Coronavirus : les salariés de la restauration collective veulent sortir de l’ombre

Coronavirus / Covid19 par Clarisse Josselin

Dans les hôpitaux, les maisons de retraite ou encore un certain nombre d’entreprises, l’activité se poursuit, et la restauration collective avec. Ces salariés, souvent sous-traitants, se retrouvent en première ligne pour nourrir ceux qui travaillent dans les activités essentielles à la Nation, mais sans la reconnaissance qui va avec. Les syndicats FO exigent une prime exceptionnelle et le respect de leurs droits.

Je suis épuisée, c’est trop stressant, on court un risque tous les jours, lâche Ouahiba Allam, déléguée syndicale centrale FO chez Newrest Restauration et en poste à l’Institut Curie à Paris. Dans ce centre de lutte contre le cancer, il n’y a plus de cantine collective, mais les salariés font la queue pour des plats à emporter.

Les soignants viennent en tenue de travail, on ne sait pas qui ou quoi est contaminé, explique-t-elle. On leur demande de respecter les gestes barrières, d’attendre un par un. Des salariés font très attention, mais d’autres nous collent. Seul point positif, elle et ses collègues sont bien équipés en matériel depuis le début de l’épidémie. Sans protection, j’avais prévenu que ce serait le droit de retrait, raconte la militante.

Le nombre de repas servis par jour est passé de 800 à 250. Et le service tourne avec cinq salariés contre dix-neuf habituellement. On est tous épuisés, poursuit-elle. En plus, comme il n’y a plus de transports en commun, je fais un long trajet en voiture. J’aimerais qu’on puisse travailler en alternance avec une autre équipe. Mais la direction dit qu’elle manque de personnel, les gens ont peur de venir travailler.

Newrest Restauration compte près de 1 450 salariés. La déléguée du syndicat FO, deuxième organisation dans l’entreprise, a évoqué avec la DRH le versement d’une prime exceptionnelle pour les travailleurs exposés au virus à l’hôpital, en clinique, en Ehpad... Elle m’a répondu qu’elle ne savait pas si la société allait survivre et qu’on verrait après le déconfinement, tempête Ouahiba Allam. Peut-être que la société ne gagne pas d’argent en ce moment, mais elle a un gros chiffre d’affaires, et nous on pense à notre vie.

Chiffre d’affaires en hausse de 12,3 % en 2019 chez Newrest

Avec l’ensemble des syndicats FO du groupe Newrest, elle se bat aussi pour faire respecter les droits des salariés au chômage technique. Que ce soit dans la restauration ferroviaire, la restauration collective ou l’aérien, les directions ont imposé aux salariés de poser des congés ou des récupérations avant de leur faire bénéficier du dispositif de chômage partiel. Et pour certains, cela va au-delà du plafond de six jours mis en place par le gouvernement.

Fin mars, dans un tract commun, les syndicats ont exigé de ne pas toucher aux différents compteurs de repos, RTT et congés payés. Ils demandaient aussi à la direction de compléter l’indemnisation des salariés en chômage partiel afin de préserver leur pouvoir d’achat. L’an dernier, Newrest, l’un des leaders mondiaux dans son secteur avec une présence dans cinquante-huit pays, a enregistré un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros, en hausse de 12,3 %.

Sur l’indemnisation à 100 % du chômage partiel, je n’ai pas eu de réponse, poursuit Ouahiba Allam. J’ai aussi dû me battre pour que les parents d’enfants puissent bénéficier du congé maladie exceptionnel de 14 jours. Là aussi, la direction voulait leur imposer de prendre des congés payés. J’ai dû saisir l’inspection du travail. Elle envisage d’écrire une lettre ouverte à Olivier Sadran, le P-DG de Newrest. On bosse et il n’y a aucune reconnaissance, dénonce-t-elle.

Les compteurs RTT et repos compensateur siphonnés

Chez Newrest Inflight, qui prépare des plateaux-repas pour les avions, l’activité est totalement à l’arrêt depuis la fermeture des aéroports de Roissy et d’Orly fin mars. Mais les salariés étaient en poste durant les deux premières semaines de l’épidémie. On n’avait ni masques ni gel, alors qu’on travaille dans des entrepôts et en cuisine, explique Hicham Halmi, délégué central FO, syndicat majoritaire. La préparation des plateaux se fait à la chaîne avec cinq personnes sur deux mètres. Sur les deux aéroports, on a eu une dizaine de malades et malheureusement un décès. Newrest se vante d’avoir fait des donations de masques à des hôpitaux, mais il aurait fallu aussi nous protéger. Quand la situation est devenue critique avec l’arrêt des compagnies aériennes, la direction était obsédée par la question économique et financière, sans se préoccuper du côté humain.

Là aussi, la direction a demandé aux salariés de poser des congés avant de les placer en chômage partiel. Ceux qui n’avaient pas de reliquat de congés ont continué à travailler jusqu’à fin mars. La direction a siphonné tous les compteurs RTT, repos compensateur et congés payés, dénonce le militant. Le patron impose aussi à tout le monde des congés pour l’été prochain. Et le tout se fait sans accord d’entreprise. On a saisi l’inspection du travail et on prépare les actions en justice.

Chez Newrest Inflight, le maintien à 100 % du salaire pour les salariés en chômage partiel a été refusé. Comme on a saisi l’inspection du travail, la direction commence à évoquer la négociation d’un accord d’entreprise sur les congés, mais seulement pour ceux à venir, pas pour ceux posés en mars, raconte le délégué FO. Quand l’activité reprendra, elle veut que les salariés soient opérationnels tout de suite. C’est le conflit total.

Fiches de sécurité par emploi

Sodexo est un autre géant du secteur de la restauration collective, avec 22 000 salariés travaillant en sous-traitance sur 4 000 sites : hôpitaux, maisons de retraite, entreprises, écoles... La première préoccupation d’Éric Villecroze, délégué central FO, a été d’assurer la sécurité des salariés. Le syndicat a exigé un maximum de matériel de protection pour le personnel. Il a aussi demandé à la direction de faire des fiches de sécurité par emploi et par service : livraisons, distribution des repas, travail en cuisine... Le double enjeu est de faire respecter des mesures de sécurité dans des locaux qui ne sont pas à nous et sur des sites pas adaptés, explique-t-il

Lui aussi revendique la prime exceptionnelle Covid pour les salariés en poste et une prise en charge par Sodexo du complément de salaire pour les salariés en chômage partiel, soit environ la moitié des effectifs. Mais ce dernier chiffre est mouvant car si une entreprise rouvre, on suit le mouvement et on envoie des salariés, explique-t-il. Si 98 % du scolaire est à l’arrêt, 80 % des hôpitaux, cliniques et établissements du secteur social, ainsi que 40 % des sites en entreprise sont ouverts.

La direction s’est engagée sur le principe de verser une prime aux salariés sur le terrain, même si elle doit encore calculer son montant. C’est un signe de reconnaissance, souligne Éric Villecroze. Sur le chômage partiel en revanche, rien n’est acquis. Avec la baisse du chiffre d’affaires et la perte de certains stocks, la direction ne veut pas répondre tout de suite, explique le militant. On espère une réponse fin avril ou début mai.

Un fonds de solidarité pour les salariés les plus en difficulté

Sur le terrain les gens sont vraiment à vif, ajoute-t-il. Certains sont volontaires pour travailler mais d’autres n’ont pas le choix. Si les premiers jours ils ont manqué de matériel de protection contre le virus, le militant estime que la situation s’est améliorée depuis. Mais les salariés ont le sentiment d’être les grands oubliés, ajoute-t-il. Tous les sous-traitants sont invisibles dans les médias, pour les politiques et les directeurs des sites. On applaudit les soignants. Mais derrière il y a ces gens de l’ombre qui font les repas, le ménage, la logistique, parfois l’accueil.

Le syndicat demande aussi la prise en charge de la part salariale de la mutuelle pour redonner du pouvoir d’achat. Un fonds de solidarité a été monté dans le groupe pour aider rapidement les salariés les plus en difficulté. La grande majorité des salariés sont employés et gagnent aux alentours du Smic, poursuit le militant. Il y a beaucoup de familles monoparentales, et certaines bénéficiaient de la gratuité ou quasi-gratuité de la cantine des enfants le midi. Là le budget explose.

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante