Le Conseil d’administration de l’OIT, saisi notamment par FO, avait, le 25 mars 2022, reconnu que, dans certains cas, le barème français des indemnités prud’homales pourrait ne pas assurer une réparation adéquate du préjudice (notamment au regard des difficultés à retrouver un emploi, en raison de la situation de famille, etc.) en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (344e session, mars 2022, GB.344/INS/16/3).
Les premières études statistiques en la matière ont montré un phénomène de découragement à saisir les conseils de prud’hommes au regard des indemnités négligeables auxquelles les salariés, notamment ceux disposant d’une faible ancienneté ou de faibles ressources, peuvent prétendre en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il ressort également de ces études une réduction drastique des dommages et intérêts alloués par le juge postérieurement à l’instauration du barème : en effet, plus de la moitié des indemnités accordées avant l’application du barème étaient supérieures au plafond du barème.
Le conseil d’administration demandait au gouvernement français de veiller, en concertation avec les syndicats, à intervalles réguliers, à ce que les salariés injustement licenciés bénéficient effectivement, dans tous les cas, d’une réparation adéquate conformément à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT.
Dans le même temps, par deux décisions en date du 26 septembre 2022 et du 30 novembre 2022, le CEDS, saisi notamment par FO, considérait que le barème français violait la Charte sociale européenne au motif que le droit à une indemnisation adéquate ou à toute autre réparation appropriée au sens de l’article 24.b de la Charte n’était pas garanti par le droit français (réclamations n°160/2018 et n°175/2019).
En droit interne, malgré la position de la Cour de cassation, dans ses arrêts du 11 mai 2022 (n°21-14490 et 21-15247), rejetant la possibilité d’effectuer un contrôle « in concreto » par une motivation plus que contestable, la cour d’appel de Douai a fait œuvre de résistance en jugeant qu’au regard de la situation particulière du salarié (son âge avancé, ses charges de famille et ses prêts), il y avait lieu d’écarter le barème prévu à l’article L 1235-3 du Code du travail (CA Douai, 21-10-22, n°20/01124) en se fondant sur la Convention 158 de l’OIT qui exige une réparation adéquate et appropriée du préjudice subi. Elle relevait également que si la loi est la même pour tous, le principe d’égalité ne s’oppose pas au principe d’individualisation des décisions.
Dernièrement, la cour d’appel de Grenoble a décidé de suivre ce mouvement de résistance en faisant œuvre d’originalité dans son raisonnement juridique. Constatant que le gouvernement français n’a réalisé aucune évaluation régulière, visant à vérifier que les salariés français injustement privés d’emploi bénéficient effectivement d’une réparation adéquate, depuis le 24 septembre 2017, date d’entrée en vigueur du barème, la cour d’appel de Grenoble a écarté purement et simplement le barème français du litige en cause (CA Grenoble, 16-3-23, n°21/02048). Pour les juges de Grenoble, un salarié peut donc s’appuyer sur un manquement aux recommandations de l’OIT pour solliciter que le barème soit écarté au regard du préjudice dont il justifie.
Que ce soient des conseils de prud’hommes ou des cours d’appel, les juridictions du fond marquent leur désaccord profond avec la position stricte adoptée par la Cour de cassation niant la faculté pour le juge de fixer librement le montant des dommages et intérêts à la hauteur du préjudice subi.
Dès lors qu’une partie invoque dans un litige une violation des textes internationaux pour écarter le barème français des indemnités prud’homales, les juges ne doivent pas hésiter à résister à la Cour de cassation qui, par une motivation sujette à critique, a retenu une compatibilité du barème français avec la Convention 158 de l’OIT et à la non-application en droit interne de l’article 24 de la charte sociale européenne.
C’est en faisant preuve de persévérance que nous obtiendrons un infléchissement de la Cour de cassation ou du législateur français. Le combat est long…mais il n’est pas perdu d’avance !