Alimentaire : la sécurité des consommateurs nécessite des moyens

InFO militante par Chloé Bouvier, L’inFO militante

© Jean-Claude MOSCHETTI/REA

Kinder, Buitoni … Ces affaires sanitaires soulignent l’importance du contrôle des entreprises par les services publics dédiés. Or, leur restructuration et leur manque de moyens mettent à mal des missions essentielles à la protection du consommateur. D’autant que les autocontrôles menés par les entreprises apparaissent insuffisants.

À deux semaines de Pâques, Kinder ne donne pas vraiment envie d’une chasse aux œufs, ses produits en chocolat, soupçonnés d’une contamination à la salmonelle en Europe, ont d’ailleurs été rappelés. Alors que les achats de chocolat pour Pâques sont importants, c’est un coup extrêmement dur pour l’entreprise. Le fabricant italien Ferrero a reconnu le 8 avril des défaillances internes. Quelques jours auparavant, c’était Buitoni (Nestlé) qui avait ordonné un rappel massif de ses pizzas surgelées après plusieurs cas d’enfants gravement malades, atteints par la bactérie Escherichia coli. Plus récemment encore, les Fromageries de Normandie (Lactalis), ont rappelé certains de leurs fromages au lait cru après avoir identifié une source probable de contamination à la bactérie responsable de la listériose.

Ces affaires, qui ne sont pas sans en rappeler des plus anciennes, posent encore et toujours la question de la sécurité alimentaire, en France comme en Europe. Alors que l’État a choisi, par manque de moyens, une stratégie reposant sur l’autocontrôle des entreprises agroalimentaires, les services publics dédiés aux contrôles constatent que leurs effectifs et leurs moyens continuent à fondre. Force Ouvrière n’a eu de cesse d’alerter sur ces problématiques.

En 12 ans, les effectifs de la DGCCRF ont fondu de 30 %

Les personnels chargés de réaliser des contrôles sanitaires sur les aliments sont rattachés au ministère de l’Agriculture pour la Direction générale de l’alimentation (DGAL/pour le contrôle des denrées animales et d’origine animales), au ministère de l’Économie pour la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF/pour le contrôle des denrées végétales et d’origine végétales) et au ministère de la Santé. Or, notait la Cour des comptes en 2019 leurs effectifs ne permettent pas de couvrir, par un contrôle de premier niveau, une part significative des établissements de certains secteurs. Aujourd’hui, la DGRCCF compte moins de 2 800 agents, soit 500 de moins qu’il y a 12 ans, pointe Philippe Grasset, secrétaire général de FO Finances. Entre 2007 et 2020, les effectifs de la DGCCRF ont fondu de près de 30 %. Dans le Nord, où est implantée l’usine Buitoni mise en cause dans le scandale, les effectifs de la DGCCRF seraient passés de 57,3 équivalents temps plein (ETP) en 2016 à 52 en 2020.

Au plan national, sur la période 2007-2020, les alertes reçues par la DGCCRF n’ont cessé d’augmenter, passant de 1 169 à 1 900.

Du côté de la Direction générale de l’alimentation, le nombre des inspections sur la sécurité sanitaire des aliments a diminué de 33% entre 2012 et 2019 indique l’ONG Foodwatch qui dénonce plus largement le manque de moyens des autorités de contrôles sanitaires en France.

Une chaîne de commandement très perturbée

En 2010, à la suite de la réforme de l’administration territoriale de l’État (RÉATE), les services déconcentrés de l’État ont été restructurés sur le mode interministériel. L’échelon régional de la DGCCRF est tombé dans le giron des Direccte, directions régionales fourre-tout regroupant les secteurs des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l’emploi. Des directions remplacées l’an dernier par les DREETS. Les services départementaux de la DGCCRF ont rejoint, eux, les DDI, de nouvelles directions départementales interministérielles. Chaque département métropolitain compte notamment une direction de la protection des populations (DDP) issue de la fusion des services vétérinaire et de l’administration de la concurrence, de la consommation, de la répression et des fraudes.

Cette réforme a bouleversé notre organisation et la chaîne de commandement puisqu’avant cette réforme, nous étions en lien direct avec notre ministère de tutelle, indique Stéphane Touzet du Syndicat National des Techniciens Supérieurs du Ministère de l’Agriculture FO. Actuellement c’est le préfet, représentant de l’État, qui détient le pouvoir de décision sur les DDI, et parfois, au-delà de la question sanitaire il doit prendre en compte d’autres paramètres notamment celui de l’impact économique dans le cas de la possible fermeture d’un site, poursuit le militant. Cela complique la chaîne de commandement et de décisions d’autant que les directeurs de DDI peuvent être issus d’un autre ministère que celui dont relève le secteur de la DGCCRF, qu’ils ont des préoccupations diverses et un périmètre d’action très large. Cela grippe le système et met parfois des ambiguïtés là où il n’y en avait pas auparavant. Enfin, cette complexification de l’organisation interne induit parfois une dilution du temps d’instruction, pointe Philippe Grasset. Or, ce temps est précieux lorsqu’il faut réagir en urgence à la suite d’une alerte.

Des difficultés de moyens pour remplir la mission de contrôle

Face à ces problèmes d’effectifs et d’organisation, devenus structurels, pour les agents, assurer les missions devient difficile. La qualité des contrôles est toujours là, mais la pression, sur les entreprises, que constitue le contrôle, est moins forte. Il est moins courant d’aller sur place pour constater l’hygiène d’un site, témoigne Stéphane Touzet. Moins nombreux, les agents font face à une accumulation de tâches administratives ou techniques et ont donc moins de temps pour leurs missions initiales. Dans un département où il y a 5 agents pour 1 000 entreprises, comment faire ?, s’interroge Philippe Grasset. Ils ne peuvent être partout.

Dans le cadre de cette pénurie de moyens, il a été choisi de procéder sur le mode de la confiance en laissant les entreprises s’autocontrôler. Autrement dit, la sécurité alimentaire repose essentiellement sur les autocontrôles effectués par les industriels dans leurs usines. Chaque fabricant doit contrôler sa chaîne de production, dont les aliments produits avant qu’ils ne sortent de l’usine. En cas de problème détecté, ils doivent le signaler aux autorités sanitaires. Mais les entreprises, dans le souci de leurs profits, ont intérêt à cacher ces problèmes, ou du moins à retarder leur signalement. On l’a vu pour Kinder, une contamination aux salmonelles avait été détectée dans l’usine belge le 15 décembre !

Déjà, en février 2019, la Cour des comptes avait regretté que des insuffisances subsistent à toutes les étapes de la chaîne de contrôle de la sécurité sanitaire de l’alimentation, depuis les autocontrôles réalisés par les entreprises jusqu’à la publication des résultats des inspections.

Chloé Bouvier

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération