Il n’est pas tendre avec le projet de loi de finances pour 2020 (PLF2020) présenté le jeudi 26 septembre par le gouvernement, plus précisément par le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire et le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin. Le Haut conseil sur les finances publiques (HCFP), organisme rattaché à la Cour des comptes juge en effet sévèrement le PLF 2020. La trajectoire prévue pour du déficit structurel ? Selon le HCFP, le projet présente « un ajustement structurel et un effort structurel pratiquement nuls ». Pour le HCFP, cela pose un « problème de cohérence ». Ce qui est proposé par le gouvernement serait « très en-deçà » de ses engagements précédents et tout aussi « en-deçà des règles européennes du Pacte de stabilité ».
Le gouvernement aurait-il choisir de desserrer l’étau de la dépense publique et de mettre fin à la marche forcée vers la résorption du déficit public ? Cela pourrait en donner l’apparence mais ce n’est pas la réalité. Loin s’en faut. Ce PLF 2020 « s’inscrit une nouvelle fois dans la trajectoire de retour à l’équilibre budgétaire, dont les conséquences se mesurent chaque jour sur les services publics et la protection sociale » analyse Nathalie Homand, secrétaire confédérale en charge de l’Economie et du service public.
Lors de la présentation budgétaire le 26 septembre, les ministres Bruno Le Maire et Gérard Darmanin ont d’ailleurs annoncé la couleur. Pour obtenir des économies sur les comptes publics et réduire le déficit public de plus de 20 milliards d’euros en 2020 le gouvernement entend s’appuyer, et jusqu’en 2022, sur certains secteurs mais encore éléments de réforme ou contexte économique.
Les ministres citent ainsi pêle-mêle l’Assurance chômage (pour 1,2 milliards d’euros d’économie en 2020 via la réforme puis 3,4 milliards d’euros d’économies d’ici 2022), l’Audio-visuel public (dont les crédits baisseront de 70 millions soit une perte de 1,8% de son budget), le Logement (pour 1,2 milliards d’euros d’économies), les niches fiscales (un rabotage léger sur des niches concernant les entreprises devrait réduire de 650 millions le manque à gagner pour l’État), le prélèvement à la source (dont le nouveau mode de recouvrement devrait apporter 2 milliards supplémentaires de recettes fiscales), les taux d’emprunts actuellement très bas (induisant une économie de 6 milliards)…
Aux critiques de certains l’accusant de ralentir les efforts de recul de la dépense publique (État, Sécurité sociale, collectivités locales), le gouvernement sort pour ce PLF les chiffres concernant l’évolution du solde de l’État. Il prévoit ainsi pour l’État un déficit de 93,1 milliards d’euros en 2020 ce qui marque se félicite-t-il un net recul par rapport à 2019 puisque il s’élevait alors à 107,7 milliards d’euros.
Plus largement « nous poursuivons la baisse des dépenses publiques » et travaillons au « rétablissement des finances publiques » déclare Bruno Le Maire soulignant qu’au total, le recul de ces dépenses s’établira à 2,3 points de PIB sur le quinquennat. Et, se réjouit le gouvernement, entre 2017 et 2020 les dépenses publiques auront reculé de 40 milliards d’euros.
La réponse à la « crise sociale majeure » ?
Le gouvernement qui a établi le projet de budget pour 2020 sur une croissante à 1,3% (contre 1,4% en 2019) et un déficit public à 2,2% de PIB (contre 3,1% en 2019 en comptant le poids de la transformation du CICE et 2,3% hors CICE) affiche sa volonté de jouer la prudence. Une prudence, explique-t-il notamment, face à l’environnement économique international impacté par un ralentissement de la croissance mondiale, des tensions commerciales mais aussi face aussi aux tensions géopolitiques au Moyen-Orient ou encore aux incertitudes en Europe dues, entre autres, à la situation compliquée face au Brexit.
La prudence trouve aussi ses motivations dans le contexte social en France et particulièrement dans la crise qui a éclaté depuis novembre 2018 contraignant le gouvernement à prendre des mesures qui n’ont pas pour autant, pour l’instant, répondu à la demande sociale… « On tient compte d’une crise sociale majeure qui oblige à tenir compte de la situation sociale des Français » indique Bruno Le Maire précisant « on protège l’investissement (des entreprises, Ndlr) et la consommation (des ménages, Ndlr) ».
Dans cette optique, expliquent les ministres, le choix a été fait notamment de « diminuer les impôts de quasiment tout monde (parmi les ménages, Ndlr), tous ceux qui sont en dessous de la tranche à 30% ». « Rattrapé par la réalité sociale, le gouvernement est contraint de s’engager dans une baisse d’impôts importante à destination des ménages en 2020 » analyse la Confédération FO.
Et Bruno Le Maire de déclarer : « on assume le risque pour les recettes », le manque à gagner en termes de recettes fiscales pour l’État. Pour le gouvernement, « l’augmentation des impôts n’est pas une option possible ».
Baisse d’impôts… Perte de recettes
Selon le plan de ce PLF pour 2020, les taux d’intérêts bas permettent de « réduire la charge de la dette » mais le niveau de ces taux « vont remonter et il faut nous y préparer ». L’investissement « est la seule réponse possible » assène Bruno Le Maire et cela passera par des choix sur la fiscalité laquelle devra afficher sa « constance ». Pour les deux ministres tant pour le soutien « à l’investissement par les entreprises que pour la consommation des ménages, qui a redémarré au 2d trimestre, cela grâce à une confiance qui revient » il n’est pas question d’une hausse d’impôts.
« Si la croissance de la France résiste, c’est notamment grâce à la consommation » explique le gouvernement assurant dans le cadre de ce PLF 2020 vouloir « recréer de la richesse pour les Français ». Par ailleurs, insiste Bruno Le Maire, « on peut être fier de la manière dont la France résiste aux tempêtes ».
Le ministre cite l’exemple de l’augmentation de plus de 50 milliards en deux ans des investissements des entreprises. « Notre politique permet aux Français de commencer à percevoir le retour de leurs efforts » prétend le gouvernement qui annonce avec fierté la baisse de 30 milliards d’euros des prélèvements obligatoires entre 2017 et 2020.
Sur cette période le recul serait de dix milliards d’euros pour les entreprises et de vingt milliards pour les ménages. Pour ces derniers, le gouvernement annonce un recul des prélèvements obligatoires de 9,3 milliards d’euros en 2020. Il comptabilise notamment la baisse de l’impôt sur le revenu (pour 5 milliards d’euros) programmée via une réforme du barème, la poursuite de la réforme/suppression d’ici 2023 de la taxe d’habitation (les recettes fiscales émanant de la TH et destinées aux collectivités locales auront ainsi reculé de 10,2 milliards d’euros entre 2018 et 2020 dont 3,7 milliards en 2020), l’exonération et la défiscalisation des heures supplémentaires et complémentaires (pour 800 millions en 2020), « l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraités modestes »…
La suppression en 2018 de l’ISF et sa transformation en Impôt sur la –seule- fortune immobilière (IFI) ainsi que la création d’un prélèvement forfaitaire unique à 30% sur les revenus du capital (donc qui n’est plus intégré à l’impôt sur le revenu avec barème progressif) auront induit un manque à gagner de recettes d’environ 5 milliards d’euros pour l’État…
La « justice fiscale » en question
D’une richesse à l’autre… Dans le cadre de la présentation du PLF 2020, le gouvernement annonce, dans une rubrique intitulée « soutenir les plus fragiles », un « renforcement » de ce soutien. Cela devrait notamment se concrétiser en 2020 par une revalorisation de –seulement- 0,3% de l’allocation aux adultes handicapés (dont le plafond passera à 900 euros en novembre) ou encore de la réindexation sur l’inflation des « retraites brutes globales » ne dépassant pas 2000 euros…
Pour FO, les baisses d’impôts présentées par ce PLF pour 2020 et en direction des ménages (dont la baisse de l’impôt sur le revenu de cinq milliards d’euros) « ne sauraient compenser les mesures fiscales prises lors des deux dernières lois de finances en direction des entreprises et des ménages les plus aisés et ne peuvent s’apparenter à une politique de justice fiscale ».
Par le symbole affiché et le manque à gagner fiscal que cela a entrainé pour l’État, la suppression de l’ISF et la création du PFU ont représenté en effet des cadeaux aux plus riches.
Les entreprises, elles, ont bénéficié depuis 2018 de la mise en chantier de la réforme de l’impôt sur les sociétés. La baisse des taux de l’IS jusqu’à 25% en 2022 -moindre que prévue pour 2020- devrait induire une baisse d’impôts de 4,4 milliards d’euros sur trois ans pour les entreprises dont 2,5 milliards en 2020.
Le gouvernement prévoit par ailleurs la baisse des impôts de production concernant les petits commerces et perçus par les communes. Dès janvier prochain, certaines petites communes rurales et/ou en difficulté pourront supprimer ces impôts de production (cotisation foncière des entreprises/CFE ; taxe foncière sur les propriétés bâties/TFPB ; cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises/CVAE). Ces impôts représentent un total de recettes annuelles d’environ 70 milliards d’euros. Le gouvernement ne prévoit toutefois de ne compenser qu’à hauteur d’un tiers la perte de recettes qu’entraînerait pour les communes la suppression de ces impôts.
Des entreprises toujours dorlotées
Le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) qui pèse depuis plusieurs années autour de vingt milliards d’euros par an sur les comptes publics, pèsera cette année près de 40 milliards par sa transformation en allègements de cotisations patronales. Autre cadeau, aux entreprises.
Le coup de rabot annoncé sur quelques niches fiscales des entreprises (dont sur le gazole non-routier à partir du 1er juillet prochain) sera lui de 600 millions d’euros en 2020 soit moins de la moitié qu’annoncé il y a quelques mois.
Au final les diverses mesures s’adressant aux entreprises permettraient à ces dernières de bénéficier d’une baisse d’impôts à hauteur d’un milliard d’euros en 2020. Plus largement annonce le gouvernement, la fiscalité des entreprises affichera un recul de treize milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat.
Des emplois publics toujours en souffrance
Le gouvernement ne s’en cache pas : « la poursuite de la baisse des impôts s’appuie sur la baisse des dépenses publiques » et cette baisse passe notamment par celle des effectifs publics. En 2020 prévoit le projet de loi de finances « l’ajustement structurel sera nul » pour les effectifs de l’État. Concrètement la suppression globale de postes serait en baisse (avec une suppression nette de 47 postes). La loi de finances pour 2019 portait, elle, la suppression de 4164 postes. Cela signifie-t-il pour autant que le gouvernement abandonne la poursuite de la politique de suppressions d’emplois publics en vigueur depuis de trop longues années ? Pas vraiment.
Si la suppression de 50 000 postes à l’État n’est pour l’instant plus évoquée, Gérald Darmanin annonçait ce 26 septembre l’objectif de 27 000 suppressions sur le quinquennat. Pour 2020 si certains secteurs ministériels tels celui des armées, l’Intérieur ou la Justice gagnent des postes, d’autres continuent à subir un mauvais traitement.
Ainsi en est-il des deux ministères économiques et financiers (Action et Comptes publics et Economie et Finances) qui à eux deux perdent 1 972 emplois après en avoir perdu l’an dernier plus de 2 500. Sur le quinquennat quelque 10 000 emplois devraient disparaître sur le périmètre de Bercy prévoit le gouvernement.
Autre secteur maltraité, celui de la Transition écologique et solidaire avec une perte annoncée de 1 073 emplois, après des pertes du même ordre en 2019. Ces suppressions sont « dans la continuité du plan Action publique 2022 » déplore la Confédération FO faisant référence à ce programme CAP2022 visant à accélérer les mesures de réformes structurelles pour le recul de la dépense publique, cela au prix de suppressions ou privatisations de missions, de désengagement de l’État sur le territoire et de suppressions d’emplois publics.
Le secteur des Solidarités et de la Santé perdrait lui 346 emplois après en avoir perdu plus de 500 cette année. Sports, Education nationale ou encore le secteur ministériel Europe et affaires étrangères perdraient aussi des emplois selon le projet de loi de finances.
Pour FO « la réduction du périmètre de l’État et de la Sécurité sociale, loin de constituer une nécessité est un choix politique. Ce budget n’est pas un budget de relance. Alors que la France emprunte désormais à taux négatifs sur 15 ans, le gouvernement rate une opportunité historique pour réorienter sa politique économique dans un sens volontariste en faveur des services publics de proximité et vers des investissements publics dans les infrastructures et la transition écologique ».