Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat FO Magistrats : « La vraie question, c’est “et après ?” »

Interview par Evelyne Salamero

© F. BLANC

Béatrice Brugère, actuellement vice-procureur de la République au tribunal de grande instance de Paris, est une ancienne juge antiterroriste. Elle livre ici l’analyse du syndicat FO Magistrats au lendemain des attentats du 13 novembre.


L’état d’urgence a été prolongé de trois mois. Qu’en pensez-vous ?

Béatrice Brugère : Des mesures exceptionnelles ont été prises, qui correspondent à l’évaluation d’une menace exceptionnelle. Elles ont été efficaces. Les perquisitions vont sans doute déboucher sur des enquêtes judiciaires qui vont peut-être réussir à démanteler des réseaux. Mais la vraie question, c’est « et après ? ». Si on veut ne pas remettre en question notre système, qui repose aussi sur la garantie des libertés, il va falloir trouver des moyens d’agir adaptés à cette menace-là, inventer de nouveaux outils. Aujourd’hui, on n’a pas encore trouvé ces moyens, donc on durcit notre système. Mais on ne peut pas être toujours en état d’urgence !


Aurait-on pu anticiper davantage ?

Béatrice Brugère  : Les services de renseignement ont correctement évalué la menace depuis longtemps. Pas les politiques. Si on est dans l’urgence aujourd’hui, c’est qu’ils n’ont pas assez anticipé. La clé c’est de comprendre que la question n’est pas « l’ennemi, c’est qui ? », mais « l’ennemi, c’est quoi ? ». Par exemple, il faut avoir conscience que ces terroristes sont prêts à mourir pour une idéologie, alors que nous sommes habitués à des délinquants qui cherchent au contraire à s’échapper et que la propagande djihadiste s’alimente de notre action extérieure. Il y a dix ans c’était le conflit irakien. Aujourd’hui l’épicentre s’est déplacé en Syrie.


Que pensez-vous de la modification annoncée de la Constitution ?

Béatrice Brugère : Il faut en connaître les modalités exactes avant de porter un jugement définitif. L’état d’urgence est actuellement encadré par une loi simple. A priori, si on l’inclut dans la Constitution, on le hisse à un degré supérieur dans la hiérarchie des normes, ce qui exige qu’on le passe au crible du socle de nos garanties en matière de libertés individuelles et publiques. C’est en tous les cas ce que le syndicat FO des magistrats préconise. Encore une fois, il faut attendre de connaître le contenu exact de cette modification.


Et les créations d’emplois annoncées ?

Béatrice Brugère : Après les attentats contre Charlie Hebdo, on nous a annoncé 950 postes. Cette fois, c’est 2 500. On ne sait pas si ce nouveau chiffre intègre le précédent, ni quels postes vont être créés exactement. On a pris tellement de retard qu’avant qu’on se soit remis à niveau, ça prendra beaucoup de temps. Si les perquisitions continuent au rythme actuel pendant les trois mois qui viennent, on ne va pas pouvoir suivre pour faire les enquêtes judiciaires qu’elles entraînent. 


Propos recueillis par Evelyne Salamero


Quelques clés
 L’État d’urgence, encadré par la loi de 1955, donne aux autorités – civiles – des pouvoirs de police exceptionnels (réglementation de la circulation et du séjour des personnes, fermeture des lieux publics...).
 L’état de siège, encadré par l’article 36 de la Constitution, permet le transfert de pouvoirs de police de l’autorité civile à l’autorité militaire.
 La révision constitutionnelle annoncée pourrait se traduire par l’intégration de l’état d’urgence dans l’article 36 de la Constitution.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante