Auchan : il ne fait pas bon être enceinte pour le management

Emploi et Salaires par Valérie Forgeront

Photo : Rafal Zych (CC-BY-NC 2.0)

Auchan, la vie, la vraie… Derrière ce slogan commercial, le quotidien de travail des salariés de cette enseigne de la grande distribution appartenant à la famille Mulliez (une des plus grosses fortunes de France estimée à 37 milliards d’euros) n’a rien d’idyllique. De récentes affaires médiatisées par les syndicats, dont FO, illustrent la dure réalité de travail des salariés soumis à des méthodes managériales virant à la tyrannie et à la maltraitance.

A Tourcoing près de Lille, c’est une jeune caissière de 23 ans employée chez Auchan en contrat de professionnalisation dans un supermarché qui a fait une fausse-couche sur son lieu de travail le 22 novembre.

Enceinte de trois mois, supportant une grossesse difficile, la jeune femme explique qu’en poste à sa caisse, elle avait demandé à plusieurs reprises à sa hiérarchie de lui accorder des pauses afin de se rendre aux toilettes. Elle est victime de fortes douleurs et fait une hémorragie… Sa hiérarchie lui refuse toutefois le droit de quitter sa caisse explique la jeune employée.

Depuis, elle a porté plainte pour non-assistance à personne en péril et mise en danger par non-respect d’une obligation de prudence ou de sécurité. L’inspection du travail a été saisie de l’affaire et une enquête judiciaire a été ouverte par le parquet de Lille. La direction du magasin affirme de son côté que la jeune femme n’a sollicité aucune pause. S’appuyant sur les conclusions de l’enquête réalisée par le CHSCT, la Direction assure qu’il n’y a aucune faute ou erreur à imputer à la hiérarchie. Elle remarque seulement que la proximité managériale aurait pu être, sur ce cas précis, plus forte.

Sur un autre cas, la proximité n’a pas manqué. Ainsi, en juillet dernier, une cliente est interpellée à la sortie du magasin pour le vol d’une boite de sauce tomate. Elle met en cause une caissière de 41 ans, affectée aux caisses minute (scan des achats par le client). Accusée d’avoir intentionnellement fraudé, la salariée est mise à pied à titre conservatoire pour faute grave puis licenciée pour ce préjudice de… 85 centimes. Elle sera finalement réintégrée, la cliente ayant avouée le vol.

L’inhumanité en action

Autre magasin Auchan, autre affaire, récente, pour une salariée. C’est le syndicat FO du site (majoritaire avec 67% des voix aux dernières élections professionnelles) qui a révélé en ce mois de janvier cette affaire sinistre et pris la défense de la jeune femme.

L’histoire se déroule en décembre dans le sud de la France, dans le département du Vaucluse, dans la ville du Pontet. Une nouvelle fois, l’inhumanité est en action chez Auchan fulmine FO.

L’hypermarché Auchan de 18 000 m2 et qui compte 600 salariés est le plus gros employeur du département. Le salaire moyen au Pontet est d’environ 1 550 euros brut/mois. La participation des salariés a été divisée par deux en cinq ans. Les hausses de salaires sont faibles, de l’ordre de 0.5%/an. Les salariés ne reçoivent plus qu’une prime, en mars, hors de la prime annuelle [sorte de 13e mois, Ndlr].

En parallèle à cette situation, le site Auchan du Pontet bénéficie de 840 000 euros par an au titre du CICE (le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). Au plan national, Auchan bénéficie de 68 millions par an au titre du CICE indique Pascal Saeyvoet le délégué central FO d’Auchan. Avec 18% des voix, FO est le deuxième syndicat au plan national chez Auchan (60 000 salariés dont 10 000 CDD).

Signe et dégage

En quoi la récente affaire d’Auchan Le Pontet apparaît-elle inhumaine ? Explications. Une des caissières, une jeune femme de 19 ans est sous contrat de qualification professionnelle (CQP) depuis le 24 octobre et ce jusqu’au 5 mai. Jean-Michel Prud’homme, le délégué syndical FO du site explique ce qu’était son statut et ses conditions de travail. Elle travaille alors 35 heures par semaine. Titulaire d’un bac, elle est payée 80% du Smic soit 6,60 euros/h. Au plan de ses horaires, on constate qu’elle a parfois travaillé après 21h30 indique le syndicat FO.

Le 22 décembre, cette salariée informe sa hiérarchie, son « chef de secteur caisse », qu’elle est enceinte, de sept mois. La jeune femme expliquera ensuite que la responsable lui a alors tendu une feuille et déclaré signe et dégage. Impressionnée, la salariée signe et s’en va. Elle vient de signer sa démission.

Informé, le délégué syndical FO, Jean-Michel Prud’homme rencontre alors la direction du magasin. Celle-ci l’informe que la salariée aurait commis des irrégularités sur sa caisse. Il n’y a toutefois aucune procédure disciplinaire engagée. L’affaire est floue, si floue que la direction appelle l’employée pour l’informer qu’elle est réintégrée. Point final ? Non. Le 24 décembre, alors que la jeune caissière vient de reprendre son poste, la direction lui annonce qu’elle est visée par une procédure pour faute assortie d’un entretien d’où peut découler un licenciement. Joyeux noël.

L’attitude de la direction est incohérente

Le 26 décembre, la direction lui annonce qu’elle peut partir en congé pour maternité. Logique. L’accouchement est prévu pour le 5 ou 6 février. Le 27 décembre, autre annonce. La direction l’informe que la procédure contre elle est caduque et qu’en conséquence il n’y aura pas d’entretien. Le 28 décembre, la jeune femme accouche en urgence.

La situation de stress et d’angoisse peut être une des causes de cet accouchement prématuré estiment des médecins avec lesquels nous nous sommes entretenus indique Jean-Michel Prud’homme. Par ailleurs s’irrite le militant la réputation de cette jeune fille a été salie par la direction dont l’attitude a été totalement incohérente. On ne peut tolérer cela.

Au cours de cette affaire, FO a fait une lettre à la direction en pointant les problèmes de management dans l’entreprise. Le syndicat qui a alerté le ministère du Travail a aussi saisi l’Inspection du travail mais n’a toujours pas de réponse. Cela inquiète le syndicat. Cela fait des années que nous alertons l’Inspection du travail pour des problèmes de management. En quatre ans, trente saisines sont toutefois restées sans réponse.

Un management défaillant

Alors que le père de la jeune caissière, reçu ce 17 janvier par la Direction d’Auchan Le Pontet, envisageait ces derniers jours d’engager une procédure en justice contre le magasin, le syndicat FO cherche toujours de son côté à démêler cette affaire, notamment au plan de prétendues irrégularités commises par cette caissière.

Nous avons demandé à la Direction d’avoir accès aux données des caméras de vidéosurveillance… Or, nous attendons toujours ironise Jean-Michel Prud’homme. La direction explique-t-il disposait d’un délai de quinze jours pour conserver les données de vidéosurveillance et au besoin saisir le procureur de la République pour une procédure. Ce qu’elle n’a pas fait.

Pour le militant, les accusations menées par Auchan visent surtout à détourner l’attention du vrai problème : le management. Un management souvent défaillant explique en substance le délégué central FO d’Auchan Pascal Saeyvoet. Chez Auchan, l’activité de RH (ressources humaines) ne constitue pas un vrai métier, cela relève d’une promotion interne regrette-t-il.

Cette situation a des conséquences les personnes de ces services ont des problèmes de compétences. Ils méconnaissent le droit, tentent de faire pression, de s’immiscer parfois dans le fonctionnement des instances des salariés….

Bénéfices vs restructurations

Ces services n’accompagnent pas les managers lesquels ont peur de contredire les directeurs de magasins… Lesquels ont eux-mêmes des objectifs commerciaux à atteindre. Quant aux employés, ils n’ont aujourd’hui que le droit de dire « oui » et surtout pas d’être des contestataires. Illustration des difficultés vis-à-vis du dialogue social dans le groupe, une élue FO d’un magasin Auchan du Rhône est ainsi en arrêt maladie, pour dépression indique Pascal Saeyvoet.

Ces ambiances pour le moins délétères sont exacerbées par un contexte de restructuration. Depuis 2002, il y a eu au moins quatre plans dits de transformation. Ces plans, en clair des PSE, ont conduit à la suppression de 10 000 postes équivalent temps plein. Le dernier en date (Pacte 2014-2016) a induit le départ d’un millier de cadres.

Auchan va-t-il donc si mal ? Pas vraiment. Si Auchan France qui détient 140 sites (hypermarchés, logistique, SAV) connaît des difficultés depuis trois ans explique Pascal Saeyvoet, en revanche, à l’étage au-dessus, le groupe Auchan se porte bien. Il a ainsi dégagé 600 millions de bénéfices en 2015 relève le militant précisant par ailleurs que les bénéfices des diverses entreprises (y compris hors Auchan) détenues par la famille Mulliez ont rapporté à cette dernière 1 665 millions en 2015.

FO conteste les ouvertures du dimanche

Malgré cette situation confortable du groupe, les projets de restructuration se poursuivent chez Auchan France constate FO. Actuellement le syndicat s’inquiète d’un projet, annoncé dès l’an dernier, visant à supprimer 20% des postes d’hôtesses de caisse (actuellement 12 000). A ces postes supprimés se substitueraient des caisses automatiques.

FO conteste aussi actuellement l’ouverture des magasins le dimanche. A ce jour trente magasins ouvrent le dimanche indique Pascal Saeyvoet. Dimanche 22 janvier, on en un de plus : l’hyper Auchan V2 de Villeneuve d’Ascq près de Lille. FO appelle, y compris les clients, à un rassemblement de protestation dès 10h devant le magasin.

Au Pontet dans le Vaucluse, hors l’affaire de la jeune caissière, les militants FO guettent une décision de la Cour de Cassation. Protestant contre l’ouverture du magasin tard le soir, le syndicat avait contesté devant la justice la mise en œuvre du travail de nuit (légalement de 21h à 6 heures) et ses modalités devant la justice. La vie chez Auchan n’est pas un long fleuve tranquille pour les salariés.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

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