La requalification des contrats courts (CDD ou contrats de travail temporaires) engendre des conséquences indemnitaires que la Cour de cassation prend soin de distinguer à propos de leur exigibilité. Dans deux arrêts du 12 février 2025 soumis à une forte publicité (les rapports du conseiller et les avis ayant également été publiés) (Cass. soc., 12-2-25, n°23-18876 ; n°23-10806), elle rappelle les règles de prescription propres à chaque demande.
Dans l’affaire n°23-18876, un salarié est engagé par CDD successifs entre 2009 et 2019. Il saisit la juridiction prud’homale afin de demander leurs requalifications en CDI, et le paiement des sommes suivantes : indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité de requalification, indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et enfin indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans l’affaire n°23-10806, un travailleur temporaire est engagé successivement par plusieurs entreprises de travail temporaire (ETT), et il est mis à chaque fois, à disposition de la même entreprise utilisatrice. Il saisit la justice afin de demander la requalification des contrats en CDI avec la dernière entreprise de travail temporaire. Il demande également que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et demande la condamnation solidaire de l’ETT et de l’entreprise utilisatrice, au paiement des sommes suivantes : indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, et dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans chacune de ces deux affaires, se posait la question de la recevabilité de chaque demande des salariés concernés, eu égard aux délais de prescription.
Dans ces deux arrêts la Cour de cassation applique la règle classique qui est la suivante : la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée.
Il faut donc faire une application distributive des délais de prescription en fonction de chaque demande et comme le précise l’avocat général selon que les droits sont notamment acquis en contrepartie du travail ou s’ils ont une autre nature
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Elle affirme dans les deux affaires, que s’agissant de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ces indemnités ont la nature d’une créance salariale, et que par application de l’article L 3245-1, l’action en paiement de ces indemnités se prescrit par 3 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer
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Elle en profite pour rappeler que la saisine prud’homale interrompt le délai de prescription.
Lorsque le contrat est rompu, la date de rupture fixe le point de départ du délai de prescription, comme c’était le cas dans les deux espèces. La demande en paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents a été déclarée recevable par la Cour dans les deux espèces, les salariés ayant agi dans les 3 ans qui ont suivi le terme de leur dernier contrat.
En ce qui concerne la demande d’indemnité de requalification en matière de CDD (qui ne peut être inférieure à 1 mois de salaire, art L 1245-2) prononcée en raison du motif de recours, la Cour affirme que l’action en paiement de cette indemnité a trait à l’exécution du contrat de travail, elle se prescrit donc par 2 ans à compter du terme du dernier contrat, en application de l’article L 1471-1 alinéa 1. Dans l’affaire n°23-18876, qui traitait de ce sujet, la Cour a déclaré la demande du salarié recevable, le salarié ayant agi un peu plus d’un an après le terme du dernier CDD.
Enfin, concernant l’action qui tend à faire analyser la rupture de la relation de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et le paiement d’une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, ainsi que celui de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la Cour énonce qu’étant des actions ayant trait à la rupture du contrat, elles se prescrivent par 1 an par application de l’article L 1471-1 alinéa 2 cette fois.
S’agissant de l’affaire n°23-10806 relative au travail temporaire, la Cour fixe le point de départ du délai de prescription au terme du dernier contrat de mission lorsque à cette date, l’ETT ne fournit plus de travail et ne paie plus les salaires au travailleur temporaire, et que l’entreprise utilisatrice ne fait plus travailler le salarié. En l’espèce, le salarié ayant agi plus de 2 ans (délai de prescription alors applicable avant l’ordonnance n°2017 le réduisant à un an) après le terme du dernier contrat, la demande a été jugée prescrite.
L’autre affaire (n°23-18876) était particulière en ce sens que le litige a été soumis aux juges durant la pandémie de covid-19. Le salarié avait bénéficié des dispositions provisoires qui avaient rallongé de deux mois le délai de saisine. En l’espèce, ses demandes ont donc été jugées recevables.
Ces deux arrêts clarifient quelque peu les règles en matière de prescription, rappellent ainsi l’importance de bien distinguer chaque chef de demande, et de leur appliquer la prescription adéquate et la détermination du début de cette prescription, faute de quoi le salarié se verra opposer une fin de non-recevoir.