[BD] Fréhel, le blues de la « Java bleue »

Culture par Michel Pourcelot

Un BD-roman graphique qui gouaille. C’est l’histoire de Fréhel, icône, bien avant Piaf, de la chanson réaliste. C’était les années trente, les grèves, les valses et les javas.

Elle est associée aux années 30, au Front populaire, aux « grèves joyeuses », à l’accordéon, l’époque de Pépé le Moko, film où elle apparaît déjà nostalgique de ses heures de gloire. Fréhel n’était déjà plus de prime jeunesse à l’époque. Ce sont d’ailleurs surtout ses premiers pas et ses débuts qui constituent l’essentiel de Fréhel, la BD-roman-graphique, que lui a consacré Johann G. Louis, par ailleurs réalisateur, auteur et illustrateur, « coup de cœur » du festival de la BD d’Angoulême pour son Shelley, après l’autruche tournez à droite (éditions du Pelimantin, 2015). Pour Fréhel, Johann G. Louis a abandonné le NB et blanc griffé, présentant une vague parenté avec Johann Sfar et autres. Certes, c’est la même patte mais cette fois-ci avec des couleurs, dont beaucoup en demi-teintes aquarellisées, qui contrastent avec les laideurs industrieuses de l’époque.

Fleur de bitume

Fréhel commence à la fin du XIXe siècle dans le alors pauvre XVIIe arrondissement. Ses parents sont bretons, d’où le pseudo de Fréhel, nom d’un cap près de Saint-Malo et du village de ses parents. Le père, cheminot, s’est fait arraché un bras par une loco. La mère, concierge, se prostitue occasionnellement boulevard Bessières. Fréhel nait Marguerite Boulc’h, un vendredi 13, en 1891, dans cette fin de siècle empuantie par les scandales, de Panama à la « traite des blanches », la crise boulangiste et les sanglantes répressions de grèves. Le tableau ne va pas s’améliorer. Fleur de bitume, la future Fréhel est sur le trottoir très jeune mais elle chante. Dès 5 ans. Après avoir été remarquée par une demi-mondaine, la « môme Pervenche » est lancée vers 1908, triomphe, rivalise avec Damia, et part en vrille, comme le monde entier, avec la guerre, au point de se perdre dans les bas-fonds de Constantinople, d’où elle est rapatriée en 1923. Elle arrive à remonter la pente et s’impose dans les années 30. Mais avec le nouveau conflit, elle recommence à glisser. Celle que l’on l’avait surnommée « l’inoubliable oubliée », qui confiait, J’ai chanté les grandes détresses de la misère et de l’abandon. meurt seule dans une chambre d’hôtel de la rue Pigalle en 1951, dans sa soixantième année. La revoici. On dit qu’il lui arrivait d’apostropher son public avec un : Fermez vos gueules, j’ouvre la mienne. Fréhel est un album à ouvrir.

 

Fréhel, de Johann, G. Louis, publié chez Nada éditions, en septembre 2018. 288 pages. Prix environ 29,90 €.

Michel Pourcelot Journaliste à L’inFO militante