Amazon : la demande de chômage partiel rejetée par le gouvernement

Emploi et Salaires par Clarisse Josselin

© Laurent GRANDGUILLOT/REA
Article publié dans l’action Coronavirus / Covid19 - Pandémie

Le 14 avril, la justice a contraint Amazon France à limiter son activité aux produits essentiels, dans l’attente d’une évaluation des risques liés au Covid-19 pour les salariés. Cette décision a été confirmée en appel le 24 avril. En réaction, la plus grosse entreprise mondiale a choisi de cesser ses activités dans l’Hexagone depuis le 16 avril. Elle a, en parallèle, fait, le 30 avril, une demande de chômage partiel qui a été rejetée par le gouvernement. Pour le syndicat FO, les conditions de sécurité des salariés des entrepôts ne sont toujours pas réunies.

Les salariés des entrepôts d’Amazon qui craignaient pour leur santé ont pu souffler un peu. Les sites sont fermés depuis le 16 avril et le resteront au moins jusqu’au 8 mai inclus. Le 14 avril, le tribunal judiciaire de Nanterre a estimé que la société avait de façon évidente méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés face à l’épidémie de Covid-19. La juridiction a contraint Amazon France Logistique à limiter ses activités aux seuls produits essentiels (hygiène, alimentation et médical), dans l’attente d’une évaluation des risques pour les salariés menée avec les représentants du personnel. Le géant américain avait 24 heures pour se conformer à cette décision sous peine d’une astreinte d’un million d’euros par jour de retard et infraction constatée.

Prétextant ne pas pouvoir faire le tri entre les produits interdits ou non et redoutant l’amende, Amazon a décidé de cesser totalement son activité dès le 16 avril. Les 10 000 salariés, dont un tiers d’intérimaires, continuent de toucher l’intégralité de leur salaire. L’entreprise s’est pourvue en appel. L’audience s’est tenue le 21 avril à la cour d’appel de Versailles. La décision a été rendue le 24 avril. Amazon a été autorisée à continuer à vendre une liste de produits élargie à la hich-tech, à l’informatique et au matériel de bureau, jugés indispensables pour la poursuite d’activité dans le cadre du télétravail. Le traitement de tout produit non autorisé a lui été soumis à une astreinte dont le montant a été réduit à 100 000 euros.

Le chômage partiel n’est pas fait pour compenser une décision de justice

Le 30 avril, le géant américain a osé faire une demande de chômage partiel auprès du gouvernement, au même titre que les entreprises mises en difficultés économiques par le confinement. Mais l’information n’a filtré que le 4 mai. Cette demande concernait les 10 000 salariés de ses six entrepôts de logistique. Le ministère du Travail l’a rejetée, rappelant que le dispositif de chômage partiel n’était pas fait pour compenser les conséquences d’une décision de justice.

 Amazon a décidé de fermer ses entrepôts français alors que l’activité pouvait se poursuivre et elle continue son business grâce aux autres entrepôts européens, réagit Christophe Bocquet, membre FO du CSE de l’entrepôt Lil1 de Lauwin-Planque (Nord). En plus, l’entreprise a les moyens de faire le tri des produits, elle le fait déjà en fonction de la taille. Elle coule le business France et les salariés vont encore payer la note, notamment en fin d’année au moment de la participation aux bénéfices. 

Mises en demeure de l’inspection du travail

Dès le début du confinement face à l’épidémie de Coronavirus, le 16 mars, une intersyndicale comptant FO avait dénoncé l’absence de mesures minimales de protection pour les salariés et lancé un droit de retrait général pour danger grave et imminent. La direction avait rejeté ce droit de retrait et menacé les salariés de ne pas les payer. Deux jours plus tard, un débrayage avait été lancé sur tous les sites. Le ministre de l’Économie était alors intervenu pour dire que les pressions exercées par Amazon étaient inacceptables.

Mais ce n’est qu’après les mises en demeure de l’inspection du travail début avril que les salariés ont été équipés de masques. D’autres mesures ont été instaurées comme la prise de température de chaque salarié à son arrivée, un aménagement de parcours avec des barrières, une distanciation de deux mètres... Ça s’est mis en place petit à petit et très tard, et les conditions ne sont pas optimales, il faut encore pousser la barre du tourniquet [d’entrée sur le site, NDLR] à la main, souligne Christophe Bocquet.

Le militant est tombé malade le 20 mars, avec suspicion de Covid-19 dont il avait tous les symptômes. Il n’a repris le travail que le 16 avril.

 La direction a aussi mis en place une équipe de safety angels dans les entrepôts, poursuit Christophe Bocquet. Ils n’ont pas de compétence particulière en matière de sécurité. Ils sont là pour surveiller et noter les salariés. Alors que ce qu’il faut, c’est communiquer et conseiller, pas sanctionner.

Pour FO, l’évaluation des risques ne doit pas être faite à la légère

Et le militant estime que tant que les effectifs n’auront pas été réduits, le risque de contamination dans son entrepôt restera élevé. Le gouvernement interdit les réunions de plus de cent personnes mais plus de deux mille salariés peuvent travailler dans le même entrepôt, dénonce-t-il. La direction peut bien décaler les horaires des équipes de dix minutes. Avec cinq cents ou six cents salariés à chaque fois, il y a forcément des attroupements, surtout au moment de la sortie. Il propose de travailler en équipes plus réduites, surtout s’il s’agit de ne traiter que les produits essentiels.

Le tribunal a également reproché à Amazon de ne pas avoir associé les représentants du personnel à l’évaluation des risques encourus par les salariés et a ordonné à l’entreprise de le faire. Dans l’entrepôt Lil1 de Lauwin-Planque, cette évaluation a démarré il y a quelques jours.

Le militant FO dénonce la manière dont celle-ci se déroule. Au vu de l’importance et de la complexité du sujet, j’ai demandé l’accompagnement par un cabinet spécialisé qui pourrait nous éclairer sur les risques de contamination et les meilleurs dispositifs à mettre en place, explique-t-il. Ça a été refusé par la direction. Idem pour la commission d’évaluation du dispositif tous les quinze jours. Il exige aussi que la direction effectue l’expertise des risques psychosociaux demandée par l’inspection du travail dans sa mise en demeure le 3 avril.

Or indique-t-il, je ne peux pas poser mes questions », la direction semble ne pas vouloir les retenir, précise le militant. Et aujourd’hui, ni la médecine du travail ni l’inspection du travail n’étaient présentes pour inspecter les lieux. Pourtant cette évaluation ne doit pas être faite à la légère. 

Plus d’un mois après les élections CSE, toujours pas de CSSCT

Il rappelle aussi que les élections CSE ont eu lieu début mars 2020 et que la CSSCT n’a toujours pas été mise en place. La direction dit qu’elle ne peut pas organiser une réunion de soixante élus, mais elle peut faire travailler plus de deux mille salariés, dénonce-t-il. La CSSCT est pourtant une obligation légale, d’autant plus en pleine crise sanitaire. 

« Amazon reste ouvert pour vous », affiche la société sur la page d’accueil de son site Internet. Les consommateurs gardent la possibilité d’utiliser la plate-forme pour faire des achats soit auprès d’entreprises indépendantes, soit auprès d’autres sites Amazon situés à l’étranger et notamment en Europe. On demande depuis des années la reconnaissance d’une unité économique et sociale, et on nous dit qu’elle n’existe pas, mais pour les commandes ça marche, dénonce Christophe Bocquet.

Il précise que c’est par les médias qu’il a été informé de la fermeture des entrepôts et de sa première prolongation. Amazon n’était pas obligée de stopper son activité, ajoute-t-il. Elle le fait parce qu’elle a peur de se prendre une amende. Mais c’est aussi pour elle un moyen de se faire passer auprès du gouvernement et des clients pour une victime des méchants syndicats.

Aux USA, les salariés d’Amazon en grève

Aux États-Unis, plus de 350 employés d’Amazon se sont mis en grève le 21 avril pour demander de meilleures conditions sanitaires face au Covid-19 dans les entrepôts, selon le regroupement d’associations Athena, l’un des organisateurs de la mobilisation, cité par l’AFP. Ils dénonçaient aussi le licenciement de plusieurs salariés qui avaient mené des actions de protestation.

Selon Athena, cent trente entrepôts Amazon comptent des travailleurs ayant contracté le Covid-19, avec parfois plus de trente cas confirmés. Le 24 avril, ce sont les codeurs et ingénieurs du groupe qui ont été appelés à une grève en ligne.

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante