Chez Atos, FO combat la réorganisation menée au pas de charge

InFO militante par Elie Hiesse, L’inFO militante

 

Reprise des externalisations, réorganisation juridique réduisant la représentation sociale, dénonciation unilatérale de l’accord sur le Comité européen. Le repositionnement brutal du groupe français de services informatiques se heurte, à chaque étape, à la détermination de FO à défendre les droits des salariés.

Il aura fallu vingt-sept jours de débrayage. Mais la mobilisation des 212 salariés de DCH Bridge, filiale du groupe informatique français Atos spécialisée dans l’exploitation et le pilotage de « data centers », a payé. Après plus de trois semaines de grève soutenues par FO, marquées par une forte mobilisation (jusqu’à 60% des effectifs), ils ont obtenu le 28 octobre le gel du projet d’externalisation de leur activité auprès de la société NSC Global France.

Certes, la victoire est partielle : le groupe de services informatiques Atos a annoncé la suspension du projet pour six semaines, le temps de trouver un autre repreneur. Elle n’en reste pas moins inédite, par sa durée et son ampleur, et emblématique. Car la cession de DCH Bridge n’est que la première d’une longue liste à venir.

Le 27 juillet, à l’issue des mauvais résultats du premier semestre 2021 qui l’ont fait dévisser en bourse, le groupe informatique (plus de 110 000 salariés dans le monde dont 11 000 en France) a annoncé sa transformation « radicale, rapide et très profonde » et vouloir se défaire d’une large partie de ses activités historiques : sa recherche de « partenaires », selon les termes utilisés, portent sur un périmètre représentant pas moins de 20 % de son chiffre d’affaires.

Jusqu’à 2 000 salariés possiblement concernés par les cessions

Ce faisant, le groupe veut accélérer son recentrage sur quatre activités jugées porteuses (digital, cloud, cybersécurité, décarbonation de l’énergie consommée par les serveurs), qu’il compte développer à coup d’acquisitions ciblées. Il prévoit de réaliser 65 % de son chiffre d’affaires en 2025 sur ces quatre métiers (contre 46 % en 2020).

Si cela se traduit par des externalisations, comme pour DCH Bridge, jusqu’à 2 000 salariés français se retrouveraient dehors !, dénonce Lionel Bérenger, coordinateur de FO Atos, troisième organisation avec plus de 20 % de représentativité. Plutôt que d’investir sur la formation pour permettre aux salariés de se positionner sur les nouveaux métiers dits stratégiques, Atos répète toujours le même schéma de rachat-revente de sociétés, au détriment des salariés, de leur santé et du climat social qui est fortement détérioré, martèle le militant FO.

Chez DCH Bridge, l’annonce du projet d’externalisation – prévu pour entrer en vigueur en février 2022 – s’est aussitôt traduite par une avalanche de RPS chez les salariés, cinquante ans en moyenne, tous ayant une longue ancienneté (entre vingt et trente ans). Ils ont aussitôt requalifié le projet de plan social déguisé, autrement dit sous-traité, faute de garantie sur le maintien de leur emploi après l’externalisation (Atos devant rester détenteur des contrats supportant leur activité).

La transformation accélérée que le groupe engage inquiète. Le contexte franco-français de sortie de crise sanitaire n’est pas étranger, non plus, à cette mobilisation inédite. Les salariés de DCH Bridge ne comprennent pas qu’après avoir tout donné dans la crise, ils se fassent jeter de la sorte, résume Michèle Lofong, coordinatrice adjointe FO du groupe. Elle rappelle que le collectif de salariés reste mobilisé et continue de se réunir malgré la suspension du projet d’externalisation. La caisse de grève est toujours ouverte.

Plus d’une centaine de mandats de représentants du personnel supprimés

Le repositionnement au pas de charge du groupe informatique ne passe pas que par des externalisations. Dès l’annonce des résultats du premier trimestre 2021 (en baisse de 1,9%), le groupe a lancé une réorganisation juridique de ses activités en France (portées par une quinzaine de filiales), par laquelle il entend aussi réduire drastiquement la représentation sociale. Au pas de charge.

Le 29 octobre, Atos a pris prétexte de l’absorption de sa filiale Atos Infogérance (plus de 1 800 salariés), par sa filiale Atos Intégration, pour annoncer la suppression du CSE d’Atos Infogérance et de la quasi-totalité des mandats associés de représentants du personnel, soit plus d’une centaine...

Et il a décrété cette suppression effective au 1er novembre. La direction tente un passage en force. Elle fait fi des accords d’entreprise sur l’organisation sociale et le fonctionnement de l’UES Atos France [Unité économique et sociale, NDLR], qui prévoient trois CSE et un CSE-central sur la période 2019-2023. Non seulement sa décision est contraire à la volonté des signataires, mais ni la loi ni la jurisprudence ne lui donnent droit de décréter unilatéralement la fin des mandats, martèle Jean Fabre, délégué syndical FO d’Atos.

Un grave abus du droit

FO et deux organisations ont aussitôt décidé de saisir l’inspection du Travail, via leurs fédérations respectives. Elles contestent que la refonte juridique emporte automatiquement la suppression du CSE d’Atos Infogérance. La législation est sans ambiguïté : en cas d’évolution de l’organisation d’une entreprise et donc d’évolution du périmètre des établissements distincts la constituant —et jusqu’alors déterminé par un accord majoritaire—, le nouveau découpage ne peut être effectif qu’à l’occasion de prochaines élections, soit lors du renouvellement du CSE.

La fin des mandats décrétée par Atos est un grave abus de droit, commente Jean Fabre qui pointe la volonté délibérée et opportuniste d’Atos de réduire les instances représentatives du personnel. Les calculettes ont tourné et les chiffres donnent le tournis.

La réorganisation juridique projetée menace, à effectifs constants, de faire disparaître 30 % des mandats d’élus et de représentants de proximité, soit près de 170 mandats au total. Atos agit comme si les instances représentatives du personnel ne servaient à rien, en contradiction flagrante avec la réalité !, poursuit le militant FO. Il suffit de voir l’activité du CSE, dont le groupe a décrété la disparition : entre janvier 2020 et octobre 2021, il a organisé 43 instances plénières, soit 2 par mois.

Suppression du Comité européen : FO saisit la justice

Le groupe Atos chercherait-il à mener la réorganisation totale de ses activités sans entraves ? La réponse est clairement oui pour Sébastien Ducros, titulaire FO au Comité européen. Depuis mi-avril, celui-ci n’existe plus. A l’issue de cinq mois de négociations qui n’ont pas abouti, Atos a dénoncé de manière unilatérale l’accord datant de 2012 sur la mise en place du Conseil d’entreprise d’Atos SE, et privé les 53 000 salariés européens de leur instance de représentation. Le groupe voulait décider à quel moment auraient lieu les informations-consultations du comité européen, ce qui revient à s’en affranchir. C’est une entrave caractérisée, proprement inacceptable, au fonctionnement des instances représentatives du personnel, commente Sébastien Ducros.

Depuis, le syndicat FO Atos, appuyé par la fédération FO de la Métallurgie, la FEC-FO et la confédération, a saisi la justice. Le groupe a presque aussitôt rouvert des négociations, qui lambinent, à raison d’une réunion par mois depuis fin août.

Quelle soit l’issue en justice, le groupe Atos a réussi partiellement son coup, court-circuiter et museler les représentants européens du personnel. Alors qu’il a lancé au moins une quinzaine de projets de réorganisation depuis début 2021, avec de lourdes conséquences pour les salariés, aucune information ne nous a été délivrée et nous n’avons plus de cadre pour agir, faute de Comité européen. Nous apprenons les sujets par la presse, martèle le militant FO, déterminé à faire entendre la voix des salariés.

La Cour d’appel de Versailles rendra son jugement le 9 décembre.

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération