CICE : sa réforme n’impliquerait pas forcément une hausse du pouvoir d’achat

Emploi et Salaires par Valérie Forgeront

© Pascal SITTLER/REA

Le « basculement » est prévu pour 2019 a confirmé le ministre de l’Économie et des Finances, M. Le Maire le 29 août dernier. La transformation du CICE (Crédit impôt compétitivité emploi) en baisse de cotisations patronales devrait produire une plus grande profitabilité pour les entreprises. Elle serait censée aussi augmenter la réserve de participation pour les salariés, c’est-à-dire la part du bénéfice qui va aux salariés parce qu’ils ont bien travaillé. La mesure devrait grossir la réserve de participation de un milliard d’euros prévoit le ministre. Pas si simple.

Consistant en un crédit d’impôt, le CICE a une assiette assise sur les rémunérations brutes soumises aux cotisations sociales versées par les entreprises dans la limite de 2.5 Smic. En 2013, le taux du CICE était de 4% des rémunérations versées. Il est passé à 6% de la masse salariale en 2014. Depuis le 1 janvier 2017, ce taux a été relevé à 7%.

Le CICE peut bénéficier à toutes les entreprises (hors autoentrepreneurs). Cette réduction de l’impôt sur les sociétés ou sur les revenus est appliquée l’année n sur l’exercice n-1. Les entreprises ont trois ans pour faire valoir leurs créances au titre du CICE.

Depuis sa création (par amendement à la troisième loi de finances rectificative de 2012), l’avantage fiscal est capté par les grandes entreprises ont constaté différentes études. Par ailleurs relevait un rapport parlementaire à l’été 2016, le gain financier global obtenu à travers l’octroi du CICE a servi à financer les investissements des entreprises (surtout des grandes) et beaucoup moins à créer des emplois. Par ailleurs, nombre d’entreprises, notamment les TPE/PME se servent du CICE comme un outil de trésorerie indiquait le rapport.

Le poids lourd CICE

Au cœur du problème encore, le coût du CICE. Intégré au Pacte de responsabilité en vigueur sur la période 2015-2017 et qui regroupe diverses mesures décidées pour les entreprises depuis 2012 —mesures qui auront apporté plus de 100 milliards aux entreprises— le CICE affiche un lourd poids budgétaire.

Entre 2013 et 2015, cette mesure a pesé plus de 48 milliards en termes de manque à gagner pour les caisses de l’État. Elle a pesé 19,2 milliards en 2016, son poids pour 2017 est estimé à près de vingt milliards. La créance CICE des entreprises devrait dépasser vingt milliards en 2018.

Transformer le CICE en baisse de cotisations patronales serait-elle profitable à l’ensemble des salariés comme l’assure le gouvernement ? Pas vraiment. Alors que le Medef s’oppose désormais à cette mesure en criant à la hausse du coût du travail (le patronat fustige une baisse de cotisations de dix points au niveau du Smic mais limitée au-delà de ce seuil à six points contre sept avec le CICE) et de la fiscalité (le taux d’imposition de l’impôt sur les sociétés passera cependant d’ici 2022 de 33% à 25%) et demande que le CICE soit pérennisé et amplifié, dans une enquête parue ce 28 août et dressant un état des lieux de la participation, de l’intéressement et de l’épargne salariales dans les entreprises grandes ou petites de 2010 à 2015, la Dares (ministère du Travail) amène pour le moins à pondérer les propos du ministre.

Un salarié sur deux seulement

Le nombre de salariés bénéficiaires de la participation (obligatoire pour les entreprises ayant cinquante salariés ou plus pendant six mois consécutifs sauf pour celles ayant déjà un accord d’intéressement —lui non-obligatoire— lorsqu’elles atteignent un effectif de cinquante salariés) était ainsi en 2015 de 4,52 millions.

Un peu plus de huit millions de salariés sont couverts par au moins un des dispositifs suivant : participation, intéressement, plan d’épargne d’entreprise (PEE), plan d’épargne retraite collectif (Perco). Ces chiffres sont à mettre en perspective. On compte en effet près de 17,8 millions de salariés dans le secteur privé en France (métropole et Dom)…

En 2006 on comptait près de 5 millions de salariés bénéficiaires de la participation. Après un pic en 2007 et 2008, le nombre de ces bénéficiaires a diminué quasi constamment au fil des années. Plus largement, le nombre de bénéficiaires de la participation (liée au bénéfice net de l’entreprise [1]) traduit aussi le fait que seule une minorité des salariés du privé y ont accès. Concrètement, seulement 51,2% des salariés des entreprises de dix salariés ou plus du secteur marchand non agricole, hors intérim et activités des ménages sont couverts par un accord sur la participation. Un peu plus d’un salarié sur deux donc.

Seulement 13,1% des entreprises

En 2015, seulement 13,1% des entreprises étaient dotées d’un accord de participation. Dans le détail, la situation varie selon la taille des entreprises. En effet, 4% des entreprises de 10 à 49 salariés disposent d’un accord. 46,5% de celles comptant 50 à 99 salariés en ont un. A partir d’un effectif de cent salariés, le pourcentage d’entreprises dotées d’un tel accord varie de 66,7% à 78% pour celles de 1 000 salariés et plus.

L’existence d’un accord de participation n’implique pas forcément par ailleurs le versement d’une prime. Ainsi en 2015, sur l’ensemble des entreprises de plus de dix salariés, seulement 8,9% d’entre elles ont distribué une prime de participation. 2,6% des entreprises de dix à 49 salariés en ont distribué et 55,3% des entreprises comptant 1 000 salariés ou plus.

En ce qui concerne les entreprises comptant de dix à 49 salariés, seulement 3,2% des salariés ont bénéficié d’une telle prime. 53,8% des salariés dans celles comptant plus de 1 000 salariés. En moyenne sur l’ensemble des entreprises, 36% des salariés ont reçu une prime. Seulement un peu plus d’un tiers donc.

Peu de salariés « couverts »

Par ailleurs, selon leur appartenance à un secteur d’activité, les salariés ne sont pas égaux face à la participation. Les entreprises des secteurs de l’hébergement et de la restauration, celles œuvrant dans certaines activités de services, celles de l’industrie agro-alimentaire, de la construction, du commerce sont par exemple peu à disposer d’accords de participation.

Plus largement, si l’on comptabilise les salariés ayant bénéficié en 2015 d’une mesure de participation ou d’intéressement (mesures qui drainent le plus grand nombre de salariés), d’un abondement de plan d’épargne d’entreprise (PEE) ou encore d’un plan d’épargne de retraite collectif (Perco), on totalise alors 6,76 millions de salariés (sur 8.1 millions de salariés couverts par au moins un de ces dispositifs). En 2006, 6,5 millions de salariés avaient bénéficié d’au moins d’une de ces mesures. En dix ans, les quelques fluctuations à la hausse ou à la baisse de cet effectif n’ont pas transformé son ordre de grandeur.

Si la participation est donc loin de concerner tous les salariés du privé (les fonctionnaires ne peuvent eux en bénéficier), l’impact du basculement du CICE en baisse de cotisations affole d’ores et déjà le patronat… Même si le gouvernement fait précéder la réforme du CICE d’un nouveau cadeau.

Nouveau cadeau fiscal…

Il annonce en effet pour 2018 une première baisse à 28% (pour les entreprises affichant un bénéfice inférieur à 500 000 euros) du taux de l’impôt sur les sociétés (IS). Le taux normal de l’IS annonce le gouvernement sera ramené à 25% d’ici 2022. Pour les entreprises, cela équivaudrait à un allègement d’impôts de plusieurs milliards.

Le Medef qui a fait part de son opposition à la transformation du CICE en baisse de cotisations (mesure qui pèserait pour vint milliards sur les comptes publics en 2019) craint que cette baisse participe —via ce nouvel allègement du coût du travail— à gonfler le compte de résultat des entreprises et en conséquences leurs bénéfices imposables.

Par ailleurs les salaires et le bénéfice fiscal net constituent des paramètres qui interviennent dans le mode de calcul de la réserve de participation, laquelle par la réforme du CICE pourrait donc augmenter de même que le forfait social (en règle générale 20%) payé par l’employeur sur les sommes assujetties à la participation.

Nul ne sait…

Depuis une controverse l’administration fiscale a changé les règles. Le bénéfice fiscal net doit être ainsi établi sur la base du bénéfice fiscal imposable selon le taux de droit commun, imputé de l’impôt (IS) calculé avant déduction des crédits d’impôts (dont CICE) a estimé le Conseil d’État dans une décision du 20 mars 2013 sur laquelle s’est alignée la doctrine administrative. L’impôt sur les sociétés retenu pour le calcul de la réserve spéciale de participation n’a pas à être minorée des crédits et réductions d’impôt imputés sur l’impôt a ainsi souligné le Conseil d’État.

Le mode de calcul du bénéfice fiscal net ne sera donc pas impacté par la réforme. Par ailleurs, ce gonflement possible de la réserve de participation est difficile pour l’instant à estimer sachant que nul ne sait quels sera la part de bénéfices allant aux investissements et celle allant à la participation

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

Notes

[1La réserve spéciale de participation est calculée de la façon suivante : R = ½ [B – (5 % C)] x [S/VA] Dans cette équitation où R représente la réserve de participation, B représente le bénéfice fiscal net de l’entreprise, C les capitaux propres de l’entreprise, S les salaires, VA la valeur ajoutée de l’entreprise.