Allia : chronique d’un plan social inacceptable

Emploi par Valérie Forgeront

Les salariés de deux usines de la société Allia fabricant de sanitaire et propriété du groupe suisse Geberit combattent depuis des mois la volonté de la direction de fermer les deux sites. 256 emplois sont sur la sellette à Digoin (Saône-et-Loire) et à La-Villeneuve-au-Chêne (Aube). Si grâce aux erreurs de la Direction le plan social annoncé en mai vient d’être suspendu, la direction n’en abandonne pas pour autant ses projets, notamment de délocalisation au Portugal, voire en Pologne. Reçus le 9 février au ministère de l’Économie, les syndicats en appellent désormais à l’État.

Le groupe Geberit va-t-il mal ? Perd-il des marchés ? Ses ventes chutent-elles ? Ses comptes virent-ils au rouge ? A toutes ces questions, une seule réponse : non. Ce groupe suisse fabricant de sanitaire (toilettes, douches…) va bien. Coté en bourse, employant 12 000 salariés dans une quarantaine de pays, Geberit affiche fièrement sa portée internationale et régulièrement, il a les honneurs de la presse économique pour ses résultats performants.

En amont d’un rapport qui sera publié le 14 mars, le groupe annonce ainsi une nouvelle croissance de ses activités : une hausse de 6,4% sur 2016 pour un chiffre d’affaires de 2.81 milliards de francs suisse (environ 2,62 milliards d’euros). Rien que le secteur fabrication céramique sanitaire a enregistré une progression de 11,2% de son chiffre d’affaires à 722 millions de francs suisses.

Mais... Changement de décors....Parallèlement à ces bons résultats, dans la petite ville de Digoin en Saône-et-Loire et dans celle de La-Villeneuve-au-Chêne dans l’Aube, les salariés de deux usines de la société Allia détenue par Geberit combattent depuis plusieurs mois la fermeture de ces deux sites décidée par le groupe suisse qui les juge non rentables.

Cette fermeture entraînerait au total la suppression de 256 emplois dont 176 à Digoin.

Deux fermetures irrecevables

On tient bon indique Cédric Béraud, représentant sur le site de Digoin de la section syndicale FO créée en 2012. Pour le militant la fermeture de l’usine créée il y a cent ans, en 1917, serait une catastrophe pour le bassin d’emploi. A Digoin (8 000 habitants environ), les salariés du site Allia ont donc mené de multiples actions ces derniers mois, à l’appel de cinq syndicats dont FO.

Depuis le 17 mai dernier, date de l’annonce d’un plan social (PSE/plan de sauvegarde des emplois), ils ont manifesté devant les sites de Digoin et de celui de La-Villeneuve-au-Chêne, bloqué les usines pendant plusieurs jours en décembre et janvier. Ils ont manifesté aussi cet été dans l’Ain, sur le parcours du Tour de France, manifesté aussi à plus de 400 salariés devant le siège suisse de Geberit, manifesté encore le 16 janvier en région parisienne, à Samoreau (Seine-et-Marne) devant le siège de la société Allia, rachetée en 2015 par Geberit au groupe suédois Sanitec…

Tel un affront, le lendemain le groupe Suisse annonçait fièrement ses résultats en hausse, notamment une progression de plus de 11% dans le secteur céramique sanitaire, spécialités des deux sites. Les salariés contestent donc plus que jamais un prétendu motif économique qui présiderait à la décision de Geberit de fermer ces deux usines. Ce motif est évacué aussi par les résultats d’une expertise comptable.

Un PSE suspendu aux élections professionnelles…

Les salariés craignent que de la direction projette de délocaliser la production française vers des pays affichant une main d’œuvre à moindre coût, en Pologne et au Portugal notamment. Dans ces deux pays, Geberit possède déjà des usines. Des membres du Comité central d’entreprise sont allés au Portugal et ont constaté des conditions de travail assez pitoyables dans cette usine qui fonctionnent à plein. En Pologne comme au Portugal, les salariés des usines Geberit nous apportent leur soutien. Ils expliquent aussi qu’il est impossible pour eux d’assurer davantage de production indique Cédric Beraud.

Si pour l’instant, le PSE est suspendu, cela ne signe pas pour autant la victoire pour les salariés. Cette suspension ne tient en effet qu’aux irrégularités qui ont émaillé la procédure d’élaboration du PSE. La Direction annonçait ainsi en janvier qu’elle allait déposer le document unilatéral du PSE devant l’administration du Travail et de l’Emploi.

Hélas pour elle, l’administration avait constaté précédemment qu’Allia n’était pas en règle vis-à-vis des élections professionnelles dans l’entreprise. La Direction du Travail et de l’Emploi lui demandait donc de rectifier cette situation en se mettant en conformité avec la législation avant de continuer la procédure PSE.

Allia est toutefois passée outre, ne tenant pas compte de l’invalidité de deux mandats d’élus des salariés… Bilan, la direction a dû annoncer le 16 janvier qu’elle suspendait le PSE et qu’elle allait organiser des élections professionnelles. Pour l’instant remarque toutefois Cédric Beraud aucune date n’a été fixée pour des élections.

Le rappel à la loi Florange

Le 9 février, des membres de l’intersyndicale ont rencontré à Bercy des représentants du ministère du Travail, de l’Economie ainsi que des commissaires au redressement productif. Les représentants des salariés ont demandé l’abandon du projet de PSE et contesté la légalité de sa procédure.

Alors qu’une prochaine rencontre avec des représentants ministériels est prévue début mars et devrait aborder la possibilité d’une reprise d’Allia, les syndicats ont obtenu que l’État contacte la direction suisse de Geberit en vue d’organiser une rencontre entre celle-ci et les organisations syndicales, cela sous la houlette du ministère de l’Économie.

Les syndicats demandent en effet à l’État d’organiser les conditions d’un dialogue afin que puisse être envisagé, conformément à la loi Florange du 29 mars 2014, un projet de reprise des sites. Cette loi impose notamment à toute grande entreprise ou groupe (d’au moins 1 000 salariés) qui veut fermer un ou des établissements et procéder à des licenciements économiques de chercher un repreneur. Les deux usines Allia entrent dans ce cadre.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

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