Au Québec, le droit de grève menacé par une obligation de service minimal étendue

InFO militante par Fanny Darcillon, L’inFO militante

Le gouvernement de la province canadienne a déposé un projet de loi visant à limiter la durée des grèves et à permettre à l’exécutif d’imposer un maintien de service, même dans des secteurs où la santé et la sécurité nationale ne sont pas en jeu. Les syndicats dénoncent une atteinte au droit de grève qui bouleverserait l’équilibre du rapport de force entre employeurs et salariés.

Un nouveau projet de loi, québécois cette fois, vient s’ajouter aux tentatives d’atteinte au droit de grève à travers le monde. Le ministre du Travail de la province canadienne, Jean Boulet, entend se doter du droit d’intervenir davantage dans les conflits au travail, notamment en limitant leur durée, y compris dans le secteur privé. Si le texte vient à passer, le gouvernement pourrait exiger par décret le maintien du service pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celle des personnes en situation de vulnérabilité.

Une ligne particulièrement floue, qui laisse craindre aux syndicats une restriction très large du droit de grève. Plusieurs de ces concepts restent à définir, pointe dans un communiqué la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). Dans une version maximaliste, le projet de loi permettrait en fait d’appliquer à n’importe quel employeur l’obligation de service minimal qui concerne jusqu’à présent – comme en France et dans de nombreux autres pays – les travailleurs de secteurs stratégiques tels que la santé et la sécurité nationale. Sur la nouvelle notion de services à maintenir, il faudra voir, par exemple, comment les critères sont établis, comment ils seront interprétés et quels services seront ciblés, prévient Éric Gingras, le président de la CSQ. Tout est dans les détails et dans l’application subséquente.

La rengaine fallacieuse de la « prise d’otages » de la population

Dans le détail, deux dispositifs permettraient au gouvernement d’encadrer le droit de grève. D’une part, lors d’un conflit en cours de négociation entre employeur et salariés, le Conseil des ministres pourrait renvoyer par décret ce conflit devant le Tribunal administratif du travail, afin de déterminer quels services devront être maintenus en cas de grève. La justice aurait pour mission de trancher cette question, si salariés et employeur ne parvenaient pas à s’entendre sur ce sujet sous quinze jours. D’autre part, si une grève venait à être déclarée, le ministre du Travail aurait désormais la possibilité de forcer son arbitrage s’il estime que le conflit cause un préjudice grave à la population. Il confierait alors à un arbitre le soin de rendre une décision exécutoire pour mettre fin au conflit.

Les conflits de travail prenaient trop souvent et malheureusement la population en otage et particulièrement les personnes en situation de vulnérabilité, a avancé le ministre du Travail, Jean Boulet, pour justifier le projet de loi. Un recours désormais classique à la rhétorique fallacieuse de la prise d’otages, occultant au passage le fait que les grèves ont bien souvent – au Québec comme ailleurs – été cruciales dans la conquête et le maintien des droits de toutes et tous.

Un affaiblissement critique du pouvoir d’action des travailleurs

Dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat, la mention de populations en situation de vulnérabilité qu’il conviendrait de protéger par cette loi suscite l’indignation des syndicats. C’est ça qui va régler les vrais problèmes du Québec comme le coût de la vie, la crise du logement, le panier d’épicerie qui coûte de plus en plus cher, des familles de travailleurs et travailleuses qui doivent faire appel aux banques alimentaires pour se nourrir et des menaces tarifaires ? Voyons donc !, s’est insurgée Magali Picard, la présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ). Oui, les grèves, ça dérange, mais lorsque les travailleurs et travailleuses choisissent ce moyen de pression, c’est pour améliorer leurs conditions de travail, les services à la population, pour cesser de s’appauvrir, a-t-elle poursuivi.

Au contraire, si le projet de loi venait à passer, il aurait pour conséquence d’aider les employeurs à négocier de plus bas salaires et de moins bonnes conditions de travail, estime la FTQ. Un point de vue partagé par la Confédération des syndicats nationaux (CSN), qui dénonce un projet de loi pour faire plaisir aux patrons et affaiblir les travailleuses et les travailleurs. En effet, cette limitation de la durée des conflits entraînerait nécessairement une rupture dans l’équilibre du rapport de force entre employeurs et salariés. Le ministre a déjà tous les outils pour intervenir lors de conflits et forcer les partis à en arriver à un règlement, souligne François Enault, premier vice-président de la CSN. Pourquoi venir briser cet équilibre et faire pencher la balance du côté des employeurs ? Pour nous, c’est ni plus ni moins une déclaration de guerre et nous ne nous laisserons pas faire.

Fanny Darcillon

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

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