A qui sert la dette ?

InFOéco n°100 du 17 février 2015 par Pascal Pavageau

Le 25 janvier, les élections législatives grecques ont rendu leur verdict. Avec ce résultat, de fait, le peuple grec a notamment signifié son rejet de la troïka (l’UE, la BCE et le FMI) et celui de son programme mortifère de politiques d’austérité et de réformes structurelles particulièrement brutales.

Pour l’heure, le souhait du nouveau gouvernement grec de rééchelonner la dette grecque qui atteint 175% du PIB, c’est-à-dire de rallonger sa maturité, et de bénéficier d’un nouveau plan d’aide qui ne serait pas, contrairement aux précédents, assortis de l’obligation de mener ces « réformes structurelles », ne rencontre pas l’assentiment des États membres de l’Euro-groupe. Comme à son habitude, l’Allemagne est la plus intransigeante des parties.

Après trois années d’une austérité sans précédent, et alors que la Grèce parvient même à dégager un excédent budgétaire (c’est-à-dire que ses dépenses sont couvertes par ses recettes !), le niveau de la dette grecque encore très élevé n’a, non seulement pas baissé, mais il a même augmenté !

Ce résultat n’a malheureusement rien de surprenant, il est la preuve d’un mécanisme bien connu selon lequel pour résorber une dette publique, il ne suffit pas que les recettes couvrent les dépenses, encore faut-il que le pays ait un taux de croissance (qui détermine celui de ses recettes) supérieur au taux d’intérêt de sa dette, sans quoi tous ses efforts d’économies seront vains !

En Grèce, comme dans d’autres pays en Europe, l’augmentation inexorable de la dette publique ces dernières années n’est pas le fruit de dépenses publiques inconsidérées mais d’un taux de croissance beaucoup trop bas. Et réduire les dépenses publiques et sociales conduit à une explosion de l’endettement.

Dans le cas de la France, la faiblesse de la croissance pèse sur les recettes fiscales ce qui empêche les déficits publics de se résorber malgré la succession de plans d’économies budgétaires engagés depuis 2010, accentués en 2012, et ce qui rend impossible une diminution de la dette publique.

En 2013, la dette publique en France a atteint 1949 Mds, soit 92,2% du PIB.

C’est un montant élevé dont l’envolée récente est la conséquence directe de la crise bancaire et financière qui a éclaté en 2008 puis de la récession qui s’en est survie partout en Europe – provoquant la chute des recettes fiscales et donc l’accroissement inexorable des déficits. Ce sont les plans de sauvetage de la finance mais surtout la généralisation en Europe de la récession qui ont fait littéralement bondir l’endettement public.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en seulement 2 ans, c’est-à-dire entre 2007 et 2009, la dette publique a augmenté de plus de 14 points de PIB et elle a augmenté de 28 points de PIB en 6 ans (soit + 700 mds entre 2007-2013). Du fait de la crise financière et économique et des politiques économiques menées depuis : la dette publique française a autant augmenté en 6 ans qu’au cours des 16 années précédentes !

Contrairement donc à ce qui est souvent dit : avant le déclenchement de la crise financière de 2008, l’endettement public en France (comme celui de la majeure partie des pays de la zone euro) était nettement inférieur et, qui plus est, dans les « clous » des critères (même absurdes) du Pacte de Croissance et de Stabilité (cf. tableau ci-dessous).

Avant la crise : les finances publiques en France n’étaient pas dégradées

Insee et EurostatDéficit public en % du PIBDette publique en % du PIB
Zone euroFranceZone euroFrance
2007-0,7 %-2,5%66,4%64,2%
(≈1249 mds)
2009-6,1%-7,2%83,8%78,8%
(≈1527 mds)
2013-2,9%-4,1%91%92,2,% (≈1949 mds)

Sur le long terme, on observe cependant la montée continue de la dette publique, en France, comme dans de nombreux pays en Europe.

Contrairement là encore au discours dominant, l’augmentation continue de la dette publique en France ne vient pas d’une croissance excessive des dépenses publiques – rappelons que les dépenses de l’État baissent – mais d’une baisse tendancielle des recettes publiques, en particulier des recettes fiscales, c’est-à-dire des impôts. Faute d’harmonisation fiscale, la plupart des États en Europe se sont ainsi livrés à partir des années 2000 à une concurrence fiscale (ou dumping fiscal) baissant les impôts sur les plus hauts revenus, les patrimoines et les entreprises (cf. graphique suivant).

En France, plusieurs rapports ont documenté les conséquences de cette politique de « moins-disant fiscale » qui, en visant délibérément une baisse de la pression fiscale sur la partie la plus aisée des ménages et sur les grandes entreprises, est responsable du décrochage des recettes publiques par rapport aux dépenses publiques et donc responsable du creusement de la dette publique : de l’ordre de 20 points selon le rapport Cotis et Champsaur (tous deux anciens directeur général de l’Insee) à plus de 50 points de PIB selon les économistes du collectif pour un Audit Citoyen de la Dette Publique (le CAC).

Dit autrement, la dette publique serait inférieure de 400 à 600 Mds pour les premiers, de près de 1000 mds pour le groupe de travail du CAC [1].

Pour Force Ouvrière, cette partie de la dette publique qui n’a pas été contractée dans l’intérêt général mais au contraire dans celui d’intérêts particuliers est largement illégitime. Pourtant, les sacrifices demandés pour la réduire pèsent pour l’essentiel sur les ménages, les salariés, les retraités et tous les usagers des services publics.

Force Ouvrière dénonce depuis le début ce « diktat de la dette » qui menace notre modèle social et notre démocratie. Il faut desserrer l’étau que les marchés financiers exercent sur le financement public et les politiques publiques en autorisant notamment la BCE à prêter directement aux États à des taux bas.

Arrêtons enfin de comparer stupidement la solvabilité d’un État avec celle d’un ménage. Cette comparaison n’a aucun sens car, contrairement à un ménage, un État est pérenne. Juridiquement, la durée de vie d’un État est en effet infinie ; en pratique, d’ailleurs, un État ne rembourse jamais intégralement sa dette, il la refinance à mesure que celle-ci arrive à échéance : la dette publique est ainsi perpétuelle. Et contrairement au ménage, l’État fixe le cadre de ses recettes et ressources.

Il est urgent de réhabiliter l’endettement public contracté dans l’intérêt général : la dette publique est la contrepartie nécessaire à la mise en œuvre de politiques d’investissement, d’actions publiques et d’interventions sociales préparant la croissance, les emplois, les services publics de demain, bref, de tout ce qui concourt à notre modèle économique, social, démocratique et républicain.

Achevé de rédiger le 17 février 2015

 Voir en ligne  : InFOéco n°100 du 17 février 2015 [PDF]

Pascal Pavageau Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

Notes

[1Pour ce collectif et son groupe de travail qui compte notamment en son sein des « Economistes atterrés » et des économistes de l’Institut de Recherche Economique et Social (IRES), il existe une seconde composante illégitime à la dette publique qui est liée au mode de financement même des États sur les marchés financiers, et donc au niveau des taux d’intérêt auquel les États se financent : soit ces taux ont été trop élevés en « valeur absolue » (comme sur la décennie des années 90) ; soit ils trop élevés en « valeur relative », c’est-à-dire par rapport au taux de croissance du PIB, ce qui est le cas depuis la crise financière. Au total selon cette étude, l’effet combiné des cadeaux fiscaux et du coût excessif du financement représente 53% du PIB.
En d’autres termes, « si l’État n’avait pas réduit ses recettes et choyé les marchés financiers : le ratio de dette publique sur PIB aurait été en 2012 de 43% au lieu de 90% du PIB.