Caisse des Dépôts : les velléités d’ingérence de Bercy choquent les personnels

Economie par Valérie Forgeront

Alors que le ministre de l’Économie et des Finances, M. Bruno Le Maire, a annoncé le 15 janvier la mise en place du Fonds pour l’Innovation au sein de l’établissement BpiFrance - l’une des filiales de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC)- les syndicats de la CDC s’inquiètent de l’avenir de la Caisse, particulièrement de son indépendance et de son autonomie. Dans une lettre de mission adressée à la mi-décembre au nouveau Directeur général de la CDC, M. Éric Lombard, le ministre l’enjoint de procéder à des réformes tous azimuts. Pour FO la méthode employée par Bercy est « choquante » et les prescriptions « préoccupantes ».

Les syndicats dont FO ont réagi au quart de tour. Et pour cause. L’initiative prise par le ministre de l’Économie et des Finances, M. Bruno Le Maire est inédite. Celui-ci a adressé le 15 décembre une lettre de mission pour le moins directive au tout nouveau directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC/6 100 personnes dont 3 680 fonctionnaires) M. Eric Lombard.

La lettre fixe en quelque sorte les prescriptions décidées par le gouvernement pour la CDC et ce pour les cinq années à venir. La CDC -actionnaire de nombreuses entreprises- est indépendante, autonome et elle remplit des missions d’intérêt général. Elle est sous le contrôle d’une commission de surveillance qui rend compte au Parlement. La CDC (167 milliards d’euros à son bilan) gère l’épargne populaire, des fonds de retraite, a des activités d’investisseur public, finance les entreprises à travers des prêts… Elle a aussi des activités concurrentielles via ses filiales.

La lettre du ministre ? « C’est sans précédent » réagit le syndicat FO de la CDC. « Le ministre des finances a osé, faisant fi à cette occasion de deux siècles d’autonomie de la CDC, de la gouvernance de celle-ci et du fait que la CDC est placée sous la surveillance et la garantie du Parlement ». Pour FO l’initiative relève de « l’ingérence » et est donc « une première depuis 1816, date de la création de la CDC ».

Que dit cette lettre ? Elle souligne d’abord la nécessité pour la CDC de « poursuivre sa modernisation, de retrouver son agilité, d’optimiser les moyens dont elle dispose et de les recentrer sur les secteurs prioritaires ». Ce vaste programme doit être décliné en moult domaines.

Une mise sous tutelle de l’Executif ?

Le ministre indique ainsi qu’il « souhaite examiner » avec la CDC « la possibilité de réformer son organisation comptable et prudentielle. En second lieu, l’intervention de la CDC doit se concentrer sur les domaines où la nécessité d’une intervention publique pérenne est avérée, notamment par l’existence d’une défaillance de marché ». Et le ministre de demander à la Caisse de « passer en revue l’ensemble de ses domaines d’intervention actuels » afin d’évaluer « si ses interventions sont pleinement cohérentes avec le mandat » donné par le législateur et si « elles s’inscrivent dans les priorités politiques du gouvernement ».

Est-ce à dire que la CDC « devra se désengager des participations qui ne correspondent pas exclusivement aux choix prescrits ? » interroge Bernard Cassagne, le secrétaire général du syndicat FO des personnels de la CDC pour lequel ces injonctions traduisent un danger.
« La CDC a bien sûr toujours appuyé les politiques publiques. Elle est au service de la Nation. Il ne faut toutefois pas oublier qu’elle a été créée pour que ses interventions soient à l’abri de l’exécutif dans le sens notamment des variations gouvernementales ».

Or par la nature et le contenu de son intervention, s’attaquant même à la gouvernance du groupe CDC, le ministre fait craindre qu’il y ait « une perte d’indépendance. Une volonté de mettre la CDC aux ordres des gouvernements au pouvoir alors que l’appui de la CDC aux politiques publiques est un travail qui s’effectue sur le long terme. Par ailleurs c’est au Parlement de décider de modifications telle l’organisation comptable ou prudentielle. La CDC n’est pas un service de Bercy ni une entreprise ! »

Cascade d’injonctions

Le ministre M. Bruno Le Maire prône aussi une « doctrine d’intervention et d’investissement fondée sur l’additionnalité et la subsidiarité des actions du groupe vis-à-vis de l’intervention des acteurs économiques du secteur privé. La CDC devra en particulier s’appuyer sur son expertise financière pour être maître d’œuvre de projets en co-financement à même d’orienter les capitaux d’investisseurs français et internationaux vers des projets d’utilité publique. Les participations et interventions ne répondant pas à ces critères devront être réévaluées et faire l’objet d’un désengagement progressif ».

Pour le syndicat FO « le ministre semble vouloir que le groupe public CDC n’intervienne plus sur ce qu’il considère être du domaine du secteur privé. Or l’intervention publique (par exemple dans le secteur du Logement, Ndlr) permet de réguler les marchés. A contrario les prix pourraient flamber ! »

M. Bruno Le Maire demande aussi à la CDC « d’engager une réflexion sur l’avenir de ses filiales » et de « définir précisément l’articulation de leurs missions avec celles de l’établissement public, notamment en ce qui concerne Bpifrance » dont la CDC (actionnaire pour moitié avec L’État dans Bpifrance) devra « soutenir les missions de financement des entreprises et de l’innovation ». Elle devra « examiner dans quelle mesure certaines d’entre elles peuvent participer à des stratégies de consolidation ».

L’avenir des filiales en question

Va-t-on « vendre les joyaux de la couronne ? » donc certaines filiales interroge Bernard Cassagne. « Si on élimine des filiales, on va éliminer aussi les rentrées financières, des ressources pour la CDC. On va assécher les comptes, les fonds propres vont fondre comme neige au soleil. De fait, nos possibilités d’interventions et notre capacité justement à venir en appui aux politiques publiques vont être atteintes. »

Le ministre demande encore à la CDC de « soutenir la transformation engagée par le groupe La Poste d’une part en développant en synergie avec ce groupe des grands projets liés aux transitions démographiques numériques et écologiques et d’autre part en examinant avec l’État les options possibles pour réorganiser et renforcer les synergies des activités de banque et d’assurance de la CDC et de la Poste ».

Concrètement indique Bernard Cassagne, il pourrait y avoir un rapprochement entre La Poste et CNP-Assurances. La CDC est actionnaire dans les deux entités. Plus de 26% de parts de la CDC à La Poste. Près de 41% de parts à la CNP. Or souligne le militant « le rapprochement La Poste et CNP créera un problème financier pour la CDC car CNC apporte de gros résultats à la Caisse ».

« Maîtriser la masse salariale »

Le ministre demande entre autres encore à la CDC de « renforcer son action auprès des collectivités », cela par une « rationalisation de ses interventions et de celles de ses filiales (La Banque postale, SFIL) en matière de prêts aux collectivités locales ». Il préconise une « large décentralisation en direction du réseau » de la CDC.

Autre injonction ? La CDC « doit poursuivre la modernisation de sa gestion afin d’assurer que chaque euro constitutif de ses ressources soit utilisé de la manière la plus efficiente ». Et le ministre y va de ses directives… Réduire les coûts de fonctionnement du groupe, maîtriser la masse salariale. Il faudra aussi « présenter une trajectoire pluriannuelle consolidée de performance » et donc mener des « réorganisations »…

« Des économies à tous les étages »

A la CDC, « les personnels sont dépités. La Caisse a déjà un fonctionnement moderne et nous n’avons pas attendu M. Le Maire pour hélas subir des restrictions ! » peste Bernard Cassagne. En 2003, insiste-t-il, la CDC comptait 6 600 personnes. L’effectif a été réduit à 6 100. « Alors que les missions ont augmenté, les effectifs ont diminué, les réorganisations des services se sont succédé. Par ailleurs le régime indemnitaire a été revu, à la baisse, en 2017 ». Pour Bercy cela ne semble pas suffisant. « L’idée est donc de faire des économies à tous les étages et dans tout le groupe CDC » s’irrite Bernard Cassagne.

Par ailleurs le ministère avertit la CDC que les règles de prélèvement au bénéficie de L’État -en vigueur avant 2016- sont rétablies. « Ce qui permettra à la CDC de contribuer pleinement à l’effort de redressement des finances publiques souhaité par le gouvernement » indique Bercy.

Concrètement souligne pour FO Bernard Cassagne « le ministre prévient en quelque sorte que la fête est finie. Les prélèvements de L’État sur la partie des bénéfices de la CDC vont augmenter. Ils seront même supérieurs à ce que la CDC paierait si elle s’acquittait d’un impôt sur les sociétés ».

Plus largement s’indigne le syndicat FO « le gouvernement montre sa volonté, d’une part, de ponctionner jusqu’à l’asphyxie la CDC, d’autre part, de transformer la CDC en une simple direction du ministère des Finances ».

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

Sur le même sujet