fournis des militants FO, pour qui la coupe est pleine après les innombrables coups portés au monde du travail depuis 2017 au profit de de la politique de l’offre, pro-entreprises, chérie par l’exécutif. Actifs, jeunes et retraités ont ainsi rappelé la démocratie sociale méprisée depuis 2017, la dégradation du dialogue social en entreprise résultant des ordonnances Travail qui, au motif de renforcer l’efficacité de la négociation collective en simplifiant les instances de représentation des salariés, les ont mises à mal, à commencer par les instances chargées de la santé, la sécurité et des conditions de travail. Ils ont rappelé encore l’absence de coup de pouce au Smic malgré l’inflation galopante, l’absence d’investissements à la hauteur des besoins dans les services publics, leur situation de pénurie en termes de moyens, la faiblesse des rémunérations, les effectifs insuffisants … Comme le résumait David, instituteur et militant FO, dans le cortège : ces dernières 48 heures sont la goutte d’eau qui fait déborder le trop-plein accumulé
. Et cela renforce encore la volonté à obtenir le retrait.
On a multiplié par dix notre participation à la manifestation
Moralement, je me devais d’être là. Le discours du Président, c’est de la maltraitance, la négation de deux mois de mobilisations contre la réforme des retraites ! Comme si les millions de manifestants, qui disent la pénibilité de leur emploi, ne comptent pour rien. Mais qu’a fait le gouvernement pour améliorer nos conditions de travail et d’emploi ? Rien
, dénonçait Maud, enseignante dans l’Essonne. Et qui le 23 mars manifestait pour la troisième fois. Malgré le sacrifice financier
. Impossible de faire plus : A Bac+5 et 37 ans, dont 16 ans d’enseignement, j’ai un salaire de base de 1.800 euros net, hors les primes. Mais elles ne comptent pas pour la retraite
, témoignait la militante, qui accumule les sujétions pour avoir le maximum de primes et pouvoir joindre les deux bouts : travailler en zone REP+ (réseau d’éducation prioritaire), assurer pendant les vacances scolaires les stages de remise à niveau pour les élèves d’école élémentaire, saisir toute occasion d’heures supplémentaires.
Maud est déterminée, dans une opposition résolue à la réforme, à l’image de tous ceux qui défileront encore ce mardi 28 mars. Comparé au 19 janvier, on a multiplié par dix notre participation à la manifestation parisienne !
insistait le 23 mars David, secrétaire général du Snudi FO 91 (syndicat national unifié des directeurs, instituteurs, professeurs des écoles, PsyEN, AESH). Aujourd’hui, nous sommes 25 militants FO des écoles de l’Essonne, et une dizaine de collègues sympathisants nous ont rejoints. Ils voudraient adhérer à FO mais disent qu’ils ne peuvent se permettre le coût de la cotisation… Ce n’était jamais arrivé avant et traduit bien les difficultés financières des enseignants.
Et de répéter On perd tous de l’argent. Mais instit’ à 64 ans, ce n’est pas possible !
.
Le discours présidentiel renforce la détermination à aller jusqu’au bout
La même mobilisation était notable dans les rangs de la fédération FO Energie et Mines (FNEM-FO) grossis, renforcée par l’arrivée d’une cinquantaine de militants grévistes de la centrale nucléaire EDF de Gravelines (Nord), la plus importante d’Europe. Depuis le 4 mars, les opposants à la réforme, en tête desquels FO majoritaire à 42%, y ont bloqué en toute sécurité
la maintenance d’un des six réacteurs (la tranche 1). Le discours présidentiel renforce la détermination à aller jusqu’au bout. Après près de trois semaines, le mouvement avait tendance à s’essouffler et c’est normal. Mais depuis le 49-3 et l’intervention télévisée, il y a presque autant de militants à 5 heures du matin sur le piquet de grève qu’au début de la grève : près de 200
, soulignait le 23 mars Samuel Norel, 47 ans, secrétaire du syndicat FO. Un chiffre qui, précise-t-il, ne reflète pas le taux de grévistes bien plus important
. Le piquet de grève, qui bloque l’accès au site, a fait son office, empêchant les agents de badger.
Devant la centrale, les résultats du vote par 49-3, puis l’intervention présidentielle du lendemain, ont été vécus en direct, par smartphone interposé, à l’issue d’assemblées générales d’ayant rassemblé 350 agents. Mais les agents n’ont pas écouté longtemps Emmanuel Macron. A leur demande, on a coupé avant la fin de son intervention, pour remettre la musique. Ils n’ont pas supporté le mépris qui a transparu. Ils ont le sentiment qu’on tape toujours sur les mêmes : impôts, pouvoir d’achat, travailler plus longtemps
, commentait le secrétaire FO.
La peur des salariés, c’est que cette réforme ne soit qu’une étape
Le passage en force par le 49-3 ne passait pas, non plus, dans ce groupe de six logisticiens, livreurs, techniciens en SAV du groupe Fnac-Darty : que des métiers à forte pénibilité
, appuyaient ces militants FO, tous représentants syndicaux ou de proximité. Depuis le 19 janvier, ils sont de toutes les journées nationales d’action, et déterminés
à continuer à manifester pour représenter leurs collègues qui ne peuvent débrayer. Dans les entrepôts, pas un seul salarié ne soutient la réforme. Leur peur, c’est que le recul à 64 ans de l’âge légal de départ ne soit qu’une étape. Mais leurs fins de mois sont compliquées. Ils ne peuvent se permettre de perdre du salaire
, expliquait un logisticien.
On se bat pour nous et les générations futures. Un président ne devrait pas aller contre le peuple
, renchérissait son collègue qui a visionné l’intervention présidentielle après le boulot, et l’a jugée lui-aussi méprisante
dénonçant l’absence d’ouverture d’un dialogue avec l’intersyndicale après deux mois de mobilisations sociales.
L’intersyndicale a dû envoyer un courrier pour demander à être reçue en urgence. Et le Président a refusé... Mais on est où là, dans quel pays, à quelle époque ? Emmanuel Macron continue de piétiner la représentation des salariés, comme il a commencé de le faire avec ses ordonnances Travail de 2017
. Depuis, dans sa société, le dialogue social est réduit au rapport de force
, expliquait le militant.
Le Président n’a pas eu un seul mot sur la pénibilité au travail
Carmen, administrative dans un hôpital privé de Seine-Saint-Denis, marchait aussi ce 23 mars pour représenter ses collègues qui ne peuvent débrayer. Les aides-soignantes ne peuvent pas travailler jusqu’à 64 ans. Il n’y a que le gouvernement à ne pas l’avoir compris
, assénait cette simple militante
FO, visage fermé. L’intervention présidentielle l’a décidée à battre le pavé. Je m’attendais à un minimum de pédagogie sur la réforme. Mais non. Et Il n’a pas eu un seul mot pour la pénibilité au travail
, critiquait la quadra, acerbe envers un exécutif qui s’entête
à ne pas comprendre l’impossibilité à travailler plus longtemps dans les établissements hospitaliers
. Nous fonctionnons déjà dans un mode tellement dégradé
. Alors, s’il persiste, c’est sûr, on arrivera à des grèves franches dans les hôpitaux
.
Dans tous les combats, il y a un gagnant. Je veux qu’on soit celui-là
Marie, 24 ans, juriste, n’a manqué aucune journée nationale d’action. Inenvisageable pour la militante FO, originaire des Yvelines : Dans tous les combats, il y a un gagnant. Je veux qu’on soit celui-là
, assénait la jeune femme qui se bat pour ses parents et ses frères manutentionnaires
. Je ne comprends pas que le gouvernement fasse passer sa réforme avant de résoudre les problèmes de fond. L’amélioration des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail, l’accès et le maintien en emploi, c’est ça l’urgence
. Marie ne désespère pas que l’exécutif entende raison. Elle fait donc partie des travailleurs qui seront dans la rue, de nouveau, à l’appel de l’intersyndicale, ce mardi 28 mars. Jeudi dernier, après plus de deux mois de mobilisation, il étaient plus de trois millions dans les rues...