En 2015, il fallait attendre 34 mois en moyenne avant que justice prud’homale soit rendue à Meaux. S’agissant d’une moyenne, certaines affaires la dépassent largement comme ce cas pour lequel le tribunal des prud’hommes de Seine-et-Marne a été saisi le 24 juillet 2013 et qui a été jugé en février 2017, soit 43 mois d’attente.
Un phénomène persistant à Meaux, nous précise Yolande Gournay, conseillère prud’homale à Meaux dans la section activités diverses. « Quand je suis arrivée aux prud’hommes de Meaux en 2008, c’était déjà le cas. Des dossiers de la section commerce qui passent en conciliation en ce moment [mi-janvier 2017], et dont la demande a été introduite il y a environ quatre mois, passeront en bureau de jugement qu’en septembre 2019. »
Il faudrait doubler voire tripler les audiences
La situation est tellement grave que les syndicats, le bâtonnier, le vice-président, le premier président de la Cour d’appel, se sont rencontrés pour essayer de mettre des audiences supplémentaires. « Vous vous rendez compte du nombre d’audiences qu’il va falloir mettre pour résorber les 18 mois de retard ? il faudrait doubler ou tripler les audiences », remarque Yolande Gournay.
Cet effet entonnoir est notamment dû au nombre d’affaires et à l’insuffisance d’audiences. À Meaux, une seule salle d’audience doit être partagée entre les prudhommes et le tribunal de grande instance. Manque de salles disponibles, manque de greffiers, manque d’assistants aux greffiers. « Difficile alors de programmer des audiences supplémentaires », constate la conseillère prud’homale. Il y a quelques années, quelques audiences supplémentaires ont pu se tenir durant un an, une autre section ayant laissé la salle, mais malgré cela, il n’a pas été possible de compenser le retard.
Des pièces non communiquées à temps par les avocats
Autre raison pouvant expliquer cet engorgement : le comportement des avocats. Un fait qui n’est pas spécifique à Meaux insiste Yolande Gournay. Elle nous donne l’exemple d’une après-midi récente de la section activités diverses. « Sur sept dossiers inscrits, seuls deux dossiers ont été plaidés », raconte-t-elle. Pourquoi ? parce que les avocats, soit du demandeur soit du défendeur, pour des raisons qui tiennent à leur surcharge de travail ne se sont pas communiqué les pièces en temps utiles. Résultat : Cinq affaires ont fait l’objet d’une demande de renvoi de la part des avocats. « Les audiences sont surchargées par des dossiers qui ne sont pas plaidés et les justiciables prennent un an de délai supplémentaire. Ces dossiers renvoyés fin 2017, début 2018 ont été introduit en 2015. », regrette Yolande Gournay.
Trois lois en moins de dix ans
Dans quelques cas, seraient également en cause des délais trop longs de rédaction des conseillers prud’homaux. Des retards qui concernent les conseillers tant du collège employeur que de celui des salariés. Pour Yolande Gournay, l’épuisement des conseillers pourrait expliquer ce phénomène. « Initialement les conseillers avaient été élus pour cinq ans, on en est aujourd’hui à 8 ans de mandat et on va finir la 9e année fin 2017. »
La justice prud’homale a été concernée par trois lois en moins de dix ans : celle concernant la représentativité syndicale votée en 2008, la loi Macron de 2015, notamment son article 258 créant le statut de défenseur syndical et enfin la loi du 18 décembre 2014 qui a enterré définitivement l’élection au profit de la désignation.
La redéfinition de la carte judiciaire opérée en 2010 par Rachida Dati a également eu un impact important. « Soixante-deux conseils des prud’hommes ont été fermés », déplore Didier Porte, secrétaire confédéral FO. « Nous avons vu des dysfonctionnements, surtout dans les zones rurales tels que des salariés ont été contraints de faire plusieurs dizaines de kilomètres pour faire valoir leurs droits. Il y a même eu la mise en place d’audiences foraines dans des localités où avaient disparus les conseils. »
Un renouvellement des conseillers le 1er janvier 2018
Les conseillers, qui avaient pris des engagements sur 5 ans ont été prorogés le temps que les nouvelles législations se mettent en place. « Les dernières élections prud’homales se sont déroulées en 2008 pour des mandats de 5 ans et le renouvellement devant avoir lieu en 2013, raconte Didier Porte. Mais en 2013, le dispositif de représentativité patronale n’était pas encore finalisé. Le mandat des conseillers prud’hommes a donc été prorogé de 2 ans, jusqu’à 2015 ». En 2015, la représentativité patronale n’étant toujours pas réglée, une prolongation de 2 ans a encore été décidée jusqu’au 31 décembre 2017. Aujourd’hui, le calcul de la représentativité patronale a été déterminé. Le renouvellement par désignation aura lieu cette année pour une mise en place au 1er janvier 2018.
Avec la réforme qui doit entrer en application au 1er janvier 2018, les effectifs de conseillers prud’homaux risquent encore de bouger. « Sur les juridictions où nous savons qu’il y a des délais excessifs notamment les régions parisienne, lyonnaise ou marseillaise, ils vont peut-être ajouter des conseillers », signale le secrétaire confédéral.
36,9 mois en cas de départage à Marseille
Car Meaux ne fait pas figure d’exception. En avril 2016, soixante-dix salariés du nettoyage et de maisons de retraite avaient attaqué l’État en raison d’un délai excessif de la procédure devant les prud’hommes de Marseille. Ils ont attendu en moyenne 19,8 mois pour une décision du bureau de jugement et 36,9 mois en cas de départage par un juge professionnel. Certains plaignants avaient dû attendre près de six ans avant le rendu d’une décision.
Reste à savoir comment la nouvelle réforme traitera les zones rurales « Il va falloir être attentif à ce que le nombre de conseillers ne soient pas réduit trop drastiquement », conclut le secrétaire confédéral.
Quant au tribunal de Meaux, il fait partie des neuf juridictions françaises pour lesquelles le gouvernement a prévu un financement supplémentaire total de 2 millions d’euros dans le cadre de la réforme des prud’hommes. Mais cette somme suffira-t-elle pour que les salariés arrêtent de renoncer à leurs droits ?