A l’automne dernier, après avoir œuvré dans la plus grande discrétion, les trois confédérations FO, CFDT et CGT, en coordination avec la Confédération syndicale internationale (CSI) et en lien avec le ministère des Affaires étrangères, étaient parvenues à faire exfiltrer vers la France dix-sept responsables du syndicat Nuawe (syndicat national des travailleurs et employés afghans). Mais il restait encore une étape de taille à franchir : permettre à leurs familles de les rejoindre. C’est quasiment chose faite depuis quelques jours.
L’urgence passée et la sécurité de ces militants et de leurs proches désormais assurée, les langues peuvent enfin se délier. L’intersyndicale a donc organisé à Paris le 2 mai, sous l’égide de la CSI, une conférence syndicale internationale pour donner la parole à ces exilés.
Cette réunion a aussi été l’occasion d’évoquer les actions mises en place pour aider ces militants à poursuivre leur combat syndical et plus largement à lutter contre l’obscurantisme. Car dans ce pays tombé sous la coupe des Talibans à l’été dernier, les droits humains fondamentaux ne sont plus respectés.
Lors de cette conférence, organisée au lendemain du 1er mai, journée internationale des travailleurs, le secrétaire général de FO Yves Veyrier a rappelé que la confédération était engagée de longue date dans la solidarité syndicale internationale. Nous voulons œuvrer avec vous pour faire en sorte que soient rétablis au plus vite les droits fondamentaux dans votre pays, avec l’accès à l’éducation, à un travail digne, avec des citoyens traités à égalité, et la possibilité pour vous d’y agir librement et sans risques, vous pouvez compter sur nous tous
, a-t-il assuré à ces militants.
90% de la population sous le seuil de pauvreté
Des militants de Nuawe, menacés pour leur engagement en faveur des droits des travailleurs, mais aussi des libertés individuelles, des droits des femmes ou de l’éducation, ont livré un témoignage glaçant sur la situation dans laquelle se trouve actuellement la population afghane. Tout ce que nous avions construit dans ce pays s’est effondré
, a déploré une militante.
Plus de 90% de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté. De nombreux emplois ont été détruits. Les salaires ne sont plus payés, ou de manière incomplète. Les gens n’ont plus d’argent pour se nourrir, certains peuvent vendre leurs enfants pour un peu de nourriture
, poursuit un militant. Quant aux femmes, elles ne sont plus autorisées à travailler. Elles sont éliminées de la société et de la vie sociale
, alerte une militante.
Les écoles de filles ont fermé. Le travail des enfants, en forte progression, est une préoccupation majeure du syndicat. La liberté d’expression n’existe plus et des centaines de médias sont censurés. Les journalistes sont menacés de prison. Le tribunal militaire est rétabli. Il n’y a plus vie privée, ni de sécurité physique et mentale
témoignent-ils.
Mais pas question pour ces militants de baisser les bras. Les hommes et les femmes afghans veulent continuer le combat jusqu’à ce que la justice sociale soit rétablie
, assurent-ils, en appelant les syndicats internationaux à les soutenir.
Un observatoire pour permettre au syndicat de continuer à fonctionner en exil
Un membre de la fédération des travailleurs du Pakistan (PWF) a appelé à ce qu’une pression soit exercée au niveau international sur les Talibans pour obtenir la reconnaissance des syndicats et le rétablissement des droits des travailleurs et des femmes, ainsi que le droit à une vie décente. Aujourd’hui, les syndicats doivent travailler de manière souterraine et clandestine par petits groupes, ils perdent des membres, c’est très dur
, explique-t-il.
L’intersyndicale française, au-delà d’une aide matérielle directe, finalise actuellement la création d’un observatoire des droits des travailleurs afghans. Cela permettra au syndicat Nuawe de continuer à fonctionner en exil,
.
Un représentant de la fédération syndicale internationale des journalistes, profession particulièrement ciblée par les Talibans, a évoqué le cauchemar éveillé
vécu par les affiliés de son organisation. Lui aussi œuvre à l’évacuation de militants menacés. Plus de 300 médias ont fermé en quelques semaines, des hommes ont été tués, des femmes sont pourchassées.
Nous ne sommes plus dans le journalisme mais dans l’aide humanitaire directe, à distribuer de la nourriture, des médicaments et des vêtements,
Le syndicalisme est comme une famille
Autre profession réprimée par les Talibans, les enseignants. La fédération syndicale internationale des enseignants (EI), outre l’évacuation de militants, met également en place un observatoire des droits des enseignants afghans. Objectif : donner la parole à ces professionnels et informer sur les salaires (incomplets depuis plusieurs mois), la violation des droits humains et syndicaux, la question des femmes et de leurs conditions de travail…
Sharan Burrow, secrétaire générale de la CSI, a remercié les syndicats français pour leur action efficace dans l’exfiltration des militants afghans. Les droits démocratiques et la liberté sont la base du droit syndical, on doit entendre la voix de ceux qui vivent là-bas, les femmes doivent pouvoir aller à l’école, quand les droits fondamentaux vont-ils revenir ?,
La question afghane sera évoquée lors du prochain congrès de la CSI, en novembre 2022. Sharan Burrow a également rappelé que seulement 20% des membres de l’OIT vivaient dans des pays libres, avec des droits garantis. La lutte doit continuer pour les autres, il y a aussi la guerre en Ukraine, et des conflits dans 57 pays
, a-t-elle ajouté. La militante a vu dans cette conférence une journée d’espoir. On doit maintenant se faire entendre par le monde, ça va prendre du temps, on est là pour vous aider et on va se battre à vos côtés, la lutte va continuer.
Elle a également lancé un appel à la solidarité internationale.
Aujourd’hui je suis rassurée, j’avais le sentiment que l’Afghanistan était oublié à l’international, mais ce n’est pas le cas, le syndicalisme est comme une famille, et la voix de femmes afghanes a trouvé un écho
, s’est réjouie une militante afghane.