La lutte contre une fermeture d’entreprise, c’est un marathon, pas un sprint : il faut conserver des forces pour les bagarres à venir
, estime Reynald Millot, secrétaire général de l’union départementale Force ouvrière de l’Yonne. À l’usine Benteler Automotive de Migennes, au nord d’Auxerre, les salariés – près de 400 dont 311 en CDI – ont donc repris le travail début décembre après une semaine de blocage total, mené jour et nuit par une intersyndicale comptant notamment FO, syndicat majoritaire dans l’entreprise.
C’était le premier round d’une mobilisation sociale pour préserver l’intégralité des emplois et la pérennité du site
, poursuit Reynald Millot. À l’origine de cette éruption de résistance des salariés
, l’annonce le 18 novembre de la fermeture d’ici fin 2022 d’un établissement jugé non-compétitif
par Benteler, qui déclare n’avoir pas les moyens de réinvestir dans le site de Migennes
. Après avoir annoncé en juin se désengager de l’usine, qui fabrique des structures de voitures pour Renault, Volvo ou Stellantis, le groupe avait fixé à fin octobre la date butoir pour trouver un repreneur. Sans succès.
Les négociations de sur la reprise du travail ont porté leurs fruits, les salariés décrochant une importante augmentation des salaires et une prime de fin d’année de 2 000 euros. Ils ont obtenu, surtout, que l’entreprise s’accorde un sursis d’un mois pour tenter de trouver un repreneur.
À court terme, ces négociations sont très satisfaisantes, mais nous sommes toujours inquiets pour l’avenir du site
, tempère Valentin Rodriguez, secrétaire fédéral FO Métaux en charge de l’automobile. Abderrahmane Nassour, délégué FO dans l’entreprise explique de son côté : La procédure continue mais il nous a semblé plus judicieux de retourner au travail pour le moment, au cas où une opportunité se présente.
Faire bonne impression à un éventuel repreneur tout en préservant le rapport de force : l’équilibre est difficile à maintenir
, souligne Reynald Millot.
L’État sollicité pour trouver un repreneur durable
Déjà en juin, lors de la première campagne de recherche d’un successeur, les salariés de Benteler avaient accepté de donner un coup de collier supplémentaire. La direction avait fait passer le message : si on ne se montrait pas bons, il n’y aurait pas de repreneur, se souvient Abderrahmane Nassour. C’était la carotte : les gens ont travaillé plus.
Une offre avait alors retenu l’attention, celle de l’allemand Mutares, mais n’avait finalement pas été jugée pérenne au-delà de 2023.
On est extrêmement vigilant sur le fait que le repreneur soit dans une dynamique de reprise durable de l’intégralité des emplois, on ne voudrait pas qu’il soit en réalité un liquidateur camouflé
, appuie Reynald Millot.
Même mobilisation du côté de FO Métaux : On est intervenu auprès de Bercy
, précise Valentin Rodriguez. Un levier qui serait de taille pour sauver l’un des principaux pourvoyeurs d’emplois du département : le ministère, explique-t-il, peut mettre tout le monde autour de la table et apporter des garanties aux repreneurs qui hésitent.
Mais sans réponse de la part de l’État pour le moment, le principe de réalité s’applique
. Ainsi la fédération et travaille à de possibles alternatives pour les salariés au cas où la fermeture deviendrait effective. Des groupes industriels du coin pourraient accepter quelques reclassements
, avance Valentin Rodriguez.
Fermetures à la chaîne dans un bassin d’emploi sinistré
Mais difficile d’imaginer retrouver 400 postes dans une région sinistrée au plan industriel. À Avallon, quelques dizaines de kilomètres au sud, l’usine SKF est menacée de fermeture ; même situation à Auxerre chez l’équipementier Figeac aéronautique. Quand la crise sanitaire a vu le jour début 2020, on commençait juste, au niveau de l’emploi, à se redresser de la crise de 2008, qui a entraîné la fermeture d’un grand site à Auxerre, Fulmen
, rappelle Reynald Millot. C’est là que travaillait Abderrahmane Nassour, qui a rebondi à Benteler
en 2010.
Les faibles perspectives de réemploi inquiètent donc fortement les salariés. On n’est pas en situation de traverser la rue pour trouver du boulot, s’agace le responsable magasin. Ici de l’autre côté de la rue, c’est Pôle emploi !
Un horizon d’autant plus dramatique qu’une soixantaine de couples travaillent ensemble sur le site, soit autant de jeunes foyers – parfois endettés et avec des enfants à charge – entièrement privés de ressources en cas de fermeture.
Pourtant, les salariés de Benteler avaient déjà consenti à faire des sacrifices en 2016. On avait fait des efforts, accepté des accords de compétitivité, rappelle Abderrahmane Nassour : on a travaillé quinze minutes par semaine gratuitement, perdu 13 ou 14 RTT… Évidemment, c’était dur.
Volvo leur avait alors confié la fabrication du châssis de son nouveau modèle, et l’activité était repartie
.
Mais depuis, le flot de nouveaux contrats s’est tari. Au point qu’Abderrahmane Nassour s’interroge sur une mort plus ou moins programmée
de l’usine. Plein d’éléments convergent pour laisser entendre que le groupe Benteler a méthodiquement organisé cette fermeture,
Le groupe ne cache guère ses ambitions de délocalisation.
Solidarité interprofessionnelle au sein de FO
Alors au sein de FO, la solidarité s’organise pour tenter de dénicher de nouveaux contrats pour Migennes. Nos sections des sites de Stellantis à Vesoul et de Renault à Villeroy ou à Cergy sont informées et interviennent auprès de leurs groupes pour les pousser à proposer des projets à Benteler, confie Reynald Millot. C’est tout l’intérêt d’un syndicat confédéré interprofessionnel.
À l’échelle du département également, les syndiqués se mobilisent : différentes branches FO de l’Yonne ont lancé une caisse de grève pour soutenir les travailleurs.
Car en cas de fermeture, c’est le dynamisme du département entier qui en pâtira. Demain, les enfants de Migennes pourraient y travailler,
L’impression de gâchis est d’autant plus forte que la situation n’est pas liée, comme pour d’autres équipementiers automobiles en difficulté, à la transition énergétique que connaît le secteur et à la fin du moteur thermique. Benteler fabrique des essieux et des châssis : ces pièces seront toujours fabriquées demain pour les véhicules électriques
, souligne Valentin Rodriguez. Quand j’entends Bruno Le Maire