Deux milliards d’investissements et deux milliards d’économie, c’est un jeu à somme nulle
, ironise Michel Enguelz, délégué FGTA-FO de groupe chez Carrefour. Ce mardi 23 janvier, les locaux de la Fédération générale des travailleurs de l’agriculture, de l’alimentation, des tabacs et des services (FGTA-FO) ne désemplissent pas. Et les téléphones des représentants syndicaux du géant de la grande distribution bourdonnent en permanence. Et pour cause, après avoir refusé préalablement toutes les demandes de rendez-vous de FO, Alexandre Bompard, P-DG de Carrefour, est sorti de son silence. Il a annoncé quelques heures plus tôt à la presse le plan de transformation de l’enseigne.
Des mesures explosives
Intitulé Carrefour 2022, ce plan prévoit un certain nombre de mesures explosives. Parmi elles, un plan de départs volontaires de 2 400 personnes sur 10 500 travaillant dans les sièges ; la réduction des coûts de 2 milliards d’euros en année pleine dès 2020 ; un projet de réduction du parc ex-Dia de 273 magasins, parmi lesquels 180 Carrefour contact marchés, une enseigne vouée à disparaître. Si les magasins ne trouvent pas repreneurs, ils seront fermés.
La direction a en outre annoncé une réduction des coûts logistiques et la réduction des coûts de structure. Côté hypermarchés français, leur surface sera réduite d’au moins 100 000 m2. Cinq d’entre eux passeront en location gérance. Le groupe prévoit par ailleurs la vente dans les trois prochaines années d’une partie de son parc immobilier d’une valeur de 500 millions d’euros.
Hier soir à 23 heures, j’ai reçu un coup de fil d’une journaliste qui était déjà au courant du nombre de suppressions d’emplois, et ce avant même les organisations syndicales, déplore Dejan Terglav, secrétaire général de la FGTA. Le pacte social qui dure depuis une trentaine d’années entre la direction de Carrefour et FO est rompu.
Le secrétaire général rappelle que ce pacte avait abouti à ce que les conditions de travail et le statut des salariés de Carrefour soient parmi les meilleurs de la grande distribution.
Un plan destiné aux actionnaires
Le groupe Carrefour va-t-il si mal que ça ? Non répond FO. Il s’agit là d’un plan qui vise à satisfaire actionnaires et investisseurs
, décrit Jean-Marc Robin, délégué syndical central chez Carrefour. Dans une lettre ouverte publiée le 11 janvier, la FGTA FO signalait les inquiétudes créées par l’arrivée de JP Morgan et Bank of America. Les deux banques étasuniennes possèdent désormais 12 % du capital.
Le groupe Carrefour génère des bénéfices, poursuit le délégué syndical central. Mais les objectifs fixés par les actionnaires et le conseil d’administration n’ont pas été atteints. Sur un plan purement comptable, ils ont gagné moins d’argent.
Le 17 janvier Carrefour Group a présenté ses résultats annuels. Avec un chiffre d’affaires de 88,24 milliards d’euros sur le total de l’année 2017, la progression de 1,6 % est moins importante qu’en 2016. Et comme les actionnaires ne veulent pas une baisse de leurs dividendes, il faut couper dans la masse salariale
, analyse Jean-Marc Robin.
Avec 13 millions de clients par jour, le groupe reste un des leaders mondiaux de la distribution. Il est implanté dans plus de 30 pays avec plus de 12 150 magasins (dont 5 686 en France) ainsi que des sites de e-commerce. Il emploie plus de 384 000 collaborateurs dans le monde dont environ 115 000 salariés en France.
« Tout n’a pas été dit »
Succession de mauvais choix du conseil d’administration
, manque de lucidité des dirigeants
, rendez-vous manqué avec le numérique
, autant de raisons qui expliquent, selon FO, cette perte de vitesse du groupe qui impacte la pérennité des emplois.
Dejan Terglav, lui, considère qu’un deuxième, voire un troisième plan pourraient être dans les tuyaux. Tout n’a pas été dit, prévient-il. Nous ne savons pas comment sera mise en œuvre cette transformation et une deuxième phase pourrait concerner les hypermarchés.
Le secrétaire général craint que le nombre d’hypermarchés passant en location gérance grimpe jusqu’à une quarantaine de magasins.
Une tendance qui ne date pas d’hier, selon Jean-Marc Robin, délégué syndical central Cela fait des années que chez les Carrefour Market, il y en a vingt qui passent tous les ans. Je suis DSC depuis 2011, on en est presque à 90 magasins. Tous les salariés qui sont passés en location gérance ont perdu l’année dernière 1 500 € en moyenne. Quasiment plus d’un mois de salaire pour une caissière à temps complet. C’est énorme.
Des zones d’ombre persistantes
S’agissant des économies réalisées sur les sièges. Combien de salariés du siège de Caen ou de Cavaillon pourront venir travailler à Massy ?, s’interroge Dejan Terglav. Ceux qui refuseront la mutation seront soit licenciés, soit obligés d’accepter une rupture conventionnelle individuelle.
Tous ces salariés ne sont pas répertoriés dans les 2 400 suppressions d’emploi. Et FO craint qu’il ne faille en réalité multiplier par deux les suppressions d’emploi pour arriver à 5 000 départs.
Côté logistique, un secteur qui représente 7 800 salariés, le flou des déclarations laisse les représentants syndicaux dans l’expectative. Nathalie Denis, secrétaire du CCE Supplychain, s’interroge : à quelle hauteur la logistique va-t-elle être touchée ? On ne sait pas. Alexandre Bompard parle d’une restructuration sur la logistique mais sans expliquer ce qu’il va s’y passer. Nous sommes inquiets pour notre métier et notre avenir.
Appel à la mobilisation le 8 février
Les organisations syndicales en sauront plus dans les prochains jours. Dejan Terglav a rendez-vous avec Alexandre Bompard le 24 janvier. La direction a par ailleurs convoqué un comité de groupe extraordinaire vendredi 26 janvier.
La FGTA appelle dores et déjà l’ensemble des salariés du géant de la grande distribution à faire grève le 8 février 2018. Elle leur demande d’être présents à partir de 11 h devant le siège du groupe à Massy-Palaiseau. André-Denis Terzo, délégué national adjoint FO chez Carrefour Hypers insiste sur l’importance de ce rendez-vous : Si la stratégie commerciale appartient à Alexandre Bompard, l’aspect social est à nous.