Corée du Sud : démocratie à deux vitesses

International par Evelyne Salamero

Le dirigeant syndical sud-coréen Han Sang-gyun condamné à trois ans de prison. © IndustriALL

Les deux Corées ont défrayé la chronique ces derniers jours pour cause de jeux olympiques. Mais il y a des choses dont on entend beaucoup moins parler, voire pas du tout. En République de Corée (Corée du Sud), pourtant démocratique depuis la fin des années 80, des syndicalistes sont derrière les barreaux ou poursuivis et en passe d’être jugés pour avoir simplement manifesté pacifiquement. La Confédération syndicale internationale exige l’arrêt immédiat de cette répression.

De manière criante ces dernières semaines, la justice ne s’exerce pas de la même façon pour tous en Corée du Sud. L’héritier de Samsung, Lee Jae-yong, condamné en août dernier à cinq ans de prison pour corruption et parjure, a été remis en liberté le 5 février par une cour d’appel qui –tout en confirmant sa culpabilité– a ramené sa condamnation à une peine de prison avec sursis.

Le syndicaliste Han Sang-gyun, lui, reste en prison

Le président de la confédération syndicale indépendante KCTU, Han Sang-gyun, lui, reste en prison. Il a été condamné à cinq ans de prison en juillet 2016 puis à trois ans en appel en décembre 2016 pour avoir simplement exercé son droit démocratique à se réunir et à manifester pacifiquement. Le groupe de travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire, indique la CSI (Confédération syndicale internationale) a qualifié cette privation de liberté d’arbitraire, lancé un appel en faveur de sa libération immédiate et d’une indemnisation et demandé au gouvernement coréen d’éviter le recours abusif aux procédures pénales dans le cadre des manifestations pacifiques.

Mais en dépit de cet appel et de ceux répétés des syndicats aux quatre coins du monde, Han Sang-gyun ne s’est pas vu accorder en décembre dernier la grâce spéciale par le nouveau président Coréen élu en mai 2017, Moon Jae-in.

En revanche, le 31 décembre, l’ancienne secrétaire générale de la KCTU, Lee Young-joo, a été arrêtée à son tour, durant son hospitalisation à la suite d’une grève de la faim, et devrait être jugée d’ici la fin du mois de mars.

Au cœur du problème : les réformes structurelles

Ces deux dirigeants syndicaux, explique la CSI, sont tombés entre les mains des tribunaux coréens pour le rôle qu’ils ont joué le 14 novembre 201, jour de mobilisation nationale contre les réformes du travail menées par le précédent gouvernement, particulièrement massive et violemment réprimée par les forces de police.

Quelques mois auparavant, le 24 avril 2015, la KCTU avait appelé à une grève générale pour le retrait des réformes du marché du travail (facilitation des licenciements, augmentation des secteurs autorisés à employer des travailleurs détachés, prolongation de la durée des CDD, introduction du salaire au mérite) et le retrait de la réforme du système de pension des fonctionnaires. Elle revendiquait aussi le relèvement du salaire minimum et l’extension des droits syndicaux à l’ensemble des travailleurs, y compris les précaires.

La commission tripartite de négociation a volé en éclats

Les difficiles négociations au sein de la Commission tripartite sur les réformes du marché du travail ont commencé à voler en éclats en décembre 2014, soit quatre mois après avoir été entamées, quand le gouvernement de l’époque, celui de l’ex-présidente Park Geun-hye, les a rompues en décidant de publier unilatéralement le contenu de la première partie de sa réforme, sous la forme d’un « Plan complet destiné aux travailleurs temporaires ».

Ces négociations ont fini de capoter en septembre 2015 quand l’autre centrale syndicale du pays, la FKTU, a décidé de se retirer de l’accord tripartite laborieusement conclu et d’appeler elle aussi à la grève, face à l’obstination du gouvernement à imposer unilatéralement des points qui ne figuraient pas dans l’accord tripartite.

Le gouvernement ne parvenant pas dans ce contexte de fronde sociale à faire passer ses cinq projets de loi à l’Assemblée nationale a alors publié unilatéralement le 22 janvier 2016 des Directives introduisant des mesures supplémentaires, comme la diminution de la majoration salariale pour travail du dimanche ou les jours fériés, ou encore la prolongation de la période d’emploi requise pour avoir droit à l’allocation chômage de 180 jours à 270 jours.

En 2016, plainte de la CSI et des centrales syndicales coréennes devant l’Organisation internationale du travail

Les directives ne sont pas juridiquement contraignantes, <q<cependant, elles sont utilisées par le ministère pour conseiller les employeurs, et elles sont susceptibles d’avoir un large effet sur le marché du travail, expliquent la CSI et les deux centrales syndicales coréennes dans la plainte qu’elles ont présentée à l’OIT (organisation internationale du travail) en août 2016.

Cette plainte est dirigée contre le gouvernement de la République de Corée pour avoir imposé unilatéralement des lois et des politiques qui violent les droits en matière de liberté syndicale et de négociation collective, pour avoir arrêté et poursuivi des dirigeants syndicaux ayant participé à des manifestations et des grèves pacifiques contre ces politiques et pour un recours excessif à la force par la police contre des manifestants pacifiques.

Nouveau président, nouvelle donne ?

Depuis, un nouveau président, Moon Jae-in, a été élu le 10 mai 2017. Le mouvement syndical international s’en est félicité, espérant qu’il concrétise, en tant qu’ancien avocat spécialiste des droits humains, souligne la CSI, ses promesses de campagnes en annulant les politiques anti-syndicales du gouvernement de l’ancienne présidente Park Geun-hye, en ratifiant les conventions 87 et 98 de l’OIT sur la liberté syndicale et la négociation collective et en libérant Han sang-gyun.

Comme le constate la CSI, le président Moon doit encore remplir ces engagements.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

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