Cour des comptes : l’audit alarmiste inspire déjà le gouvernement

Économie par Valérie Forgeront

© Denis ALLARD/REA

Rendu public ce 29 juin, l’audit de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques se montre alarmiste. Sans mesure drastiques et immédiates de redressement des comptes, il faut s’attendre à un « dérapage » de près de 8 milliards d’ici la fin 2017 estiment les magistrats de la rue Cambon qui affichent des préconisations sévères y compris dans le temps et stigmatisent les biais de construction qui ont affecté la sincérité de la loi de finances initiale pour 2017 (validée le 29 décembre par le conseil constitutionnel) et celle du programme de stabilité européen. La sortie de route des comptes induirait un déficit public à 3,2% du PIB fin 2017 et non à 2,8% comme le prévoyait les engagements de la France vis-à-vis de ses partenaires européens en avril dernier rappelle la Cour. Pour le Premier ministre, M. Édouard Philippe, ce dérapage inacceptable doit être rectifié. Il pourrait annoncer des mesures d’économies dès ce 4 juillet. Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics a dégainé quant à lui une première mesure dès ce 29 juin, annonçant le gel des hausses générales de salaires dans la fonction publique en 2018… Il s’agit une nouvelle fois de mesures d’austérité s’irritent les fonctionnaires FO.

Les dépenses notamment celle de l’État auraient été sous-estimées de 5,9 milliards. Les recettes, fiscales et non fiscales, auraient-elles été sur-estimées de 2 milliards. Bilan expliquait le 29 juin la Cour des comptes en rendant public son rapport/audit au gouvernement sur la situation actuelle des finances publiques et les perspectives à l’horizon 2020, un dérapage des comptes est plus que probable d’ici la fin de l’année et ce à hauteur de huit milliards d’euros.

Le dépassement sur les dépenses des ministères est ainsi estimé à 5,6 milliards, principalement dû à une sous-budgétisation à hauteur de 4,2 milliards indique la Cour.

Les magistrats de la rue Cambon ne font pas dans la dentelle allant jusqu’à déclarer que des biais de construction importants ont affecté la sincérité de la loi de finances et du Programme de stabilité d’avril 2017. La loi de finances initiale pour 2017 avait été validée le 29 décembre 2016 par le conseil constitutionnel qui écartait alors toute insincérité de la construction budgétaire.

Quoi qu’il en soit, en l’absence de mesures de gestion rigoureuse prises dès le second trimestre, le déficit public (État, collectivités territoriales et sécurité sociale) ne s’élèvera pas à la fin de cette année à 2,8% du PIB (produit intérieur brut) comme promis en avril dernier dans le Programme de stabilité transmis par la France à Bruxelles mais à 3,2% assure la Cour des comptes.

La Cour alarmiste

Pour l’année 2018, la Cour estime qu’un effort d’économies sans précédent est nécessaire pour respecter la trajectoire du programme de stabilité de 2018. D’ici à 2020 indique encore la Cour, la trajectoire annoncée de résorption du déficit public apparaît très ambitieuse compte tenu des risques [de dérapage, NDLR] d’ores et déjà identifiés.

Pour écarter la possibilité de dérapages budgétaires et cela dès cette année, la Cour insère à son rapport annuel faisant office d’audit des préconisations. Elles sont sévères. Ainsi le gouvernement devra annuler certains crédits cette année afin de pouvoir financer des programmes qui sont pour l’instant sous-budgétés conseille la Cour. Mais ajoute-t-elle sur le mode alarmiste, cela ne suffira pas à ramener en 2018 le déficit public sous la barre des 3% requis l’Europe et donc sortir de la procédure pour déficit excessif sous laquelle pour l’instant la France est placée.

Des préconisations sévères

Familiers du genre quasiment chaque année les magistrats proposent leurs recettes censées résorber au plus vite le déficit public et garantir la sincérité des projets de lois de finances notamment adressés au Parlement. Notant que les politiques censées diminuer les dépenses telles la RGPP (révision générale des politiques publiques entre 2007 et 2012) ou encore la MAP (modernisation de l’action publique à partir de 2012) n’ont pas produit les résultats escomptés faute d’une action conduite dans la durée, la Cour conseille d’appliquer ces recettes dès 2018 et cette fois dans la durée.

Il faudrait selon la Cour rénover notamment la gouvernance des finances publiques. Cela consisterait notamment à élargir la portée des lois financières annuelles par la création d’une loi de financement des collectivités locales et d’une loi de financement de la protection sociale, étendant le champ des lois de financement de la sécurité sociale aux régimes complémentaires de retraite obligatoires et au régime d’assurance chômage.

Il faudrait aussi propose la Cour compléter l’objectif de solde structurel par un objectif de dépenses portant sur le montant des dépenses en valeur de l’ensemble des administrations publiques. Un tel objectif serait défini en loi de programmation des finances publiques puis décliné dans l’article liminaire des lois financières (loi de finances, loi de financement de la sécurité sociale et, le cas échéant, loi de financement des collectivités locales.

Cette recette de la Cour revient à généraliser le concept de l’Ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie) à l’État, les collectivités locales et la protection sociale.

La fonction publique dans le collimateur

Les magistrats ont bien d’autres idées à commencer par les mesures qu’ils préconisent pour les administrations publiques et leurs agents. Ainsi le premier levier d’action pour améliorer l’efficience des dépenses publiques impacte directement les fonctionnaires.

La Cour prône le gel du point d’indice (base de calcul des traitements/salaires de l’ensemble des agents). Mais assure-t-elle cela ne suffira pas. Il faudrait donc geler l’échelon soit la progression des fonctionnaires dans la carrière, c’est-à-dire le calcul de l’ancienneté (GVT). Il faudrait aussi une reprise de la réduction du nombre de fonctionnaires en ne remplaçant dans la fonction publique de l’État qu’un fonctionnaire sur deux partant en retraite. Au sein du secteur hospitalier et de la territoriale, il faudrait le non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois explique la Cour.

Cette recette n’est pas nouvelle. Déjà appliquée entre 2007 et 2012 dans le cadre de la RGPP, elle a mis en péril les effectifs dans certains secteurs, celui de la sécurité notamment. La Cour propose aussi de découpler la valeur du point. Concrètement la valeur du point d’indice serait différente dans chacune des trois branches de la fonction publique (État, hospitalière, territoriale). Ces valeurs seraient appelées à évoluer en fonction des contextes spécifiques à chacune.

De nouvelles mesures d’austérité ?

Remise en cause d’indemnités, du déroulement de carrière, augmentation de la durée du travail… La Cour ne manque pas d’idées. Inspirent-elles déjà le gouvernement ?

Quelques heures après la parution du rapport de la Cour des Comptes, le ministre de l’Action et des Comptes Publics, M. Gérald Darmanin en charge aussi de la fonction publique annonçait un gel du point d’indice des fonctionnaires pour 2018. Cette prompte décision a déclenché la colère des agents, des fonctionnaires FO notamment rappelant que l’austérité est suicidaire économiquement, socialement et démocratiquement.

Alors que la Cour des comptes présente sa thérapie de choc constatent les fonctionnaires FO (UIAFP-FO) le premier ministre Édouard Philippe et le ministre M. Gérald Darmanin multiplient les annonces de sévères restrictions pour la fonction publique et ses agents, à commencer par le gel du point d’indice.

Les agents FO rappellent les récents dégâts provoqués par les politiques d’austérité appliquées à la fonction publique en termes d’effectifs et de moyens pour des services désormais au bord de la rupture ou encore de perte de pouvoir d’achat (-16% depuis 2000)….

Les fonctionnaires FO soulignent encore que les cadeaux offerts au patronat dans le cadre du pacte de responsabilité et notamment sous forme de crédits d’impôts (50 milliards) ont été financés par des coupes budgétaires asphyxiant la sécurité sociale et les services publics. L’UIAFP-FO durcit ainsi le ton. Après cette ponction, le Premier ministre et la Cour des comptes ont encore le toupet d’évoquer un dérapage de huit milliards dans les finances publiques.

Gonflée d’idées en vue d’abaisser la dépense publique, la Cour propose, elle, de développer l’administration numérique, de revoir les investissements des administrations, de revoir aussi les missions des collectivités locales et de poursuivre l’encadrement des concours financiers » de l’État aux collectivités, cela alors que le niveau des dotations financières de l’État aux collectivités ne cesse de baisser depuis 2012.

La Cour conseille aussi de se pencher sur le coût des lycées ou encore de conditionner une allocation de moyens aux universités en fonction de leur activité et performance… Des préconisations affichant de multiples d’austérité sont faites aussi en matière de logement, de politique de santé, d’assurance chômage, de formation professionnelle, de retraite…

Le gouvernement s’en inspirera-t-il ? Insistant le 29 juin sur le caractère inacceptable du dérapage des comptes révélé par l’audit, le Premier ministre, M. Édouard Philippe déclarait qu’il préciserait le 4 juillet lors de son discours de politique générale la stratégie du gouvernement pour redresser les comptes publics. La stratégie sera assise sur des mesures d’économies annonçait d’ores et déjà le Premier ministre.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

Sur le même sujet