Camaïeu baisse le rideau : coup de massue pour 2 600 salariés

InFO militante par Chloé Bouvier, L’inFO militante

© Laurent GRANDGUILLOT/REA

Le 28 septembre, le tribunal de commerce de Lille a prononcé la liquidation de l’enseigne de prêt-à-porter Camaïeu. C’est le clap de fin pour les 500 magasins et les 2 600 emplois que compte la société. Délégué FO au sein de l’entreprise, Chérif Lebgaa, est encore sous le choc de cette annonce violente pour les salariés dont le devenir est au cœur des préoccupations du syndicat.

Un plan social de grande dimension s’annonce. Samedi 1er octobre, à l’heure de la fermeture, les magasins de Camaïeu ont éteint définitivement leurs lumières. Deux jours plus tôt, le 28 septembre, soit deux mois après la mise en redressement judiciaire de l’enseigne, le tribunal de commerce de Lille avait prononcé sa liquidation. Pour les 2 600 salariés, y compris ceux du siège social et de l’entrepôt situés à Roubaix dans le Nord, cela signifie un licenciement d’ici à la fin du mois.

C’est au bout de trois heures d’audience et de délibérés, que les juges ont tranché sur un dossier complexe portant particulièrement la question de l’aide financière de l’État. A la barre du tribunal Michel Ohayon, homme d’affaire fondateur de la Foncière immobilière bordelaise (FIB) et actionnaire de Camaïeu depuis sa reprise en 2020, et Wilhelm Hubner, P-DG de Hermione People Brands, filiale de la FIB en charge des activités dans la distribution. Ils avaient sollicité auparavant l’aide du ministère de l’Industrie pour un prêt à hauteur de 48 millions d’euros, cela pour boucler leur plan de continuation, prévoyant de sauver 1 900 emplois et 300 magasins. Mais Bercy a fermé la porte à cette demande.

De leur côté, ces derniers jours, des collectivités territoriales avaient annoncé qu’elles apporteraient un soutien financier à Camaïeu si l’État faisait un pas. La Région des Hauts-de-France promettait une aide à l’enseigne de prêt-à-porter si l’État accordait l’avance remboursable demandée par le groupe Hermione People & Brands (Go Sport, Gap France…) auquel appartient Camaïeu. La ville de Roubaix était sur le même axe, son maire évoquant le sujet au centre du dossier, soit le destin de 2 600 familles.

Chérif Lebgaa, délégué FO au sein Camaïeu, peine à comprendre ce refus de soutien de la part du ministère de l’Industrie. L’État aide les grands groupes via les prêts garantis par l’État. Pourquoi pas nous ? Comme ses collègues, il est sous le choc de la décision du tribunal. « Là, c’est violent ! »

Au moins 5 000 personnes touchées par la décision du tribunal

Chérif Lebgaa évoque des collègues sous le choc, ressentant un mal être profond, certains étant placés en arrêt maladie par leur médecin. À la sortie du tribunal en effet, l’inquiétude et la colère se lisaient sur les visages de ceux qui avaient assisté à l’audience, et certains salariés ont interpellé Michel Ohayon. 2 600 personnes à la rue, on fait comment ? C’est lui qui va nous payer les loyers, c’est lui qui va nourrir les familles ?, lançait une salariés devant la presse.

L’enseigne compte plus de 2 600 salariés, mais il y a aussi les prestataires avec qui nous travaillons. Au total, au moins 5 000 personnes sont touchées par la décision du tribunal, indique le délégué FO. La question du devenir des salariés de Camaïeu va être bien sûr au centre de la préoccupation du syndicat.

 Dans le cadre d’une liquidation, il y a peu d’argent à mettre dans le PSE, donc les pouvoirs publics vont devoir s’investir, insiste auprès de l’AFP Mélanie Monton, du cabinet d’experts Syndex. Le ministre délégué à l’Industrie, Roland Lescure, a évoqué, lui, de possibles offres de reprise dans le cadre du processus de liquidation tandis que la Région Haut-de-France, fief historique de Camaïeu a obtenu le déclenchement d’un « plan grands licenciements ». Mais l’inquiétude persiste. Que deviendront les salariés qui ont plus de 50 ans ?, interroge Chérif Lebgaa. Certains ont plus de 36 ans d’ancienneté.

Enchaînement de propriétaires et jeu des fonds financiers

Comment l’enseigne créée en 1984 et implantée dans le paysage du prêt-à-porter féminin en est-elle arrivée à cette situation dramatique et ces 2 600 licenciements ? Au 30 juin, selon les éléments présentés au tribunal, les dettes de l’entreprise s’élevaient à 250 millions d’euros. Elle était de un milliard six ans auparavant. L’histoire de Camaïeu, fondée par des proches de la famille Mulliez, est celle d’une lente agonie au rythme de jeux financiers.

Lorsque les fondateurs cèdent leur part en 2005, l’enseigne passe aux mains du fonds financier Cinven. Alors que durant la décennie 2010, le secteur de la mode connaît des évolutions profondes avec l’arrivée de l’achat via internet, Camaïeu subit plusieurs déroutes. L’effondrement du Rana Plazza, bâtiment bangladais abritant des ateliers de confection sous-traitant pour des multinationales, fait plus de 1 120 morts. Après la découverte d’étiquettes Camaïeu dans les ruines, l’enseigne n’a d’autre choix que d’améliorer la transparence sur ses achats, pour améliorer son image.

Mais la plupart des déroutes sont judiciaires : en 2018 Modacin, la holding financier de l’enseigne, est mise sous sauvegarde par le tribunal de Lille pour encadrer les discussions avec ses créanciers autour de sa dette. L’enseigne souffre du LBO (leveraged buy-out, ou achat à effet levier en français). Concrètement, dans ce système de pure logique de rentabilité financière, l’investisseur mise sur les résultats de l’entreprise, lesquels permettront de rembourser la dette contractée lors de l’achat, réalisé sans fonds et en général dans l’espoir de revendre au plus vite et plus cher. Camaïeu voit son chiffre d’affaires régresser alors que la consommation de l’habillement chute. Quelques mois plus tard, la procédure de sauvegarde prend fin et la dette, qui atteint plus de 400 millions d’euros, est entièrement convertie en capital au profit des créanciers.

L’effet aggravant de la crise Covid

Le début des années 2020 enfonce un peu plus Camaïeu dans les difficultés. Avec le Covid et les confinements successifs, l’enseigne perd 95 % de son chiffre d’affaires entre mars et avril 2020, soit un manque à gagner de 162 millions d’euros. À la suite de la fermeture de plus de 800 magasins dans le monde, la société est placée en redressement judiciaire le 26 mai. En août, le tribunal de commerce de Lille valide l’offre de reprise de la Financière Immobilière bordelaise (FIB) au détriment de celle portée par l’équipe dirigeante en place. Via sa filiale Hermione People Brands, la FIB reprend alors plus de 500 magasins et 2 600 salariés, contre les 634 boutiques et 3 000 salariés que comptait l’entreprise.

Alors que la FIB engage en 2021 un plan de transformation prévoyant un retour à l’équilibre des comptes pour 2022, là encore, le Covid frappe. Lorsque l’enseigne est placée en redressement judiciaire, en août dernier, elle est notamment fragilisée par ses loyers impayés datant de la période de covid et qu’un arrêt de la cour de cassation l’oblige à régler. En juin 2021, Camaïeu est victime d’une cyberattaque de son site de vente en ligne ainsi contraint à une fermeture temporaire. Cette cyberattaque a coûté plus de 70 millions d’euros, dont 40 millions de pertes, indique Chérif Lebgaa qui regrette que ces difficultés n’aient pas été plus que ça prises en compte par le tribunal. Désormais, après la grande claque qu’a constitué l’annonce de la fermeture, c’est la question du devenir des salariés, de leur défense et de leur protection qui est au cœur des préoccupations du syndicat FO.

Chloé Bouvier

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération