Christopher Siu Tat Mung : C’est devenu très dangereux de militer à Hong Kong, on ne sait jamais où se situe la ligne rouge

Interview par Sandra Déraillot, L’inFO militante

© F. BLANC

Christopher Siu Tat Mung, numéro 2 de la Confédération hongkongaise des syndicats (HXCTU, coalition de plus de 90 syndicats indépendants représentant 145 000 travailleurs) s’est exilé au Royaume-Uni en septembre 2021. Depuis la promulgation de la loi de sécurité nationale de Hong Kong, des persécutions sont en effet menées contre les militants de la société civile et des dirigeants syndicaux ont été condamnés à des peines de prison. Début mars, il était l’invité de FO, reçu aussi par sa la fédération de l’Action sociale.


Depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine, comment les relations se sont-elles détériorées avec les autorités ?

C’est surtout, à partir de la loi de sécurité nationale en juin 2020 que nous avons vu les choses changer. Ce texte est une arme légale pour réprimer les organisations de la société civile sous les chefs d’accusation de sécession, subversion, activités terroristes et collusion avec des forces étrangères. HKCTU est accusé par le gouvernement de conspirer et d’être une force anti-chinoise en raison de nos liens avec l’étranger. Depuis la promulgation de cette loi au moins 12 dirigeants syndicaux ont été arrêtés. A titre d’exemple, notre secrétaire général Lee Cheuk-yan a été condamné à 20 mois de prison pour l’organisation d’un rassemblement non autorisé en 2019. Sa peine purgée, il a été maintenu en détention car avec la loi de sécurité nationale il tombait sous le coup de nouvelles accusations, notamment une « incitation à la rébellion contre l’État ». Le procès n’a pas encore eu lieu. Carol Ng, ancienne présidente de HKCTU et du syndicat des personnels de bord de British Airways, est détenue depuis février 2021 soupçonnée de « conspiration pour rébellion contre l’État » en raison de sa participation aux primaires, elle portait un programme en faveur d’une meilleure protection de droits du travail. La libération sous caution lui a été refusée, elle est incarcérée depuis déjà 700 jours. Son procès a lieu actuellement et il est prévu pour durer 90 jours.

Quels sont les évènements qui vous ont décidés à quitter Hong Kong ?

Le gouvernement entrave la liberté d’association, de presse, d’expression. L’institution qui enregistre les syndicats sur le plan administratif a commencé à les contacter pour leur poser de nombreuses questions quant à leur activité. Certains ont vu leur enregistrement annulé, tel le syndicat des orthophonistes à qui l’on reprochait la diffusion de livres pour enfants conçus pour promouvoir la justice. Trois de ses dirigeants ont été condamnés à 19 mois de prison. A la suite de ces enquêtes plusieurs syndicats ont décidé leur dissolution. C’est devenu très dangereux de militer, on ne sait jamais où se situe la ligne rouge à ne pas transgresser. Pour ma part j’ai été convoqué à trois reprises pour des entretiens en septembre 2021. On me demandait des informations internes au syndicat, me questionnait sur notre financement et son usage. Lors du troisième entretien on m’a indiqué que je serais prochainement convoqué par la police. C’est alors que j’ai décidé de partir avec mon épouse et mes deux filles.

Quelle est désormais votre activité au Royaume-Uni ?

Je me sentais coupable d’avoir laissé derrière moi des camarades qui subissent des pressions ou sont en prison. Alors j’ai créé une organisation pour être leur porte-voix, dire la vérité sur ce qui se passe même si je suis loin. D’ici je peux faire ce qui ne leur est plus permis. Car si la confédération n’existe plus, des syndicats sont toujours sur le terrain et travaillent dur pour survivre.

Les mobilisations sont donc encore possibles ?

Oui. Depuis septembre 2021 il y a eu trois grèves des livreurs chez Foodpanda (une plateforme de livraison de repas et boissons). Ils sont même parvenus à paralyser le fonctionnement de la plateforme d’achat. Ils demandaient de meilleures conditions de travail. C’était un mouvement spontané, mais des syndicalistes ont apporté de l’aide en coulisse pour les former à la conduite des négociations. Et puis fin 2022, le syndicat des hôtesses de l’air, a également organisé une action pour revendiquer des augmentations de salaires et de meilleures conditions de travail. Elles ont d’abord été autorisées à organiser un rassemblement devant le groupe Cathay Pacific, mais finalement des pressions de la part des autorités les ont incitées à renoncer. Même chose le 8 mars dernier : une action en faveur des droits des femmes avait été autorisée par la police, puis on a signifié à l’organisation qu’il pourrait y avoir des terroristes dans la manifestation, et que s’il se passait quoi que ce soit, elle serait tenue pour responsable. Certaines personnes ont même été averties que si elles participaient à la mobilisation elles seraient arrêtées. L’évènement n’a pas eu lieu.

Quelle est la situation au regard des droits des travailleurs à Hong Kong ?

En résumé, nous sommes le territoire avec le temps de travail le plus long, le plus bas salaire minimal (actuellement 4,5 euros de l’heure, qui passeront à 4,8 euros en mai) et le coût de la vie le plus élevé. Il n’y a pas de législation sur le temps de travail. Nous sommes, parmi les pays développés, celui où l’on travaille le plus : 50 heures par semaine en moyenne, et pour certains salariés jusqu’à 12 heures par jour. Pour 20 % des employés les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées. Et aucune législation n’oblige à la négociation collective. Désormais, avec la disparition de la confédération, c’est encore plus difficile pour les syndicats d’arriver à faire entendre leurs revendications.

Comment un syndicat français peut-il vous aider ?

Il est crucial pour nos frères et nos sœurs qui se battent au pays de savoir que le mouvement syndical international ne les oublie pas. Par ailleurs la société civile française peut faire pression sur son gouvernement pour que celui-ci demeure vigilant quant à l’état des droits humains chez nous. Donc les syndicats peuvent médiatiser et informer le public français à propos de ce qui se passe à Hong Kong. Vous pouvez également surveiller les agissements des investisseurs occidentaux implantés à Hong Kong et vous assurez qu’ils respectent les droits fondamentaux des travailleurs inscrits dans les conventions internationales. Hong Kong est un centre financier qui permet à la Chine de lever des financements importants, des capitaux internationaux. Le pays n’est pas isolé dans l’économie mondiale et le gouvernement chinois ne peut pas rester indifférent aux pressions internationales.

Propos recueillis par Sandra Déraillot

 Voir en ligne  : Hong Kong Labour Rights Monitor - Site internet

Sandra Déraillot Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération