Ce 11 mai sonne l’heure du déconfinement. Cela ne signifie pas pour autant que le Covid-19 a disparu. Les hospitalisations perdurent tel qu’en Dordogne ou dans la Vienne, de petits clusters (foyers d’infections) menaçant de se développer si la chaîne de contamination n’est pas cassée aussitôt.
En appelant au déconfinement ce 11 mai, notamment pour une relance de l’activité économique par la réouverture des entreprises et de la plupart des commerces, le gouvernement se fait fort de résoudre un casse-tête : faire conjuguer cette reprise avec la réussite d’un système de vigilance sanitaire capable d’étouffer dans l’œuf toute reprise de l’épidémie.
Le gouvernement assure que des tests de dépistage au Covid, sur des personnes présentant déjà des symptômes, peuvent être désormais réalisés sans difficulté sur tout le territoire. Précédemment, le Premier ministre avait indiqué que la réalisation de 700 000 tests de dépistage par semaine serait à réaliser dès le déconfinement. Cette capacité n’a pas été réaffirmée depuis.
La Sécu au cœur du dispositif
Quoi qu’il en soit, le gouvernement compte assoir sa méthode de vigilance sanitaire sur la réalisation de tests des personnes symptomatiques (tests effectués par des personnels médicaux : médecins, infirmiers, étudiants en médecine…) et de compléter cette pratique par une enquête visant à connaître les personnes ayant été en contact avec ces malades potentiels. L’objectif est de tester, aussi, ces cas contact
, de les isoler et si besoin, de les faire entrer dans un processus de suivi médical.
La mission de retrouver les cas-contact sera confiée à des brigades sanitaires
autrement nommées brigades de traçage
, en anglais de contact tracing
. Le conseil scientifique estime qu’il faudrait un effectif de 30 000 personnes pour mener à bien ce travail.
Adopté le 9 mai par le Parlement, le projet de loi, prorogeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet, acte aussi (article 6) la possibilité de collecte et de partage de données médicales y compris sans le consentement des assurés. Le législateur a décidé que les données collectées ne devront porter que sur la contamination par Covid et ne pourront être stockées au-delà de trois mois.
Toutefois, la méthode d’enquête par brigade n’est pas sans poser de problèmes. Par ses modalités, elle apporte son lot de questions, d’incertitudes, voire de contestations de la part de ceux sollicités pour la mettre en œuvre, principalement les personnels de la Sécurité sociale.
Le gouvernement fait le choix de faire appel à un des organismes chargés d’une mission de service public qu’est la Sécurité sociale. Cela pourrait sembler traduire sa confiance envers le professionnalisme de personnels assermentés. Mais, dans le cadre de cette méthode d’enquête, la manipulation d’informations confidentielles pose, à l’évidence, beaucoup de questions.
La Cnil aux aguets
Ainsi, la Cnil avait alerté récemment sur la nécessité d’établir des règles et des garde-fous concernant les futurs fichiers que constitueront les brigades sanitaires contre le coronavirus, le traitement des informations qu’ils contiendront, ainsi que leur durée de conservation et leur destruction.
Marie-Laure Denis, présidente de la Cnil, a ainsi indiqué que les agents de la CNIL effectueront, dès la mise en place des brigades Covid, des contrôles afin de vérifier le respect des dispositions.
A l’étranger, certains gouvernements ont choisi eux aussi que soient menées des enquêtes pour détecter les cas-contacts. Des systèmes équivalents à celui de la France ? Pas tout à fait et les différences sont de taille. En Corée du Sud par exemple, des brigades ont été mises en place et elles ont accès à une flopée de données numériques, fournies par les opérateurs nationaux de téléphonie. Elles s’appuient aussi pour leur travail de traçage sur des données bancaires ou encore sur les vidéos de caméras de surveillance placées dans l’espace public.
Autre exemple, la Belgique qui a choisi de tracer
les personnes qui ont été en contact avec quelqu’un déclaré comme contaminé, appuie sa logistique sur un recours à du personnel médical, certes, mais largement aussi en ayant recours aux mutuelles et à des call center (plateformes d’appels), privés, recrutés sur appels d’offres.
La France a choisi une voie différente en s’appuyant sur la Sécurité sociale. Pour le SNFOCOS, un des syndicats de la section fédérale des Organismes sociaux de la FEC FO, ce recours à l’Assurance maladie (…) témoigne de l’importance de notre institution
. Le syndicat FO des cadres des Organismes sociaux, souligne encore à quel point, durant cette crise, la Sécurité́ sociale est un pilier de notre République et une base solide et reconnue de notre modèle social
.
Le problème de la confusion des genres
Cela n’empêche pas de poser questions et revendications
dans le cadre de la mise en œuvre de ces brigades. Ainsi indique-t-il, l’engagement des salariés volontaires devra se traduire financièrement
et il faudra respecter les droits des salariés
, appelant à la vigilance pour informer, alerter, revendiquer
.
La création des brigades jette en effet le trouble chez les agents de la Sécurité sociale. La section fédérale FO des Organismes sociaux à laquelle sont rattachés les personnels des organismes sociaux déplore ainsi que cette mise en place de brigades se substitue à un dépistage systématique
de la population. Dépistage que la fédération revendique.
Alors que leur mission, d’ordinaire de nature administrative, consiste à rembourser et traiter les prestations des assurés sociaux
, les personnels de la Sécu risquent d’être amenés à jouer un autre rôle que le leur et cela en faisant fi de certaines de leurs obligations en quelque sorte déontologiques souligne la section fédérale FO. Elle rappelle que les salariés de la Sécurité sociale sont tenus au secret professionnel et qu’ils n’ont pas le droit de divulguer les données administratives et médicales des assurés sociaux
.
Or, indique-t-elle, pour annoncer à une personne qu’elle a été en contact avec un assuré
contaminé, cela suppose d’utiliser les données des assurés sociaux
et sans leur accord
. Cette méthode de brigade est pour le moins inquiétante analyse la fédération craignant aussi que cela ne créé un précédent
dans l’utilisation des données propres à la Sécu.
Sécu : la dégradation des conditions de travail en embuscade
Sans compter, les difficultés humaines qu’impliquera le travail des agents de la Sécu au sein des brigades sachant que cette mission (annonce aux assurés qu’ils sont des cas contacts, qu’ils doivent s’isoler…) inédite n’a fait l’objet pour l’instant d’aucune formation spécifique.
Quelque 5000 employés de la Sécu devraient être mobilisés
pour ces brigades évalue la section fédérale FO soulignant que les services de la Sécu devront toutefois continuer à assurer leur mission habituelle. A priori avec des effectifs en moins, donc.
Cela renvoie aux difficultés récurrentes concernant les conditions de travail des agents de la Sécu, alors même que celles-ci se sont déjà dégradées au fil des suppressions d’emplois. La convention d’objectifs et de gestion (COG) 2018-2022 prévoit de nouvelles suppressions : 3600 postes d’ici 2022 (resteraient 61200 postes) au sein de l’Assurance maladie et la suppression de 11 500 postes sur l’ensemble des secteurs de la Sécu, cela accompagné d’une nouvelle mise à la diète chaque année des coûts de fonctionnement.
Dans le cadre de la constitution des brigades, les conditions de travail qui devraient être appliquées aux employés de sécu amènent ces derniers à s’interroger, pour le moins. Les brigades fonctionneront de 8 heures à 19 heures et 7 jours sur 7
relève ainsi la section fédérale FO. Elle rappelle que la Confédération FO demande l’abandon de l’ordonnance prise par le gouvernement qui ouvre la possibilité des journées de 12 heures ainsi que le travail du dimanche
. Or, s’irrite la section fédérale des Organismes sociaux qui demande l’abandon
des brigades, de telles mesures dérogent au Code du travail et à notre Convention collective nationale
.