APC : l’enjeu de perdre le moins possible, même dos au mur

InFO militante par L’inFO militante, Thierry Bouvines

Pendant la crise de 2020, les entreprises ont multiplié les accords de performance collective (APC) avec l’objectif principal de réduire les salaires, constate une étude du ministère du Travail. Pour autant, les APC ont-ils permis de sauver des emplois ?

Les accords de performance collective (APC) signés pendant la crise de 2020 ont principalement servi à réduire les rémunérations des salariés. C’est ce qui ressort d’une étude de la Dares publiée en novembre dernier, portant sur 380 APC conclus entre juillet 2019 et fin décembre 2020. Avec la crise, le nombre de ces accords s’est multiplié. Presque deux fois plus d’APC ont été conclus entre avril et décembre 2020 (247 accords) qu’au cours des neuf mois précédents (133 accords).

Institués par les ordonnances travail de 2017, ils sont censés permettre aux entreprises de s’adapter aux évolutions de leur marché tout en préservant les emplois. Mais, en période de pandémie, ils ont pu être vus comme un outil de gestion de crise, expliquent les auteurs de l’étude du ministère du Travail.

De fait, à partir d’avril 2020, les signataires justifient le plus souvent la nécessité de l’APC par la crise économique ou par les difficultés de l’entreprise. C’est le cas par exemple chez le sous-traitant de l’aéronautique Derichebourg aeronautics services (1 800 salariés). Son APC de juin 2020, signé par FO -syndicat majoritaire-, a été présenté au nom d’une baisse importante de la production d’Airbus, principal client de l’entreprise. Tel un effet boule de neige, le recul de 50% de l’activité d’Airbus pris dans la tourmente de la crise Covid entraînait une chute de 50% du chiffre d’affaires du sous-traitant. Soit on sauvait des emplois avec un APC, soit on faisait un plan social, soit l’entreprise déposait le bilan, explique Jean-Marc Moreau, délégué syndical FO.

Autre APC car autre contexte... La société Bergams, fabricant de sandwichs et de plats cuisinés ultrafrais situé à Grigny dans l’Essonne où il emploie 286 salariés, propriété du groupe Norac a, elle aussi, eu recours à un APC pendant la crise sanitaire. Mais Christophe Le Comte, secrétaire général de l’union départementale FO de l’Essonne, doute que la crise soit la vraie raison de cet accord minoritaire (moins de 50%), signé par trois syndicats et finalement validé par référendum en septembre 2020. Pour sa part, FO a refusé de signer, tout comme un autre syndicat. L’APC non identifiable comme tel- était en annexe d’un accord d’activité partielle. Ce n’était pas possible de signer cela, déclare Christophe Le Comte, qui a travaillé sur le dossier avec le délégué FO de l’entreprise, Nicolas D’Andréa.

Un an plus tard, l’entreprise était placée en liquidation judiciaire. Les repreneurs avaient jusqu’au 13 janvier 2022 pour déposer leur offre de reprise de la société. Je ne sais pas quand la direction a pris la décision de fermer Bergams -qui est parfaitement viable-, mais cette décision avait été prise depuis un certain temps, estime Christophe Le Comte. Norac voulait faire des économies. Le groupe a saisi la balle au bond quand il y a eu le confinement. Je pense que l’activité de Bergams existe toujours chez Norac, mais sous une autre marque.

Les accords de performance collective permettent de modifier d’office le contrat de travail des salariés sur trois paramètres pourtant fondamentaux : le temps de travail, la rémunération et la mobilité. La Dares relève qu’à partir d’avril 2020, les APC portent du plus en plus souvent (62% contre 38% avant la crise) sur les rémunérations... à la baisse : réduction des primes fixes, diminution de la part variable et, surtout, recul du taux horaire. La plupart traitent aussi du temps de travail, en général pour l’augmenter, quoiqu’un peu moins à partir du début de la crise.
Chez Derichebourg aeronautics services, les salariés ont dû renoncer à leurs indemnités repas et transport, et les cadres gagnant plus de 2,5 Smic (actuellement 4007 euros bruts) à leur 13e mois.
Une partie de ces indemnités a été transformée en tickets-restaurant.

Les indemnités repas et transport auraient disparu même sans l’APC car elles étaient dans le collimateur de la direction depuis longtemps, du fait que l’entreprise était redressée dessus chaque année par l’Urssaf, explique Jean-Marc Moreau.

Chez Bergams, l’APC prévoyait non seulement une baisse des rémunérations de 300 à 1 000 euros par mois, selon Christophe Le Comte, mais aussi une annualisation du temps de travail. Une situation que les salariés ont jugé insupportable. Cela les a conduits à demander le retrait de l’accord et à devoir faire grève pour tenter d’obtenir satisfaction. La direction a ensuite argué du coût de cette grève pour justifier la liquidation. Argument fallacieux : les salariés n’avaient déjà plus de travail, rappelle Christophe Le Comte.

L’APC s’imposant au contrat de travail, le salarié qui en refuse les aménagements peut être licencié avec indemnité et accès à l’assurance chômage. Plus de 160 salariés de Derichebourg l’ont été pour cette raison. Les signataires d’un APC peuvent cependant décider de dispositifs d’accompagnement des salariés -qui acceptent ou refusent les modifications de leur contrat de travail- mais ce n’est pas obligatoire.

De fait, les clauses d’accompagnement sont globalement peu fréquentes dans les APC et le sont encore moins avec la crise, constatent les auteurs de l’étude de la Dares. Avant la crise, 15% des APC comportent des mesures d’accompagnement pour les salariés qui refusent les aménagements prévus par l’accord, mais seulement 9% des APC de crise. Celui de Derichebourg en fait partie. Les salariés qui ont refusé l’accord avaient droit notamment à une indemnité de licenciement supra-égale dont le montant était proportionnel à leur âge : 1 mois de salaire pour les moins de 50 ans, et au-delà, jusqu’à huit mois.

Les contreparties de la part des employeurs restent minoritaires même en temps de crise constate la Dares : 21% des accords de crise comportent une clause de retour à meilleure fortune ; 20% donnent des garanties aux salariés ; 18% associent les dirigeants aux efforts des salariés. Le niveau de ces contreparties est cependant moins anecdotique s qu’avant la crise. On comptait en effet 6% de clause de retour à meilleure fortune ; 9% de garanties aux salariés et 5% d’effort des dirigeants.

La direction de Derichebourg s’est engagée, sous certaines conditions (maintien de l’indemnisation publique du chômage partiel, maintien des commandes du principal client) à ne procéder à aucun licenciement économique jusqu’en juin 2022 et à renégocier l’accord dès que l’entreprise aura retrouvé une profitabilité de 4%. Un an et demi plus tard, les salariés sont toujours sous le régime de l’APC, mais FO a quand même réussi à obtenir des augmentations de salaire et une prime exceptionnelle pour le pouvoir d’achat.

L’étude de la Dares ne fait pas le bilan des emplois préservés ou non grâce aux APC. Nathalie Capart, secrétaire fédérale de FO métaux, qui a travaillé avec Jean-Marc Moreau sur le dossier Derichebourg, n’est pas pour les APC car ils remettent en cause des acquis, mais quand on n’a pas le choix parce il y a des licenciements prévus, nous négocions pour que les salariés perdent le moins possible.

A Bergams, Christophe Le Comte est amère. Malgré le comportement inique de l’entreprise, les salariés ont été lâchés par l’administration, qui a validé l’APC. Pour lui, ces accords sont de véritables chèques en blanc. Enjambant un code du travail censé protéger les salariés, leur contenu est complètement dépendant du rapport de force et de la loyauté de la direction. Un retour de la loi du plus fort.

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

Thierry Bouvines