[Cinéma] Prendre le large : travailler jusqu’où ?

Film par Michel Pourcelot

Licenciée, bouleversée, délocalisée, mais déterminée. Une ouvrière textile de 45 ans, interprétée par Sandrine Bonnaire, pousse la délocalisation à bout en allant travailler dans une usine marocaine du groupe.

Elle est la seule du plan social à « prendre le large » en restant attachée à son travail, car sans attaches autres qu’un fils adulte. Ce ne sera pas la Roumanie, mais le Maroc, pour Edith, 45 ans, ouvrière textile, dont la vie s’est effilochée. Loin de la banlieue lyonnaise, n’ayant jamais voyagé, c’est pour elle un pays inconnu, un pot au noir sous le soleil. Refusant d’être déboussolée par la perte de son emploi, elle suit cette logique et retisse sa vie à partir de son centre, le travail en tant que créateur de liens sociaux, et parfois plus. Car, sans en arriver aux extrêmes du film, le travail peut souvent être une délocalisation de l’individu hors de sa sphère, familiale ou autre. Et parfois se créer une seconde famille. Le travail peut enfermer mais aussi ouvrir des portes.

Le travail comme dignité

La dimension sociale marquant Prendre le large n’est pas que pure théorie : le réalisateur Gaël Morel est lui même issu du milieu ouvrier du textile de la région lyonnaise où évolue le personnage principal, Edith. L’usine française visible au début du film est même celle où son père a travaillé toute sa vie en 3/8. Une origine qui, selon lui, le singularise dans le milieu du cinéma. Avant de passer derrière la caméra, Gaël Morel a longtemps côtoyé le réalisateur André Téchiné, jouant pour notamment dans Les Roseaux sauvages (1994). Menant parallèlement sa carrière d’acteur, il n’a réalisé qu’une demi-douzaine de films en quelque vingt ans, dont Le Clan (2004). Avec Prendre le large, co-écrit avec Rachid O., un écrivain marocain, Gaël Morel revendique cette fois-ci, même si la problématique sociale n’a jamais été absente de ses précédentes réalisations, d’en aborder le genre : Avec ce film, je voulais rendre visible ce monde ouvrier qui est déconsidéré par les hommes politiques comme par les cinéastes. [...] Il y a un attachement au travail, parce que travailler donne une forme de dignité. L’ouvrière que joue Sandrine est obsédée par cela. C’est son port d’attache qui lui évite la dérive.

 

Prendre le large, film français de 2017, réalisé par Gaël Morel et interprété par Sandrine Bonnaire (Edith Clerval), Mouna Fettou (Mina), Ilian Bergala (Jérémy), Nisrine Radi (Karima), Lubna Azabal (Nadia) et Nadine Charvolin (la contremaître de Villefranche).
Durée : 103 minutes. Sorti le 8 novembre 2017 dans les salles

Michel Pourcelot Journaliste à L’inFO militante