Conférence environnementale 2014 : Le vert totalement vide

InFOéco n°96 – 1er décembre 2014 par Pascal Pavageau

En 2012, le Président de la République et son gouvernement ont décidé la mise en place d’une « conférence environnementale » annuelle [1].

La première s’est tenue les 14 et 15 septembre 2012, la deuxième les 20 et 21 septembre 2013 [2] et la troisième vient de se dérouler les 27 et 28 novembre 2014.

Si la première permettait au Président de la République de donner sa vision des enjeux environnementaux et les orientations de sa politique en la matière, la deuxième montrait déjà l’inutilité de maintenir ce rendez-vous annuel. D’autant plus que le Conseil national de la transition écologique (CNTE) se réunit tous les deux mois et que les dossiers environnementaux sont donc suivis et concertés.

L’actuelle ministre chargée de l’Ecologie a néanmoins voulu maintenir cette conférence.

Nous ne développerons pas ici les incroyables changements et incohérences qui ont accompagné la préparation de cette conférence.

Au-delà de la cacophonie gouvernementale qui a accompagné son organisation, l’inutilité de cette troisième conférence se manifeste avec ses ateliers : mobilisation nationale vers la conférence (COP 21 – Paris 2015) [3] sur les enjeux du climat et de la biodiversité / Transport et mobilité durables [4]/ Environnement et santé.

En effet ces trois sujets sont traités en continu soit au niveau du CNTE et dans les instances nationales concernées, soit depuis plus d’un an aux niveaux des ministères compétents (Affaires étrangères et Ecologie) en ce qui concerne la préparation de la COP 21.

De plus, aucune annonce significative n’a été faite par le Président de la République et la feuille de route environnementale du gouvernement ne sera officialisée qu’en janvier 2015 par le Premier ministre lors d’un CNTE spécifique. En dehors de permettre à certaines ONG ou « personnalités du monde écologique » autoproclamées expertes d’avoir une tribune médiatique, l’intérêt de cette conférence environnementale 2014 est posé.

Force Ouvrière n’a donc pas participé en totalité à cette conférence.

Comme lors de la « conférence sociale » de juillet 2014, nous étions présents à l’échange avec le Président de la République (27 novembre matin à l’Elysée). De plus, nous étions présents à la réunion de suivi de la COP 21 (au moins la dixième réunion sur le sujet depuis janvier 2014 et qui en comptera beaucoup d’autres d’ici décembre 2015) qui constitue un point important pour les travailleurs, partout dans le monde, et en prévision de laquelle Force Ouvrière porte de nombreuses revendications, auprès du gouvernement français mais aussi avec la CES et la CSI.

La délégation Force Ouvrière était composée de : Zaïnil Nizaraly (secrétaire fédéral FEETS-FO) ; Marjorie Alexandre, Sébastien Dupuch et Yves Giquel (assistants confédéraux) ; Pascal Pavageau (secrétaire confédéral).

PREPARATION COP 21 – PARIS CLIMAT 2015

Réunion des 27 et 28 novembre 2014

Synthèse des interventions de Force Ouvrière durant ces travaux :

Nous réaffirmons d’une part que Force Ouvrière ne participe qu’à la réunion relative à la préparation de la COP 21 et qui n’est qu’une réunion parmi de nombreuses depuis janvier 2014 et jusqu’en décembre 2015.

Nous rappelons que la feuille de route gouvernementale, tant sur la COP 21 que sur le reste de cette conférence environnementale à laquelle nous ne participons pas, n’engagera que le gouvernement.

A l’heure de notre échange en vue de la COP Paris 2015, les inégalités explosent, 80 % de la population mondiale ne dispose d’aucune couverture sociale, le chômage et la précarité dans l’emploi augmentent, les droits du travail sont bafoués et le dumping social et environnemental se développe tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Les logiques de concurrence sociale, fiscale et environnementale nivellent vers le bas les conditions d’emplois, de salaires et de vie de tous. C’est dans ce contexte que la France organisera la COP21 en 2015.

A l’échelle internationale, la période récente a été marquée par un cycle de négociations sur le climat soldées par des échecs. Ces échecs sont révélateurs des déséquilibres importants qui existent au sein même du concept de « développement durable ». Le pilier économique, prisonnier de capitalisme, de la finance et du tout-profit, écrase et dicte sa loi aux deux autres (le social et l’environnemental). Avec la crise toujours en cours, ces sommets sans décision sont un symptôme de plus de ce que le capitalisme détruit ou interdit.

Et cela est aggravé par les politiques d’austérité qui freinent l’investissement public et remettent en cause les politiques publiques de protection sociale et environnementale au sein des États, en Europe et au niveau international. Alors que des sommes colossales ont été dégagées pour sauver les banques et le système financier, les urgences sociales (emplois, salaires, précarités, santé, accès à l’énergie, à l’eau et aux ressources essentielles, lutte contre le travail illégal et celui des enfants, etc) ne sont pas traitées. Au contraire, les gouvernements européens ont vite abandonné tout effort de relance et donnent la priorité au retour aux équilibres budgétaires par des plans de rigueur avant même que soient inversées les courbes de l’emploi et du chômage.

Pour Force Ouvrière, si un rééquilibrage des trois piliers est nécessaire, il est également hors de question que le « pilier environnemental » se développe au détriment du « pilier social » et que la crise économique serve au moins-disant libéral.

Aux côtés de la Confédération Européenne des Syndicats et de la Confédération Syndicale Internationale, Force Ouvrière demande et recherchera un accord ambitieux à la COP 21, accord qui se doit enfin d’assurer le lien entre évolution climatique et prise en compte de la protection de l’environnement d’un côté et monde du travail et droits sociaux de l’autre. Accord qui se doit d’être décliné en objectifs, engagements et actions attestant de la redevabilité devant les citoyens des politiques décidées au niveau international. Il est donc essentiel que les normes sociales et environnementales soient respectées à tous les niveaux : local, États, européen et international.

Avec la CES, nous partageons l’analyse que « réduire drastiquement les émissions globales des gaz à effets de serre est un devoir de solidarité » vis-à-vis des jeunes générations et des populations exposées aux conséquences du changement climatique.

Face aux conséquences de l’évolution climatique sur l’emploi et les déplacements de travailleurs et aux conditions de travail qui se dégradent, Force Ouvrière demande des mesures pour les travailleurs, assurant la protection de leurs droits et intérêts matériels et moraux, le renforcement du dialogue social, le développement de la protection sociale, la hausse des salaires et la promotion du travail décent. Force Ouvrière regrette l’absence d’engagement du Conseil Européen d’octobre 2014 en la matière.

Si le développement durable peut (et doit) favoriser la mise en œuvre et la diffusion de technologies nouvelles, des investissements et la création d’emplois nouveaux, Force Ouvrière revendique une politique industrielle et une politique énergétique ambitieuses et volontaristes, défendant et développant tous les emplois, nouveaux comme traditionnels, et les salaires. La préservation du tissu industriel doit être une priorité pour les politiques publiques. Comme l’accès à une énergie à bas coût. En termes de « transition », il ne saurait s’agir de « ne plus faire », mais de « faire autrement ». Nous réfutons toute approche dite de « décroissance » ou de « croissance verte ».

Pour ce faire, l’innovation doit être soutenue et renforcée. Des moyens doivent donc abonder la recherche publique et la création d’emplois en lien avec les filières industrielles, y compris selon des coopérations inter-États sur un plan européen. Des plans d’investissements publics de l’industrie, en France et en Europe, doivent être mis en place pour promouvoir l’efficacité énergétique et l’usage des meilleures technologies disponibles.

L’énergie et les ressources naturelles sont des biens communs. Force Ouvrière insiste donc pour que l’énergie soit de propriété et de gestion publique et placée sous pilotage et contrôle publics. La réduction des émissions de GES et des émissions de CO2 imposent des politiques publiques fortes et financées, une réglementation et une régulation adaptées, des investissements publics, et des moyens aux services publics, notamment ceux de proximité (État et collectivités locales).

Force Ouvrière rappelle également son opposition à la fiscalité dite « environnementale » ou « écologique », injuste socialement puisqu’elle pèse sur les ménages indépendamment de leur niveau de ressources, plaçant certains d’entre eux dans une précarité énergétique plus grande encore (en France, nous sommes passés de 8 M à 11.5 M de personnes en précarité énergétique en seulement 5 ans). Il n’est pas acceptable que la préoccupation environnementale, totalement légitime et nécessaire, serve de prétexte et d’alibi pour faire glisser encore un peu plus la fiscalité des entreprises vers la fiscalité indirecte dite environnementale payée par les ménages.

Force Ouvrière rappelle son opposition à ce que la négociation collective dans l’entreprise ou dans la branche soit étendue de façon spécifique aux questions environnementales ou climatiques. En particulier nous refusons des instances spécifiques RSE. Ces sujets importants sont transversaux et se retrouvent déjà dans les instances de dialogue social, notamment le CHSCT. De plus, il est hors de question d’élargir les structures du dialogue social et les IRP à d’autres acteurs que les organisations syndicales représentatives [5].

Enfin, Force Ouvrière rappelle que les politiques publiques environnementales imposent une mise en œuvre ou des effets de leviers par les agents et services publics. On ne peut réussir des « transitions » en diminuant les effectifs et les moyens publics et en supprimant les implantations locales du service public à proximité des citoyens. L’impact du changement climatique est particulièrement sensible dans le domaine de l’eau et sur le littoral. Or les décisions budgétaires actuelles sont en contradiction avec cet enjeu : prélèvement sur le fond de roulement des Agences de l’eau, plafonnement des recettes affectées du Conservatoire du littoral, diminution des moyens des services déconcentrés du ministère de l’écologie. De même, la politique de l’eau sera mise à mal par la dissolution de l’ONEMA (office national de l’eau et des milieux aquatiques) dans l’Agence Française pour la Biodiversité.

Concernant le lien entre le changement climatique et la biodiversité, le fait de faire dialoguer les différentes recherches et expertises vont dans le bon sens pour approfondir la question des interactions entre changement climatique et biodiversité (et rétroaction biosphère - climat). Toutefois, l’enjeu de la préservation de la biodiversité doit être porté au-delà du seul lien avec le climat. En effet, l’évaluation des services écosystémiques montre l’enjeu économique et social de la biodiversité. La logique d’austérité conduit à diminuer les effectifs et les moyens dans les services du MEDDE en charge de la protection de l’environnement, en particulier avec la fusion/restructuration des établissements du fait de la création de l’Agence française pour la biodiversité. A noter que les agents du Parc national de la Réunion sont en grève le jour même de la conférence environnementale.

Les politiques publiques environnementales sont solubles dans l’austérité.

Des décisions volontaires et ambitieuses, des politiques publiques de coopérations et réglementations internationales ou européennes concrètes et financées sont indispensables, pour replacer l’activité économique au service des femmes et des hommes, pour développer l’emploi et les salaires, pour lutter contre les inégalités (entre pays et au sein de chacun d’entre eux), pour le progrès social et pour relever les défis environnementaux (quand, par exemple, l’eau potable manque à plus d’un Md de personnes et 1,5 Md sont sans accès à l’électricité). Sur un plan environnemental comme sur ceux économique et sociaux, cela impose de rompre avec l’austérité et le libéralisme.

Achevé de rédiger le 1er décembre 2014

Pascal Pavageau Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

Notes

[1InFOéco n° 43 du 18 juin 2012

[2InFOécos n° 50 du 21 septembre 2012 et n°71 du 30 septembre 2013

[3Lors de la 19e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de Varsovie (COP19), la France a été nommée pays hôte de la 21e conférence des parties de la CCNUCC (COP21) en 2015. Elle se déroulera au Bourget en décembre 2015. Les secteurs Economique et International-Europe informeront sur cette Conférence dès que les choses se préciseront de façon concrète courant 2015.

[4Par communiqué du 26/11/2014, les fédérations Force Ouvrière des Transports ont confirmé qu’elles ne participeraient à cette énième concertation alors qu’aucune politique réelle de transfert modal n’est mise en oeuvre. La carence de politique publique dans le transport a pour seul résultat d’accroitre la part du transport routier, alors que les réseaux sont à saturation, et de laisser prospérer le « low cost » pour seul modèle social. A l’heure où les salariés des transports sont confrontés à une vague de libéralisation et de dérèglementation : réforme ferroviaire, désengagement de la SNCM, cabotage dans le transport routier, pavillon de complaisance français (RIF), privatisation du réseau routier, etc. qui suppriment les emplois et remettent en cause les droits des salariés, le temps n’est pas aux colloques.

[5L’introduction de ces sujets dans les négociations et l’ouverture des IRP à d’autres que les organisations syndicales sont portées par les association environnementale mais aussi la CFDT et la CGT. Comme en 2012 et 2013, la délégation FO s’y est opposée, seule, avec force et a obtenu que ce sujet soit sorti des discussions.

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