Avec le confinement, le télétravail s’improvise à grande échelle

Coronavirus / Covid19 par Clarisse Josselin

© Pascal SITTLER/REA

Depuis l’entrée en vigueur du confinement le 17 mars, tous les salariés dont l’activité le permet sont amenés à télétravailler. Près de 8 millions de personnes sont ainsi contraintes de travailler de chez elles, la plupart du temps hors de tout accord collectif. D’autres, qui craignent pour leur santé, se battent pour obtenir eux aussi de travailler tout en restant confinés. Pour FO, cette crise illustre la nécessité de négocier un accord national interprofessionnel sur le télétravail.

Avec le confinement, le télétravail s’improvise à grande échelle

Depuis l’entrée en vigueur du confinement le 17 mars, tous les salariés dont l’activité le permet sont amenés à télétravailler. Près de 8 millions de personnes sont ainsi contraintes de travailler de chez elles, la plupart du temps hors de tout accord collectif. D’autres, qui craignent pour leur santé, se battent pour obtenir eux aussi de travailler tout en restant confinés. Pour FO, cette crise illustre la nécessité de négocier un accord national interprofessionnel sur le télétravail.

« Tous ceux qui peuvent télétravailler doivent télétravailler, c’est impératif ! », a insisté le Premier ministre Édouard Philippe. « Tous les salariés qui peuvent faire du télétravail doivent faire du télétravail, d’office et sans formalité », a lancé de son côté la ministre du Travail. Avec la crise du Coronavirus et le confinement entré en vigueur le 17 mars, le télétravail s’est généralisé comme une traînée de poudre en France, dans le public comme dans le privé, souvent sans préparation. L’exécutif estime ainsi qu’environ 8 millions de personnes peuvent travailler à distance.

Selon le Code du travail, le télétravail consiste, pour un salarié, à exécuter de façon volontaire, hors des locaux de l’employeur, un travail qui aurait pu être exécuté sur le poste de travail habituel, en utilisant les technologies de l’information et de la communication. En cette période de confinement, il permet de rester chez soi tout en poursuivant tant bien que mal l’activité économique.

En temps normal, le refus du télétravail par un salarié n’est pas un motif de rupture du contrat de travail. Mais la loi prévoit que dans des situations exceptionnelles, notamment une menace d’épidémie, l’employeur peut imposer du télétravail pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés. Dans ces circonstances, le salarié ne peut pas refuser. En revanche, un employeur ne peut pas demander à un salarié en chômage partiel ou en arrêt de travail de télétravailler. « C’est totalement illégal et ça va être lourdement sanctionné », a prévenu la ministre du Travail.

Seulement 3 % de télétravailleurs réguliers

Avec ce lancement à une échelle inédite, beaucoup de salariés découvrent le télétravail dans la précipitation, hors de tout cadre juridique, avec les moyens du bord. Selon un rapport de la Dares paru en novembre 2019, le télétravail reste un mode d’organisation très minoritaire. Seuls 3 % des salariés (et parmi eux 11 % des cadres) le pratiquaient régulièrement au moins un jour par semaine en 2017.

Parmi eux, seulement un quart était couvert par un accord collectif d’entreprise, tandis qu’un sur cinq (21,7 %) avait passé un accord individuel avec sa hiérarchie. Pour plus de la moitié des télétravailleurs, sa mise en place est informelle et non encadrée juridiquement.

Les ordonnances Macron de septembre 2017 ayant facilité le recours au télétravail et assoupli le cadre juridique (voir ci-dessous), plus besoin de recourir à un avenant au contrat de travail : un simple échange de mails entre l’employeur et le salarié suffit. Le télétravail a toutefois encore du mal à faire sa place en France, en raison notamment du manque de confiance des managers envers leurs salariés. Pour l’employeur, il est moins facile de tout contrôler à distance.

Surpris par l’urgence, beaucoup d’employeurs n’étaient pas préparés à cette généralisation du télétravail. Les salariés ont souvent dû attendre plusieurs jours avant de pouvoir accéder aux réseaux internes. Et certains ont aussi dû s’équiper personnellement en matériel informatique.

Résultat, certains employeurs ont tendance à submerger de tâches les salariés. Les témoignages abondent sur une surcharge de travail en période de confinement. De leur côté, certains télétravailleurs, qui redoutent d’être soupçonnés de laxisme, n’hésitent pas à déborder de leurs horaires de travail habituels. Le tout dans un contexte pas forcément idéal lorsqu’il s’agit de concilier télétravail et garde d’enfant et que les réseaux sont saturés, et un droit à la déconnexion mal géré. Selon plusieurs médias, l’entourage de la ministre du Travail aurait d’ailleurs appelé les employeurs à la tolérance.

Arrêter les pressions sur les enseignants

Un message qui ne semble pas avoir été entendu par l’Éducation nationale, où la situation est tendue. FO y dénonce une généralisation du télétravail sans respect du cadre réglementaire. À la suite de la fermeture des établissements scolaires le 16 mars, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer a promis d’assurer la « continuité pédagogique » pour les 12 millions d’élèves grâce à l’enseignement à distance. Les 850 000 enseignants disposent pour cela des ressources du Centre national d’enseignement à distance (CNED) avec des exercices en ligne et la possibilité de faire classe par visioconférence. Ils peuvent aussi continuer à utiliser les espaces numériques de travail (ENT) pour échanger avec leurs élèves.

Par ailleurs, le ministre a demandé aux enseignants d’appeler chaque famille une fois par semaine pour maintenir un lien et éviter le décrochage. Les enseignants peuvent aussi se déplacer pour remettre des documents aux familles qui n’ont pas accès à Internet, avec toutes les difficultés et risques qui sont induits.

La fédération FNEC FP-FO appelle les autorités académiques à arrêter les pressions et les injonctions sur les enseignants qui travaillent dans des circonstances difficiles, avec des outils inexistants ou qui fonctionnent mal à cause de réseaux saturés. « Les personnels font ce qu’ils peuvent, en fonction de leur situation, explique Clément Poullet, secrétaire général de la fédération. Il n’est pas question de faire la classe normalement, le logiciel ne supporte pas la connexion et plante, beaucoup d’élèves ne sont pas connectés. Qu’on leur fiche la paix, même les parents disent ça suffit. Et des collègues craquent, il n’y a pas de respect du droit à la déconnexion ».

FO exige le respect des dispositions réglementaires d’avril 2018 sur le télétravail. « Il est évident qu’aucune de ces dispositions (volontariat, matériel mis à disposition, formation, limitation à trois jours par semaine, consultation du médecin de prévention pour l’aménagement du poste de travail à domicile…) ne sont respectées dans la situation de crise sanitaire majeure dans laquelle nous nous trouvons », souligne la fédération.

Respect de la liberté pédagogique

Quant au plan de continuité d’activité invoqué par l’exécutif pour maintenir un niveau minimal d’activité en cas de survenance d’événements exceptionnels, « aucune base réglementaire n’indique clairement son cadre, poursuit la FNEC FP-FO. Les seules préconisations précisent qu’il doit être élaboré en amont du problème. Les personnels se retrouvent donc confrontés à une situation dans laquelle les décisions prises par le gouvernement n’ont pas été anticipées par l’Éducation nationale. »

Pour FO, aucun télétravail ne peut donc être imposé. D’autant que, selon Clément Poullet, « en l’absence de cadre, c’est tout et n’importe quoi localement ». La fédération FO réaffirme donc que dans cette situation, il ne peut y avoir aucune exigence de la hiérarchie en termes de moyen ou de résultat.

Lors d’une visioconférence avec le ministre le 24 mars, la délégation FO a également demandé « un cadrage national clair », appelant à respecter la liberté pédagogique des enseignants.

La FNEC-FO rappelle enfin que les sorties, en contradiction avec les mesures de confinement, ne peuvent revêtir de caractère obligatoire. Elles ne doivent se faire que sur la base du volontariat et dans le respect des consignes sanitaires.

FO milite pour élargir le télétravail dans les banques

D’autres salariés, contraints de se rendre sur leur lieu de travail habituel alors qu’ils estiment être éligibles au télétravail, se battent aux côtés des syndicats pour faire appliquer les directives gouvernementales et protéger leur santé. C’est notamment le cas pour certains métiers sensibles en lien avec les finances ou les données confidentielles. Avec la mise en place de réseaux sécurisés, ils pourraient être exécutés à distance mais les employeurs restent frileux.

Depuis le début du confinement, FO-Banques milite ainsi pour que toutes les mesures réduisant les interactions physiques entre salariés soient prises dans les meilleurs délais. Et cela passe par l’autorisation de télétravail dès que c’est possible. Or, le travail à distance reste peu développé dans ce secteur. « Certaines fonctions sont éligibles mais les entreprises ne sont pas prêtes, explique Mireille Herriberry, responsable de FO-Banques. Il y a un manque de confiance des employeurs et pas assez de connexions sécurisées. »

Les revendications de FO ont fini cependant par être entendues dans certaines enseignes. « Il y a eu du gros travail de fait dans pas mal d’établissements, qui ont doublé leur capacité de lignes sécurisées et acheté du matériel, reconnaît Mireille Herriberry. Certains salariés ont même eu leur PC fixe installé chez eux. Comme quoi, c’est avant tout une question de volonté. » Mais certaines banques restent réticentes. FO, qui déplore une organisation au cas par cas, demande aux employeurs (AFB) des règles claires pour la branche, applicables sur tout le territoire.

Au centre d’appels Sonéo, les salariés ont exercé leur droit de retrait

Dans le centre d’appels Sonéo basé à Maxéville (Meurthe-et-Moselle), les salariés ont fait valoir leur droit de retrait le 17 mars. Pour eux, hors de question de retourner s’agglutiner côte à côte dans les open spaces. Ce site emploie près de 350 salariés et « il n’y a pas la distance de sécurité d’un mètre entre chacun », explique Lydie Voillemin, membre FO CSE et du CSSCT. Avec le soutien d’une intersyndicale à laquelle participe FO, les salariés ont exigé de pouvoir télétravailler ou d’être placés en chômage partiel.

« On avait négocié en urgence un accord sur le télétravail lundi 16 mars, précise la militante FO. Ça faisait trois ans qu’on le demandait ». Dans l’entreprise, le télétravail peut désormais être mis en place, à condition que le donneur d’ordre soit d’accord. Or l’un d’eux a refusé.

À la suite du droit de retrait, une négociation a été lancée avec la direction. Elle a abouti le 19 mars à un accord basé, en fonction des donneurs d’ordre, sur le télétravail, le volontariat ou le chômage partiel. Mais le lendemain, la direction a fait brusquement machine arrière. « Certains sont un peu revenus travailler et la direction menace de ne pas payer les absents, dénonce Lydie Voillemin. Tout le dossier a été transmis à l’inspection du travail le 26 mars, on attend maintenant son retour. »

Réseau saturé à la CPAM du Maine-et-Loire

Dans le secteur public également, des syndicats doivent se battre pour obtenir la mise en place du télétravail. Dans le Maine-et-Loire, ça a tourné au bras de fer pour les agents de la CPAM et de la CAF.

« La CNAM n’a pas anticipé la crise, dénonce Pierre-Yves Landreau, délégué syndical à la CPAM 49 où FO est majoritaire. Il faut des lignes sécurisées pour travailler à distance, car il s’agit principalement de paiements. Mais la CNAM n’avait pas envisagé de demander des accès nomades supplémentaires pour généraliser le télétravail. »

Dès les annonces de confinement, le syndicat s’est battu pour faire fermer la caisse et renvoyer tous les agents chez eux, qu’ils puissent ou non travailler à distance, afin de protéger leur santé. « C’était très compliqué car quelques collègues étaient contaminés, poursuit-il. Mais deux services ont été maintenus en fonctionnement restreint durant une semaine. » Le syndicat a finalement été entendu et désormais seules quelques personnes se rendent encore au centre logistique pour ouvrir le courrier.

D’ordinaire, à la CPAM 49, le télétravail ne concerne que 10 % à 15 % des agents, selon le délégué FO. Désormais c’est presque tout le monde et le réseau est saturé. « Comme ça bugue, l’employeur veut élargir les horaires de travail, dénonce le délégué FO. Pendant la canicule on avait demandé à travailler plus tôt, ça n’était pas possible mais là, tout devient possible, et les IRP ne sont même pas consultées. »

Les agents de la CAF 49 en danger selon FO

À la CAF 49, le délégué FO Frédéric Neau bataillait toujours le 26 mars pour faire fermer les plates-formes téléphoniques de conseil et service aux usagers (CSU) et imposer le télétravail. « Une directive de la CNAF indique qu’elles doivent rester ouvertes, dénonce-t-il. Le télétravail est possible pour le CSU de la CPAM, pourquoi pas chez nous ? Il y a eu deux cas de suspicion de Covid-19, à Angers et Cholet. En théorie, les agents qui ont côtoyé ces personnes auraient dû être confinés quatorze jours, mais la direction n’a pas pris de dispositions car elle ne veut pas fermer la plate-forme. » Des agents, soutenus par FO, ont fait valoir leur droit de retrait. « On a fait une enquête avec la CSSCT et on réaffirme qu’il y a un danger, poursuit Frédéric Neau. Le 25 mars, il y avait trois agents à Angers et quatre à Cholet au lieu d’une vingtaine, mais ils ne veulent toujours pas fermer. »

Pour FO, il est urgent de négocier un ANI sur le télétravail
« Ce confinement, c’est l’occasion de dire qu’il faut enfin négocier un cadre pour réguler le télétravail », explique Éric Peres, secrétaire général de FO-Cadres. FO revendique depuis des années la négociation d’un accord national interprofessionnel (ANI) sur ce thème. La confédération l’avait encore inscrit au dernier agenda social.

Actuellement, la législation sur le télétravail repose sur l’ordonnance Macron de septembre 2017. Il peut être mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou à défaut d’une charte élaborée par l’employeur. Mais il peut aussi faire l’objet d’un simple accord individuel entre l’employeur et le salarié.

« Nous voulons un ANI pour faire sortir le télétravail de la zone grise du gré à gré, où le salarié n’est pas en position de force, explique Éric Peres. Il est parfois mis en place au mépris de certains droits. Il y a aussi beaucoup de situations de télétravail mis en place sans accord ni négociation. »

Pour FO, un accord sur le télétravail doit permettre d’imposer des garanties minimales pour les conditions de travail du salarié, notamment en termes de temps de travail et de charge de travail.

Conserver une présence au bureau



« Il y a souvent un manque de confiance de la part de l’employeur, mais cela ne doit pas aboutir à un contrôle excessif ni à un pistage intensif du salarié », ajoute Béatrice Clicq, secrétaire confédérale chargée du numérique.

Lors de la concertation de 2017, FO avait souligné un certain nombre de risques, confirmés en partie par l’enquête de la Dares de 2019 sur le télétravail. Il s’agit par exemple de la confusion des temps de vie et d’horaires de travail plus longs. Selon la Dares, les télétravailleurs réguliers travaillent en moyenne 35 minutes de plus que leurs collègues et sont plus nombreux à dépasser 50 heures par semaine. Ils sont aussi davantage isolés et sont en rupture de contact avec les instances représentatives du personnel. Moins visibles, ils risquent aussi un ralentissement de l’évolution de leur carrière. C’est pourquoi FO s’oppose au télétravail à temps complet et demande de conserver au moins un jour de présence physique au bureau.

Par ailleurs, FO revendique le remboursement obligatoire par l’employeur des frais engagés par le salarié (achat de matériel, logiciels, abonnements, frais de communication...), obligation supprimée par les ordonnances Macron. De même, la confédération souhaite le retour d’une indemnité spécifique pour l’utilisation de son domicile à des fins professionnelles. « Le télétravail permet à l’employeur de faire beaucoup d’économies », souligne Béatrice Clicq.

FO souhaite également poser la question du contrôle par la médecine du travail car « tout le monde n’est pas armé pour télétravailler », estime Éric Peres.

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante