Arts et féminisme

Culture par Christophe Chiclet

Suzanne Valadon : autoportrait. [Public domain]

Créer ou procréer : pendant longtemps, les femmes artistes ont dû choisir. L’émancipation des femmes passe autant par les ateliers des usines que les ateliers de peinture.

Le mensuel Arts Magazine [1] s’est posé justement la question : Faites le test auprès de vos amis. Demandez-leur de citer cinq femmes peintres, toutes époques et toutes nationalités confondues. Vous aurez peu de chance d’avoir des réponses, alors qu’avec la même question sur les peintres hommes, vous serez plus chanceux.

Paradoxalement c’est juste après la renaissance que des femmes peintres ont connu la célébrité de leur vivant. La plupart vivaient en Italie et en Europe du Nord et se consacraient aux portraits et aux natures mortes. Ainsi l’Italienne Sofonisba Anguilossa (1532-1625) fut adulée par la cour d’Espagne et séduisit le peintre flamand Van Dyck qui la considérait comme l’une des plus grandes portraitistes de son temps. La Française Élisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842) était la fille du portraitiste Louis Vigée. A la mort prématurée de ce dernier, elle reprend les pinceaux pour faire vivre sa mère et son jeune frère. Hérédité, talent, elle devint la préférée de Marie Antoinette.

Mais le machisme ambiant restera longtemps un frein puissant à l’apprentissage des femmes peintres. Les académies leur sont fermées ou ouvertes au compte-gouttes. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que les Académies royales de Londres et d’Oslo, les Beaux-arts de Paris, s’ouvrent aux femmes qui devront attendre encore plusieurs années pour avoir le droit de peindre des modèles nus !

A l’ombre de maris ou amants célèbres

Privées d’académies, les femmes auraient pu apprendre dans les ateliers de grands maîtres. Mais les familles et la bonne société s’y opposaient. Ces ateliers avaient la réputation de lieux grivois fréquentés par des bandes de garçons noceurs. Celles qui ont pu y accéder étaient donc des filles de peintres (Artémisia Gentileschi, Élisabeth Vigée-Lebrun, Angelica Kauffman), ou mariées à un peintre, ou maîtresses.

Pour détourner ces difficultés, la française Rosa Bonheur (1822-1899) s’est fait passer pour un homme. Mais il faut aussi de l’argent pour la formation, l’achat de pinceaux, toiles, pigments. Une solution, le mariage avec un homme riche ; un mécénat conjugal.

L’historienne de l’art canadienne Liliane Blanc écrit très justement : L’organisation du milieu artistique, depuis l’enseignement spécialisé jusqu’à la reconnaissance du talent de l’artiste et à la diffusion de son œuvre, a toujours été l’affaire des hommes. C’est toujours vrai. Dans le top 20 des artistes nés après 1940, les plus chers du marché en 2010, la première femme et la seule est l’anglaise Jenny Saville. En vingtième position ! Pourtant ce ne sont pas les talents qui manquent : les Françaises Suzanne Valadon et Marie Laurencin, la Mexicaine Frida Kahlo, la Polonaise Tamara de Lempicka, la Russe Sonia Delaunay et les américaines Lee Krasner, Joan Mitchell et Dana Schutz. Un combat émancipateur toujours d’actualité.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

Notes

[1Arts Magazine, n°3, septembre 2005.