Allemagne, depuis la réunification, un système social en mutation

Actualités par Mathieu Lapprand

Entretien avec Olivier Giraud, docteur en science politique, directeur de recherche au CNRS et rattaché au laboratoire Lise au Cnam, à Paris.

Olivier Giraud, docteur en science politique, directeur de recherche au CNRS

Quelles évolutions le système social allemand a-t-il subi ces vingt dernières années ?
Olivier Giraud : Au moment de la réunification, dans les années 90, un débat a été conduit par le gouvernement : « Comment l’Allemagne peut-elle rester un lieu de production ? ». Les conclusions sont connues, dépenses salariales trop élevées, normes trop contraignantes... À partir de l’an 2000, alors que le chômage ne baissait pas, l’agenda Hartz a forcé une partie des salariés à reprendre un emploi à n’importe quel prix. Les femmes allemandes ont massivement investi l’emploi mais souvent dans les services, à des salaires bas et avec un temps de travail très réduit.

Existe-t-il une corrélation statistique dans les années 2000 entre la baisse du taux de chômage et l’augmentation de la précarité ?
O. G. : Elle est évidente. Les mini-jobs (emplois aidés à temps partiel) n’ouvrent le droit qu’à une protection sociale réduite, au contraire d’un salarié français au Smic qui demeure protégé, bien que son revenu soit exonéré de nombreuses cotisations sociales. Malgré ces limites, entre 2000 et 2010 le pourcentage de ménages bénéficiant d’un transfert social est passé de 8 % à près de 12 %.

En 2011, 30 % des entreprises adhérentes aux conventions collectives avaient négocié des accords dérogatoires, la dérogation est-elle devenue la norme en Allemagne ?
O. G. : L’autonomie conventionnelle fonctionnait bien en période de tensions sur le marché du travail, ce qui n’est plus le cas depuis la fin des années 80. Aujourd’hui les syndicats préfèrent consentir des dérogations plutôt que de voir les entreprises s’exonérer totalement de la convention existante. Par exemple, les conditions de travail dans le hard discount en Allemagne sont très mauvaises car les salariés n’y sont généralement pas couverts par une convention collective, alors qu’en France le Code du travail donne aux salariés un socle de garanties plus large.

L’instauration du salaire minimum traduit-elle un changement de nature du modèle social ?
O. G. : Accepter l’instauration de salaires minimaux a été très compliqué pour les syndicats allemands, attachés au principe constitutionnel de l’autonomie tarifaire. Après l’ouverture du marché postal, un concurrent de la Deutsche Post payait ses jeunes salariés 3,5 euros l’heure… et l’État allemand versait à ces mêmes salariés un complément de salaire. C’est devant ces abus que le débat dans la société allemande a évolué en faveur du salaire minimum. 

Propos recueillis par Mathieu Lapprand

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante