Amiante : les agents du Tripode de Nantes demandent réparation depuis 40 ans

Protection Sociale par Valérie Forgeront

Envahissement par les syndicats de la salle de réunion où se tenait le comité technique local de la Direction régionale des finances publiques (DRFIP) 44 le 2 mars 2017.

Les personnels des finances, de l’Insee et des affaires étrangères qui ont travaillé dès 1972 dans le bâtiment administratif Tripode de Nantes (Loire-Atlantique) attendent depuis près de quarante ans que le caractère amianté de cette tour démolie en 2005 soit enfin reconnu. Si l’édifice a été évacué en 1993, nombre d’agents exposés à cette poussière cancérigène sont tombés malades depuis, certains sont décédés. Dès 1978, les syndicats dont FO se sont mobilisés. Le combat continu. Le 21 mars le Premier ministre a refusé de classer le Tripode en site amianté indiquant que la législation ne le permet pas pour l’instant. Or, une telle disposition permettrait aux agents encore en activité d’être reconnus comme salariés amiantés et de bénéficier des mesures de pré-retraite amiante. Le gouvernement ne ferme toutefois pas la porte à cette possibilité. M. Bernard Cazeneuve charge ainsi l’Inspection générale des affaires sociales d’une étude qui pourrait entraîner une évolution de cette législation. Les syndicats demandent que cette mission « travaille au plus vite ». Retour sur une des affaires qui illustre tristement le scandale national de l’amiante.

C’était l’un des premiers bâtiments construits sur l’Ile Beaulieu à Nantes. Sa forme moderne en étoile à trois branches, ses 70 mètres de haut et ses dix-huit étages ne passaient pas inaperçus sur ce bout de terre encore quasi vierge entre les deux bras de La Loire. Bâti entre 1967 et 1972 par un architecte de renom, l’immeuble Tripode est rapidement devenu célèbre en ville.

Certains s’enthousiasmaient de son originalité, d’autres raillaient sa démesure… Bref, à peine érigé, le Tripode —qui a abrité jusqu’à 1 800 agents du ministère des Finances (secteur Trésor public), de l’Insee et des Affaires étrangères— s’est fait sa place dans le paysage de la cité des ducs de Bretagne.

Depuis ? Le bâtiment continue à faire parler de lui, hélas. Y compris depuis sa démolition en 2005 et par ailleurs bien au-delà de Nantes. D’une joyeuse renommée esthétique, le bâtiment administratif a endossé dès 1978 une sale réputation. En cause : l’amiante. Dans ses plafonds, dans ses armatures de fenêtres… Le Tripode était tout bonnement bourré d’amiante. Lors de sa construction, 350 tonnes de cette fibre cancérigène ont servi dans le cadre de la protection anti-feu de sa structure.

Chaque matin il y avait de la poussière blanche sur les bureaux rappelle l’association des amiantés du Tripode retraçant l’historique de ce qui est devenue en près de quarante ans une affaire, dramatique pour les salariés, et toujours pas résolue dignement par les pouvoirs publics. Or des centaines de personnes contaminées lors de sa construction, de son entretien et de son occupation ont payé de leur santé ou de leur vie leur exposition à l’amiante souligne l’association composée principalement de syndicats dont FO.

Des malades et des décès

Dès 1978 en effet —il y a donc trente-neuf ans— les personnels travaillant au Tripode ont commencé à se mobiliser. Leurs syndicats, FO notamment, ont alerté sur le caractère « amianté » du bâtiment. A l’époque, les personnels de Jussieu à Paris dénoncent de leur côté eux aussi la présence d’amiante dans les locaux de la faculté. Ils travailleront en étroite collaboration avec ceux du Tripode.

Les années passent. Les agents nantais multiplient les mobilisations pour faire prendre conscience à l’administration de la gravité de la situation. Ils font faire des expertises. Ils travaillent avec des médecins de Nantes et du centre international de recherche sur le cancer de Lyon… Il faut attendre toutefois 1992 pour que l’administration décide enfin l’évacuation du Tripode employant alors près de 900 personnes. Les derniers agents partiront du site à la fin de 1993. Mais rien n’est réglé pour autant.

C’est en effet dans ces années 1990 qu’une première personne ayant travaillé au Tripode, un électricien d’une quarantaine d’années, décède. Il faudra alors un procès pour faire reconnaitre qu’il souffrait d’une maladie professionnelle due à l’amiante. Durant ces années, alors que les syndicats travaillent à faire reconnaître l’exposition des personnels du Tripode à l’amiante et à faire déclarer le site comme « amianté », plusieurs agents d’entretien décèdent.

Un rapport accablant

Des agents qui travaillaient dans les bureaux tombent malades aussi, souffrant entre autres d’anomalies pulmonaires et pleurales caractéristiques de pathologies dues à l’amiante. Les syndicats obtiennent que les personnels amiantés soient suivis médicalement.

Autour des années 2000, alors que le bâtiment Tripode nargue toujours de toute sa hauteur les personnels malades et tous ceux qui craignent de l’être, les syndicats obtiennent la réalisation d’une étude épidémiologique. Le tribunal administratif de Nantes autorise de son côté une expertise judiciaire du bâtiment avant que celui-ci ne soit démoli. Le rapport est accablant résument les syndicats.

Depuis 2005 et la démolition du Tripode après son désamiantage pendant deux ans et la tentative vaine de vendre le bâtiment finalement racheté par la ville de Nantes, les syndicats des différents secteurs (Affaires étrangères, Insee, Finances) et notamment FO luttent toujours pour que l’ancienne tour soit classée site amianté.

Ce classement est important car il permettrait une reconnaissance rapide en maladie professionnelle des pathologies amiante déjà déclarées et permettrait aux agents encore en activité (environ 20% des personnels du Tripode) et menacés eux aussi des mêmes maladies de bénéficier des mesures de préretraite amiante (départ à 50 ans et perception jusqu’à la retraite de 65% de la rémunération brute calculée sur les douze derniers mois d’activité).

Six ans de vie de moins pour les agents

Autour des années 2000, l’administration a accepté de prendre en charge le coût d’un scanner pour les agents du Tripode. Mais seulement pour ceux en demande d’un tel examen… Quant à la prise en charge des reconnaissances des maladies et du soutien aux malades rien ne change vraiment regrettent alors les syndicats.

Depuis 2008, trois études épidémiologiques ont eu lieu et leurs résultats sont on ne peut plus clair. Ainsi, rappellent les syndicats du ministère des Finances, la dernière étude présentée le 10 juin dernier a montré que l’âge du décès des agents du Tripode était inférieur de six ans en moyenne à celui des agents des Impôts ayant travaillé dans d’autres sites. La surmortalité des agents du Tripode est démontrée une fois de plus.

Cela n’induit pas pour autant le classement du Tripode en site amianté ainsi que le demandent toujours les syndicats dont FO. Pour l’instant a rappelé le Premier ministre dans sa réponse aux syndicats le 21 mars dernier la législation n’ouvre un droit à un départ anticipé qu’aux agents publics des ministères de la défense et de la mer qui ont été appelés à manipuler directement l’amiante dans le cadre de leurs fonctions ainsi qu’aux agents publics qui sont atteints d’une maladie professionnelle liée à l’amiante. Le législateur n’a pas souhaité ouvrir un droit à réparation pour les bâtiments administratifs, pour la fonction publique comme pour le secteur privé, dès lors que les effets de l’amiante sur la santé des personnels n’étaient pas d’un niveau comparable avec ceux des Travailleurs de l’amiante, c’est-à-dire les salariés qui ont manipulé de l’amiante dans le cadre même de leur profession.

L’IGAS désormais à la manoeuvre

Toutefois le chef du gouvernement, M. Bernard Cazeneuve ne ferme pas la porte aux demandes des agents du Tripode et souhaite-comme les syndicats- que ce soit bien au regard de ce degré d’exposition que la situation du Tripode soit examinée. Il vient ainsi de mandater l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) afin que celle-ci mène une enquête en utilisant les divers éléments d’études connus sur le Tripode.

S’il s’avérait que l’exposition constatée était d’un niveau exceptionnel pour un bâtiment administratif et en tout point comparable à ceux d’agents ayant été conduits à manipuler de l’amiante dans le cadre de leurs fonctions, une modification de la législation pourrait alors être justifiée indique le Premier ministre. Pour les syndicats cette mission doit travailler au plus vite.

Les organisations dont FO sont ainsi prêtes à fournir à l’IGAS tous les éléments démontrant le caractère exceptionnel et grave de l’exposition que les agents ont subi en travaillant au Tripode. En 2014 suite à une conférence médicale sur l’amiante, l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail (ANSES) et une étude épidémiologique, le gouvernement avait annoncé le classement de tous les agents du Tripode en exposition intermédiaire à l’amiante, hormis ceux déjà classés en exposition forte. Cela marquait certes une avancée mais insuffisante.

Nouvelle avancée par décret le 30 mars

Signe supplémentaire que l’amiante (interdit seulement dans les constructions à partir 1997) contraint par ses ravages les pouvoirs publics à agir, le 30 mars dernier un décret instaurait —enfin— une cessation anticipée d’activité pour les agents (titulaires et contractuels) de la fonction publique (État, Hospitalière et territoriale) qui ont contracté une maladie professionnelle du fait d’une exposition à l’amiante.

Cette déclinaison au secteur public d’une mesure existant déjà dans le privé marque une évidente avancée sachant que l’amiante est déjà responsable de plus de 3 000 décès par an parmi les salariés du public comme du privé et que les autorités sanitaires craignent d’enregistrer jusqu’à 100 000 décès jusqu’à 2025.

Reste à reconnaître l’exposition à l’amiante des agents, y compris de bureaux, cela en validant le caractère amianté des sites. Les agents du Tripode de Nantes espèrent que l’étude de l’IGAS permettra d’aller dans ce sens. Enfin.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

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