Conférence internationale du Travail 2018 : tuer le temps... de travail

International par Marjorie Alexandre

Marjorie Alexandre, Secrétaire confédérale FO.

Les temps sont durs...

Le constat est simple : 16 % des travailleurs dans le monde ont des semaines de plus de 60 heures, sans même prendre en compte l’économie informelle. Revendiquée dans le sang en 1886, la journée de 8h est loin d’être une réalité plus de 130 ans plus tard.

La 107e session de la CIT se penchait ces derniers jours sur les conventions relatives au temps de travail, depuis sa première convention adoptée en 1919, fixant la double limite de 8h par jour et 48h par semaine.

C’est dans l’air du temps...

Les débats ont été une fois de plus très vifs face à un groupe employeurs déterminé à faire sauter tous les verrous de protection collective des salariés : droit de grève, négociation collective, salaire minimum et maintenant temps de travail.

Pour les employeurs, les droits sont à brader : liquidation totale, tout doit disparaître !

Avec comme leitmotiv la sempiternelle évolution implacable du monde moderne et la nécessité de répondre aux besoins dynamiques des entreprises dans le but de favoriser la sacro-sainte compétitivité. Dénoncées comme « excessivement rigoureuses dans leurs limites quantitatives », les conventions seraient à réviser, voire dénoncer afin de privilégier une approche flexible répondant à la modification de l’espace temps et lieu imposée par la technologie.

Par les temps qui courent...

Les travailleurs se sont unanimement mobilisé face à cette doxa libérale et ont appelé à une campagne de ratification universelle de ces conventions au cœur du mandat de justice sociale de l’OIT. Face à la volonté de retour au tâcheronnat, ils ont insisté sur la nécessité de garantir la double limite de temps de travail afin de limiter les risques de la fatigue sur la santé et de permettre de mener une vie sociale.

Marquer un temps d’arrêt... aux ignominies !

Dans le cadre de ces discussions, Marjorie Alexandre, secrétaire confédérale, a déclaré que si au nom de la modernité, les travailleurs doivent renoncer à leurs droits collectifs, si au nom de la modernité, les travailleurs doivent accepter d’œuvrer au-delà de ce que leur santé leur permet, si au nom de la modernité ce retour à des conditions relevant de l’esclavagisme contemporain doit effacer plus de cent ans de lutte pour voir reconnue au niveau international l’articulation des temps de vie dans la première convention adoptée par notre organisation, alors les travailleurs n’ont aucun mal à se dire conservateurs, car c’est bien de nouveaux droits définis dans le cadre de conventions collectives nationales dont les travailleurs de l’économie digitale ont besoin pour que le temps de repos de chacun soit respecté par l’employeur. (pour consulter la déclaration complète : voir encadré ci-dessous).

Porte-parole des travailleurs lors de l’étude du cas concernant les violations graves aux normes sur le temps de travail en Haïti, Marjorie Alexandre a par ailleurs rappelé les conclusions adoptées de façon tripartite de la réunion d’experts de 2011 sur ce sujet qui indiquent clairement que les normes actuelles de l’OIT en la matière sont toujours d’actualité au XXIe siècle et qu’elles doivent être encouragées dans le but de favoriser le travail décent.

Les travailleurs ne lâcheront rien : le temps de travail n’est pas mort !

 

Commission d’Application des Normes
Étude d’ensemble sur le temps de travail
Intervention Marjorie Alexandre
Membre travailleur France


Merci Monsieur le Président,

Les discours fatalistes sur l’évolution liée au numérique et à la digitalisation de l’économie se multiplient. Présentée comme une évolution implacable et fulgurante, elle placerait dans l’urgence la nécessité pour les travailleurs non pas d’en saisir les opportunités, mais de subir un abattement drastique de leurs droits collectifs au prétexte de leur inadaptation à la modernité. En 1884, quand les travailleurs américains revendiquent dans le sang la journée de 8h, revendication reprise par les travailleurs du monde entier, ils font face eux aussi à une modernité fulgurante.
La discussion de ce jour prend place dans un contexte dans lequel l’OIT est pour la première fois devant la demande de définir ce qu’est un travailleur et ce qu’est un employeur, question qui surgit aussi au niveau européen, avec pour objectif sous-jacent non pas d’assurer une meilleure protection des travailleurs mais plutôt d’exclure toute une partie d’entre eux des garanties collectives nationales, européennes et internationales, y compris en termes de temps de travail.
L’accès facilité par les nouveaux outils numériques sur le lieu de travail, à domicile ou dans des tiers-lieux, contribue à une porosité des temps de travail et de vie privée qui impacte l’ensemble des travailleurs. Prétendre que le salarié est l’unique gardien de ses droits, dans le cadre notamment du travail faussement indépendant, c’est tant omettre les responsabilités de l’employeur que nier un ensemble de facteurs culturels, conjoncturels et relationnels qui placent le travailleur dans une position de faiblesse et font de sa vie privée une variable d’ajustement, loin de l’articulation préconisée par la convention n°1 de l’OIT par un découpage en 8 / 8 / 8 pour le travail, la vie privée et les loisirs. Sursollicitation permanente, infobésité, l’unité de temps est dissoute et les droits deviennent solubles.
L’économie numérique doit voir l’encadrement des conditions de travail renforcé afin d’éviter les abus au nom d’une prétendue nécessaire flexibilité. L’articulation du droit à la déconnexion basée sur des éléments concrets permet de récréer une frontière devenue floue entre vie privée et vie professionnelle. Par contre, l’idée de la charge de travail, par essence individuelle et donc inégalitaire, ne peut en aucun cas se substituer à la notion de temps de travail, collective et égalitaire car s’appliquant à l’ensemble des travailleurs d’un même pays ou d’une même branche professionnelle. Brouiller les frontières entre travailleurs et employeurs, en promouvant des sortes de zones grises où le travailleur devient entrepreneur de lui-même, bloqué dans une individualisation aliénante des droits, c’est aussi faire en sorte d’empêcher les travailleurs de s’organiser collectivement pour refuser des conditions de travail régressives, bien loin de l’objectif constitutionnel de l’OIT de justice sociale auxquels les gouvernements, employeurs et travailleurs ont souscrit en 1919.
Au prétexte d’un monde qui évolue, tous les droits fondamentaux et acquis sociaux sont remis en cause à une époque où les richesses produites profitent essentiellement aux seuls 1 % les plus riches de cette planète. Si au nom de la modernité, les travailleurs doivent renoncer à leurs droits collectifs, si au nom de la modernité, les travailleurs doivent accepter d’œuvrer au-delà de ce que leur santé leur permet, si au nom de la modernité ce retour à des conditions relevant de l’esclavagisme contemporain doit effacer plus de cent ans de lutte pour voir reconnue au niveau international l’articulation des temps de vie dans la première convention adoptée par notre organisation, alors les travailleurs n’ont aucun mal à se dire conservateurs, car c’est bien de nouveaux droits définis dans le cadre de conventions collectives nationales dont les travailleurs de l’économie digitale ont besoin pour que le temps de repos de chacun soit respecté par l’employeur.

Marjorie Alexandre Ex-Secrétaire confédérale au Secteur International, Europe et Migrations