Chez Alexander McQueen, des points de vente fermés en toute opacité

InFO militante par Fanny Darcillon, L’inFO militante

© Xavier POPY/REA

La marque de chaussures, accessoires et vêtements de luxe du groupe Kering se sépare de ses stands dans les grands magasins, sans qu’aucune orientation stratégique claire n’ait été présentée au CSE. FO s’alarme d’une baisse d’effectifs inexpliquée et demande un virage de la direction vers plus de transparence envers les salariés.

Luxe durable, éco-design, politique ambitieuse sur les congés parentaux : le groupe Kering, deuxième plus grand groupe de luxe au monde derrière LVMH, se targue d’être un acteur en pointe sur la responsabilité sociale des entreprises. Mais dans cet océan de vertu affichée, une société fait tâche. Chez Alexander McQueen, où FO est le syndicat majoritaire, voilà un an que des points de vente – aux Galeries Lafayette, au Printemps, au Bon marché ou encore à la Samaritaine – ferment les uns après les autres sans que les élus du personnel soient informés de l’orientation stratégique justifiant ces décisions.

On subit, résume Dominique Morvan, délégué syndical FO dans l’entreprise. Aucune consultation stratégique du CSE n’est organisée. Il y a un gros manque de transparence, les salariés ne comprennent pas où on va. Après la fermeture du stand Alexander McQueen du grand magasin parisien Printemps en mai, les salariés ont été transférés vers La Samaritaine et Le Bon marché – avant de s’entendre dire aujourd’hui qu’ils sont en sureffectifs et doivent désormais aller travailler à Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne).

Concurrence déloyale

Quand la direction a déplacé les salariés une première fois, ne savait-elle pas qu’il allait y avoir des fermetures un mois plus tard ?, questionne Carole Prioult, secrétaire du syndicat F0 des Employés et Cadres du Commerce de Paris. De quoi alimenter les inquiétudes des salariés restants, d’autant plus que leurs représentants, maquant d’informations, sont dans l’incapacité de les éclairer. C’est de la maltraitance au travail, pendant que le groupe Kering se vante de sa bienveillance envers les salariés, assène Dominique Morvan. Alexander McQueen, on dirait le vilain petit canard du groupe Kering, renchérit Carole Prioult. Avec ces fermetures, les gens ont l’impression d’être baladés, ignorés dans leur identité.

Dans les grands magasins, les stands Alexander McQueen visés peinaient à remplir les objectifs qui leur avaient été assignés – sans que leurs résultats soient pour autant catastrophiques. Le personnel subissait de la concurrence déloyale, dénonce Dominique Morvan. Sur leurs sites internet, les grands magasins avaient le droit d’appliquer des réductions en ligne. Encore aujourd’hui, des clients viennent et demandent s’ils peuvent avoir la remise proposée en ligne, et si on ne peut pas la leur donner, ils partent et achètent sur internet.

Baisse d’effectifs inexpliquée

En décembre 2023, nous étions 76 salariés Alexander McQueen France. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que 56, relève Dominique Morvan. Mais la direction ne communique pas sur les raisons de ces départs. Même les experts qu’on mandate ont du mal à obtenir des informations ! Le délégué s’interroge sur d’éventuels licenciements économiques déguisés en ruptures conventionnelles, et demande le retour d’un vrai dialogue social basé sur le respect des obligations légales de sa direction.

Un simple retour à des bases saines, que la DRH d’Alexander McQueen accueille pourtant comme une démarche hostile. Elle nous accuse de poursuivre un but de déstabilisation, déplore Dominique Morvan. Ces personnes ont de plus en plus recours à des techniques de culpabilisation, pointe Carole Prioult. On essaye de faire passer les représentants du personnel comme les harceleurs des DRH, lesquels se posent en victimes.

Cette tension vient aggraver la dégradation du climat de travail, marqué par un management à distance qui accroît la pression et par la pratique des commissions touchées sur les ventes. Alexander McQueen a une politique d’entreprise assez particulière, où les employés ont un salaire de base mais surtout d’énormes commissions en fonction du nombre de ventes, détaille Carole Prioult. Cela attise la compétitivité et l’animosité entre les salariés. Chez FO, nous poussons pour le collectif : même si les salariés ne se plaignent pas de ce fonctionnement, je crois qu’ils ne se rendent pas compte du mal que ça leur fait. Certains me disent : je ne vais pas aux toilettes sur mes heures de travail car j’ai peur de louper une vente !

Des doutes sur l’avenir de la marque

A plus long terme, les militants FO s’inquiètent de la pérennité de la marque. Je ne comprends pas la stratégie de l’entreprise et j’ai peur que ça n’aille pas en s’arrangeant, résume Dominique Morvan. Si l’entreprise n’est actuellement pas en danger sur le plan économique, les difficultés pourraient vite survenir comme ailleurs dans le commerce, rappelle Carole Prioult : Cette situation pourrait constituer les prémices d’un échec. Ça ne se passe pas bien pendant quelque temps, puis on coule. Si le prêt-à-porter de luxe n’est à ce jour pas sujet à l’hécatombe qui touche le milieu de gamme, certaines enseignes haut-de-gamme commencent à connaître des tourments, comme la marque de chaussures Arche, placée en redressement judiciaire en février.

Chez Alexander McQueen, l’inquiétude est d’autant plus présente qu’aucune voie de développement n’a récemment été présentée au CSE en parallèle des fermetures et de la baisse d’effectifs. On a l’impression qu’ils ne font rien en matière d’orientation stratégique pour faire grossir la société, conclut Carole Prioult. Contre un dépeçage à petit feu de leur entreprise, les salariés exigent d’être informés et associés aux décisions concernant leur avenir.

Fanny Darcillon

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération