Chantiers de l’Atlantique : pourquoi l’État doit garder la main

InFO militante par Evelyne Salamero

© Jean-Claude MOSCHETTI/REA

Le chantier naval de Saint-Nazaire, le plus grand d’Europe, fait partie de ces entreprises stratégiques pour lesquelles FO appelle l’État français à défendre plus énergiquement, en particulier face aux appétits des investisseurs étrangers, par une prise de participation majoritaire dans leur capital.

L’État français ne doit pas vendre son chantier naval de Saint-Nazaire à l’italien Fincantieri. Force Ouvrière n’est pas particulièrement collectiviste ni étatiste. On ne dit pas que l’État doit détenir 100% du capital mais il doit rester majoritaire. Les clients des chantiers attendent de la stabilité dans l’actionnariat, une visibilité qui rassure. Ce message, le secrétaire général de la confédération FO, Yves Veyrier, l’a fait entendre haut et fort, sur place, le 7 janvier, enchaînant, accompagné des responsables FO locaux, les rencontres avec les médias, les syndiqués et leurs délégués, ainsi que le maire de Saint-Nazaire, David Samzzun, et le sénateur de Loire-Atlantique, Yannick Vaugrenard.

L’emploi du temps de la journée, chargé, était à la hauteur des inquiétudes. L’enjeu est en effet considérable, aussi bien en termes d’emplois que de stratégie industrielle, comme l’a rappelé le secrétaire général de la confédération FO, entouré de Nathalie Durand-Prinborgne, secrétaire de la section FO métaux des Chantiers, de Sylvain Hérisson, secrétaire général du syndicat FO Métaux de Saint-Nazaire, ainsi que de Michel Le Roc’h, secrétaire de l’union départementale de Loire-Atlantique et de Yan Le Fol, secrétaire de l’Union locale de Saint-Nazaire.

L’enjeu

Après avoir failli fermer en 2010, année où les effectifs étaient tombés à 2 000 salariés (contre 4 000 10 ans plus tôt), les Chantiers de l’Atlantique emploient actuellement 3 340 salariés et peuvent en faire travailler jusqu’à 10 000 de plus avec les intérimaires et la sous-traitance en période de forte charge d’activité.

Le carnet de commandes est plein pour dix ans, la crise sanitaire n’ayant entraîné que des reports de livraison de six à douze mois. Les chantiers ont en effet une expérience, un savoir-faire et un équipement mondialement reconnus. Ils disposent notamment d’un portique et d’une cale d’une dimension permettant de construire les plus grands paquebots.

Pour toutes ces raisons, il ne nous est pas indispensable d’avoir un actionnaire qui soit un industriel, souligne Nathalie Durand-Prinborgne. En revanche le rôle de l’État est irremplaçable, explique-t-elle. Depuis 2017, date à laquelle l’État français a provisoirement nationalisé le chantier le temps de négocier sa vente (après la faillite du propriétaire d’alors, le coréen STX), le rapport de force avec les banques est en effet beaucoup plus favorable. C’est bien parce que nous sommes sous la protection de l’État, que les chantiers connaissent l’essor actuel, résume la responsable syndicale.

Vendus pour la troisième fois en moins de quinze ans ?

Malgré tous ces atouts, la vente des chantiers au groupe Italien Fincantieri — détenu à près de 72% par l’État italien — reste à l’ordre du jour. Alors que le contrat de cession signé en 2017 arrivait à expiration le 31 décembre dernier, le gouvernement français a accordé un délai supplémentaire d’un mois à l’Italien pour lui donner le temps de fournir les documents qu’exige la Commission européenne avant de donner son feu vert.

Si cette vente se confirmait, ce serait la troisième en moins de quinze ans. Les chantiers de Saint-Nazaire ont d’abord été vendus par Alstom aux chantiers norvégiens Aker Yards en 2006. Puis, ces derniers les ont revendus au coréen STX en 2008. Ce dernier a été placé en liquidation judiciaire en 2016. La justice sud-coréenne a alors lancé un appel d’offres international pour sa filiale STX France et c’est donc l’italien Fincantieri qui a remporté la partie en 2017.

C’est à ce moment-là que le gouvernement français, jugeant que l’accord de vente ne présentait pas assez de garanties pour les emplois et la protection du savoir-faire industriel du site, a fait valoir le droit de préemption de l’État, annonçant sa décision de nationaliser les chantiers le 27 juillet 2017. La nationalisation serait provisoire, avertissait toutefois le ministre Bruno Le Maire.

La vente des chantiers serait un très mauvais signal pour l’industrie

Trois ans plus tard, il n’y a pas davantage de garanties qu’en 2017, ni d’éviter un transfert de technologies vers le chantier chinois CSSC partenaire du groupe Fincantieri, ni d’empêcher les doublons d’emplois, dénonce FO.

Le nouveau délai accordé à Fincantieri par la France s’achève le 31 janvier. Or le lendemain, doit se tenir une réunion du comité de suivi du plan de relance et sur la réindustrialisation du pays. Ce serait un très mauvais signal si les Chantiers passaient sous la coupe d’intérêts étrangers à ce moment-là, a prévenu Yves Veyrier.

De fait, les Chantiers de l’Atlantique sont un exemple emblématique de ces entreprises stratégiques que FO appelle à défendre plus énergiquement. Elles sont aujourd’hui nombreuses à se trouver dans une situation périlleuse et à être convoitées par des investisseurs étrangers, alertait la Fédération FO des Métaux le 21 décembre, citant d’autres exemples, tels que Aubert&Duval (Alliage de haute performances) ou le groupe CNIM (équipementier et assemblier industriel de dimension internationale).

Détentrices de brevets de haute technologie, de savoir-faire de pointe et de compétences aussi essentielles qu’irremplaçables pour l’industrie française, ces entreprises sont aujourd’hui en passe de tomber sous domination étrangère, alerte FO métaux.

Se félicitant de la prolongation d’un an du décret permettant à Bercy de bloquer des prises de participation dans les secteurs dits stratégiques, FO Métaux n’en donne pas pour autant quitus au gouvernement. Elle revendique une prise de participation de l’État dans les entreprises stratégiques afin de défendre la souveraineté nationale et la sécurisation des entreprises fragilisées par la crise en privilégiant leur reprise par des capitaines d’industrie français.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante