L’édition 2018 du rapport annuel de la Cour des comptes publié ce 7 février attaque fort, dressant un portrait peu glorieux de la situation des finances publiques.
Certes estime la Cour le gouvernement a pris cet été des mesures de « freinage » de la dépense publique mais indiquent à mots couverts les Sages de la rue Cambon ces mesures demeurent insuffisantes pour ramener sur 2017 le déficit de la France à un niveau équivalent à celui des autres de la zone euro. Elles ont juste évité un dérapage supplémentaire des dépenses publiques
. Les mesures n’auront toutefois pas empêché la dépense de croître de près de 1 %, au rythme moyen des cinq années précédentes
.
Et d’enfoncer le clou. Le gouvernement assure que ces dispositions de freinage prises à la fin de 2017 –suite à l’audit pratiqué cet été sur les comptes publics– permettraient de contenir le déficit public à 2,9 points de PIB, soit sous la barre des 3 points ? Ce n’est que la version du gouvernement indique en substance la Cour pour qui le recul du déficit est loin d’être gagné.
Le contre coup d’une invalidation
Pour les magistrats, des incertitudes inhabituelles
portant sur les comptes de l’État et notamment dues au coût de la recapitalisation d’Areva et du contentieux sur la taxe à 3% sur les dividendes
font courir un risque de dérapage. Cette taxe créée en 2012 et payée par les grandes entreprises a été invalidée par le Conseil constitutionnel en octobre.
Or, même si une surtaxe a été créée en cet automne 2017 et si elle doit apporter une recette de 4,9 milliards d’euros sur 2017, cela ne compense pas intégralement le surcout en 2017 entraîné par cette invalidation
explique la Cour.
Selon les modalités de règlement de cette affaire de suppression de taxe –notamment le choix de la date d’enregistrement (2017 ou 2018) en comptabilité nationale des remboursements aux entreprises concernées–, l’invalidation pourrait avoir un effet quasi nul en termes budgétaires sur 2017 pour l’État ou au contraire avoir un coût de cinq milliards d’euros voire 10 milliards.
Selon le scénario qui s’appliquera, l’État pourrait devoir s’acquitter de remboursements en 2018. Le coût net pour l’État pourrait s’élever alors à plus de 4 milliards d’euros
indique la Cour.
L’embellie venue à point nommé
Bref, concernant 2017 résume sèchement la Cour des comptes, c’est surtout à l’amélioration de la conjoncture
en fin d’année qu’il convient d’imputer le léger recul de la dépense.
Ainsi l’amélioration de la conjoncture [une croissance à 1,9% du PIB sur 2017 et huit milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires NDLR] et, dans une moindre mesure, les mesures de freinage de la dépense prises à l’été 2017, ainsi qu’une nouvelle baisse de la charge d’intérêts et du prélèvement sur recettes à destination de l’Union européenne, devraient en effet avoir pour une large part compensé la nette sous-estimation des dépenses, notamment de l’État, qu’avait révélée l’audit
.
On peut comprendre que les mesures d’austérité décidées l’été dernier –une économie supplémentaire de 4,5 milliards d’euros imposée aux services de l’État en 2017– n’ont eu qu’un faible impact.
« Un montant élevé de baisse des prélèvements »…
En ce qui concerne les perspectives pour 2018 fixées par le gouvernement ? La Cour est tout aussi critique. Et pour le moins dubitative. Elle juge ainsi que le gouvernement vise un objectif de déficit public en très faible réduction
. Ainsi le déficit s’élèverait à 2,8 points de PIB sur cette année.
Pour les Sages, les marges pour maintenir le déficit public en dessous de 3 points de PIB et faire face à un choc conjoncturel défavorable resteraient faibles en 2018
. Concrètement en cas de retournement de la conjoncture, une croissance plus faible, l’effort demandé aux comptes publics (fixés par les fois de finances pour 2018) ne serait pas assez dur pour respecter l’objectif d’un déficit à moins de 3 points du PIB.
Et les magistrats de pointer l’attitude récurrente des pouvoirs publics depuis des années. Ils tirent parti de l’amélioration de la conjoncture pour baisser les prélèvements obligatoires et n’améliorer que modestement le déficit public
.
La Cour souligne un montant élevé de baisse des prélèvements
. Le rendement des prélèvements obligatoires diminuera de 9,9 milliards d’euros indique les magistrats, indiquant que les mesures sur les prélèvements vont entrainer une nouvelle hausse de la dette publique rapportée au PIB
.
… Et ces baisses profiteront aux plus riches
Sur 2018, la baisse des prélèvements, notamment fiscaux, s’adresse plus particulièrement aux très riches et aux entreprises, notamment à travers la suppression de l’ISF, la création du PFU (prélèvement forfaitaire unique à 30%), la poursuite de l’abaissement du taux sur l’impôt sur les sociétés, l’allègement des cotisations patronales...
Ces mesures induisent un manque à gagner à hauteur de plusieurs milliards d’euros pour les comptes publics. Les mesures sur l’ISF et le PFU induiront ainsi à elles seules un manque à gagner de 4,5 milliards cette année prévoit le gouvernement. 6,5 milliards rectifiait de son côté récemment l’OFCE.
Quant à l’abaissement du taux de l’impôt sur les sociétés (ramené à un taux d’imposition de 25% sur les bénéfices d’ici 2022) il participera –avec l’allègement sur les cotisations et la suppression de la taxe de 3% sur les dividendes– à offrir à l’ensemble des entreprises un gain net de 8,2 milliards sur cinq ans. Dont un gain de 4,1 milliards d’euros pour les grandes entreprises. Tout cela sans compter bien sûr les effets du CICE (crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi) dont le coût pour l’État augmentera de 1,7 milliard d’euros en 2018.
Les gros doutes de la Cour
Pour la Cour des comptes, la réduction du déficit public suppose un ralentissement de la dépense publique qui n’est pas garanti
. La situation des collectivités locales est pointée du doigt. La prévision de dépenses des collectivités locales, notamment, suppose une baisse en volume de leurs dépenses de fonctionnement, alors même que la pression qu’avait fait peser sur celles-ci la baisse des concours financiers de l’État aura disparu
.
Alors que le gouvernement programme pour cette année un recul de 20 milliards d’euros de la dépense publique (État, collectivités, sécurité sociale), les collectivités territoriales devront participer à cet effort à hauteur de 2,6 milliards. Et à hauteur de treize milliards sur cinq ans. La Cour note que les dépenses d’investissement des collectivités ralentiront de nouveau cette année.
Comment est organisé cet effort ? Soit prévenait cet été l’Exécutif, les collectivités donneront leur assentiment à un recul de leurs dépenses de fonctionnement notamment à travers un pacte/accord passé pour les plus grandes avec l’État, soit elles seront sous la menace d’une baisse de leurs dotations.
Rappel à l’ordre
Quant aux efforts demandés à la sécurité sociale, il y a des économies d’une ampleur significative à réaliser sur le champ de l’ONDAM
, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, indique la Cour qui salue cependant une maîtrise de l’ONDAM exigeante
pour 2018 avec un taux de croissance de 2,3%.
Les magistrats rappellent toutefois que les économies nécessaires pour respecter l’ONDAM sont plus élevées en 2018 –près de 3,7 milliards d’euros– qu’en 2017, près de 3,1 milliards d’euros
. Ils estiment que le plan de croissance des dépenses des administrations de sécurité sociale (de +0,6% en 2017 à +0,9% en 2018) suppose à l’inverse une stabilisation des dépenses de l’Unédic [assurance chômage, NDLR] et une maîtrise accrue des dépenses de santé
.
Trop lent et pas assez musclé
Globalement, les magistrats soulignent dans leur rapport 2018 que les objectifs de contrainte de la dépense publique ne vont pas assez loin et assez vite.
La réduction substantielle du déficit public n’interviendrait qu’à partir de 2020
. C’est tardif
regrette la Cour relevant le pari risqué d’un maintien d’une croissance soutenue
. Si tel n’était pas le cas, le déficit public serait encore de 0,8 point de PIB en 2022
avertissent les Sages qui contestent l’hypothèse du gouvernement dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques.
Pour eux, l’infléchissement progressif du rythme de la croissance de la dépense publique ne permettrait ni de réduire le déficit structurel à hauteur de ce que supposerait le respect des engagements européens de la France ni de ramener le solde structurel à l’objectif de moyen terme (un déficit structurel ne dépassant pas 0,4 point de PIB), à l’horizon de la loi de programmation
.
Des hypothèses trop floues et trop fragiles
Bref, ce qui est programmé en matière d’abaissement de la dépense ne serait pas à la hauteur. Et cela même si l’Exécutif a confirmé sa volonté d’abaisser de plus de trois points la part de la dépense publique dans le PIB d’ici 2022… Cela revient à un recul de plus de 60 milliards d’euros de la dépense publique.
Pour la Cour toutefois, la prévision concernant la baisse du déficit s’appuie sur la prévision d’un effort réel sur les dépenses, insuffisant toutefois pour permettre le retour à l’équilibre structurel
. Fermez le ban.
Afin d’obtenir les résultats qu’il escompte en matière de recul du déficit public l’État parie sur la mise en œuvre de réformes sur les dépenses dont les contours restent à définir
indique la Cour.
Concernant les collectivités, l’État parie sur la réalisation, peu vraisemblable, d’excédents de plus en plus élevés auxquels la mise en place d’un dispositif nouveau de contractualisation avec les plus grandes d’entre elles est supposée conduire
.
La Cour préconise des réformes…
La cour ne croit pas à ces deux scenarii et met en garde le gouvernement contre une sorte de péché d’optimisme provenant de l’amélioration constatée de la situation économique
qui masquerait la situation réelle des comptes publics et sembler à tort alléger la contrainte qui pèse sur nos finances publiques
.
Pour les magistrats, la nécessité de restaurer dans la durée la soutenabilité des finances publiques de la France n’en est pas pour autant moins pressante
.
Pour cela, il faudrait procéder à l’évaluation de la pertinence des dépenses publiques. Notre pays se caractérise par un niveau de dépenses publiques élevé sans que les résultats des politiques mises en œuvre soient toujours à la hauteur des dépenses consenties
.
Le niveau de ces dépenses est significativement supérieur
en France comparé à celui des « partenaires » se plaît à préciser la Cour, avançant sa préconisation : l’identification des marges d’efficience importantes que révèle cette comparaison et la mise en œuvre des réformes permettant de les exploiter doivent donc être menées dès à présent
. Concrètement, il faudrait procéder à des réformes, notamment structurelles. Et vite.
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