C&A : deux magasins réputés intouchables bientôt fermés

InFO militante par Fanny Darcillon, L’inFO militante

© F. BLANC

Deux des boutiques parisiennes de la marque de prêt-à-porter néerlandaise mettront la clé sous la porte fin décembre. Ce quatrième PSE en quatre ans porte à son comble l’inquiétude des salariés, qui s’interrogent sur l’avenir de C&A France dans son ensemble.

Quatorze magasins avaient été fermés en 2018, trente en 2020. Le 31 mai, la direction de la marque de prêt-à-porter C&A France n’a annoncé que deux fermetures, mais celles-ci sont cette fois lourdes de symboles. Au 31 décembre, les emblématiques boutiques de la rue de Rivoli et du boulevard Haussmann, à Paris, fermeront leurs portes, laissant 145 salariés sur le carreau. Ce sont les deux plus gros magasins de la chaîne, expose Gilles Gondouin, délégué FO et salarié de l’enseigne rue de Rivoli. Le sentiment des collègues, c’était : jamais ils n’y toucheront.

Les deux magasins visés étaient en difficulté financière depuis longtemps, bien avant le Covid. Le directeur général a avancé le chiffre de huit ans de déficit pour Rivoli, rapporte Gilles Gondouin. Officiellement, la direction de C&A France fait valoir une décision du bailleur Redevco, structure chargée de l’immobilier au sein de la holding Cofra… qui chapeaute C&A Europe. Ça a beau être la même famille d’actionnaires, ils ne sont pas là pour nous faire des cadeaux, constate amèrement Audrey Rosellini, secrétaire adjointe de la section fédérale du Commerce et VRP à la FEC-FO, salariée détachée de C&A, où FO a recueilli près de 33% des voix aux dernières élections.

Des orientations stratégiques discutables

Bien avant l’annonce de la fermeture, des questions sur les choix stratégiques faits pour ces boutiques avaient émergé. Gilles Gondouin met en doute la pertinence de l’implantation des produits pilotée par C&A Europe, parfois en totale contradiction non seulement avec la météo mais avec les désirs qu’exprimait notre clientèle. Le délégué FO dénonce également une incohérence entre la feuille de route confiée au personnel et les moyens alloués. On nous demandait toujours plus de service client, mais on est de moins en moins de salariés. Certains jours, les cabines d’essayage n’étaient ouvertes qu’à deux étages sur quatre. Il est souvent impossible d’ouvrir toutes les caisses. Faute de pouvoir réduire la file d’attente, le vendeur a ainsi vu des clientes lui filer entre les doigts.

Il faut que le client se sente privilégie, comme ils disent, souligne Audrey Rosellini, mais c’est difficile quand on n’y met pas les moyens. Avant, chacune de ces boutiques comptait une centaine d’employés. On voit bien que rien n’a été fait pour que ces magasins tournent bien. D’importantes rénovations conduites dans les deux locaux dans les années 2010 ont également pu plomber les comptes, estiment les militants FO. On sentait bien depuis un moment qu’ils n’avaient pas l’intention de redresser la barre, ajoute-t-elle, ils maintiennent juste le bateau à flots.

D’autres fermetures à craindre

Si la localisation des magasins destinés à la fermeture a surpris, le principe est loin d’être neuf pour les employés de C&A. Depuis 2018, trois PSE dont un au siège ont déjà été conduits, pour un total de près de 350 postes supprimés. Désormais, la dure réalité s’impose aux salariés : Personne n’est à l’abri, affirme Audrey Rosellini. Aujourd’hui ce sont deux grands magasins qui ferment, mais il y en aura d’autres derrière. Certains rescapés des PSE précédents avaient parié sur une plus grosse boutique, espérant y finir leur carrière. Peine perdue. Gilles Gondouin acquiesce : On ne peut plus s’avancer sur aucun magasin.

D’autant plus que le dialogue social n’est pas au beau fixe dans l’entreprise : les premières informations sur les fermetures à venir sont parvenues aux salariés par voie de presse. Depuis une dizaine d’années, nos directions changent très régulièrement, raconte Audrey Rosellini, forcément, la méfiance s’installe.

L’avenir de l’entreprise en question

Les négociations sont ouvertes concernant indemnisations, reclassements et formations des 145 salariés touchés. Selon Gilles Gondouin, C&A a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne créerait pas de postes. Une cinquantaine devraient se libérer d’ici décembre, calcule le délégué FO. Mais les reclassements pourraient être ardus : du fait de l’ancienneté des magasins, les nouveaux contrats de 24 ou 28 heures hebdomadaires voisinent avec les contrats historiques à temps plein, qui n’existent pratiquement plus ailleurs. Pour être reclassés, certains salariés devront potentiellement accepter de réduire leur contrat, anticipe Gilles Gondouin.

Au-delà de ces discussions, c’est l’avenir de toute l’entreprise qui inquiète. C&A semble mettre l’accent sur sa stratégie numérique ainsi que sur les « corners », ces emplacements dédiés à la marque dans de grands magasins comme Géant. C’est une certitude qu’ils veulent réduire la voilure, ils ne veulent simplement pas dire jusqu’où, déplore Audrey Rosellini. S’il faut encore fermer 50 magasins sur 110 ces prochaines années, qu’ils aient l’honnêteté de le dire, pour qu’on puisse préparer les choses en amont, même si ce sera forcément difficile. Les négociations liées au PSE seront aussi l’occasion d’arracher de plus amples informations : Nous demandons de la clarté et de l’honnêteté, poursuit-elle : qu’est-ce qui se prépare sur a minima trois ans ?

Fanny Darcillon

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération