[Bande dessinée] Des bombes et des hommes

Culture par Christophe Chiclet, L’inFO militante

À l’occasion de la cérémonie des 25 ans des accords de Dayton mettant fin aux premières guerres yougoslaves, les éditions Futuropolis sortent une BD sur le long siège de Sarajevo [1].

Cet album commence avec une mini préface du grand Enki Bilal. Né en 1951 à Belgrade d’un père Bosniaque et d’une mère tchèque, arrivé en France à l’âge de dix ans ; la famille Bilal a été naturalisée française en 1967. Préface aussi touchante que cette BD, d’autant que Enki a bien connu Sarajevo avant et après la guerre civile de 1992-1995. Et la BD finit avec des photos du grand photographe macédonien Georgi Lazarevski.

L’auteure, Estelle Dumas, a été humanitaire à Sarajevo durant le siège. Elle porte un regard juste, précis et critique sur les ONG. En effet, sur le terrain, dans l’ex-Yougoslavie et sur d’autres théâtres d’affrontement, les humanitaires, comme les casques bleus, ont généré autant de problème qu’ils n’en ont résolu !

Cette BD a su éviter le mélo, tout comme le manichéisme. De plus elle résume bien l’ambiance du siège avec ses horreurs, ses drames, ses petites bassesses, sans oublier les égoïsmes, mais aussi l’héroïsme quotidien d’une population assiégée pendant près de trois ans.

Le rêve de la culture

Quand les nationalistes fous et fanatiques de Zagreb et de Belgrade ont mis le feu à ce havre de coexistence interethnique que fut la magnifique Bosnie-Herzégovine, Sarajevo, la capitale de cette République, a été encerclée, ainsi que nombre de villes moyennes, devenues enclavées. La BD raconte un épisode peu connu. Les habitants de Gorazdé avaient besoin de convois d’aide humanitaire, en particulier de l’alimentation. Mais leur plus grand bonheur fut quand l’héroïne, la Française de l’ONG, surnommée la « Betty Boop de Sarajevo » a apporté des bobines de films au cinéma endommagé par les bombardements de la petite cité assiégée.

Dans les pires conditions, les Hommes ont aussi besoin de se raccrocher à la culture : cinéma, lecture… Cette BD n’en parle pas, mais n’oublions pas que le grand poète bosniaque, Izet Sarajlić (1930-2002) a écrit ses plus grands poèmes quand il est resté enfermé dans sa ville.

Par ailleurs, cette BD met en image, avec finesse et émotion la dérive du « komciluk », terme turco-ottoman signifiant « bon voisinage ». En Bosnie ce fut souvent le cas entre les Bosniaques musulmans, les Serbes, les Croates, les Juifs. À noter que les musulmans sont des Serbes qui ont été islamisés à l’arrivée des Ottomans. Or en 1992, le « bon voisinage » s’est transformé en « crime intime ». On a tué le voisin parce qu’il était Serbe ou Musulman [2], comme un épisode de l’album le décrit bien tragiquement. À lire sans retenue en ces temps de reconfinement.

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Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

Notes

[1Des bombes et des hommes, texte : Estelle Dumas, dessin : Julie Ricossé et Loïc Godart, photos Georgi Lazarevski.

[2En 1974, Tito, pour différencier les Bosniaques des Serbes et des Croates, a créé la nationalité Musulmane avec un «  M  » majuscule, faisant un mélange entre religion et ethnicité. En plus il voulait faire plaisir aux pays musulmans membres du Mouvement des non-alignés dont il était un des leaders.