Crise sanitaire : le transport aérien dans la tourmente

InFO militante par Evelyne Salamero, L’inFO militante

© GILLES ROLLE/REA

Avions cloués au sol, aéroports quasiment déserts… Alors que la crise sanitaire continue de frapper les transports de plein fouet, l’aérien est le plus touché. Le devenir de dizaines de milliers d’emplois, directs et indirects, est au cœur des préoccupations de FO, qui exige que les aides publiques soient conditionnées au maintien de l’emploi.

Avions cloués au sol, aéroports quasiment déserts… Alors que la crise sanitaire continue de frapper les transports de plein fouet, l’aérien est le plus touché. Le devenir de dizaines de milliers d’emplois, directs et indirects, est au cœur des préoccupations de FO, qui exige que les aides publiques soient conditionnées au maintien de l’emploi.

En septembre déjà, l’Association internationale du transport aérien (Iata) prévoyait une baisse du trafic mondial de 66% en 2020 et n’envisageait pas un retour à une situation d’avant-crise avant 2024. Mais avec la recrudescence de la pandémie, la situation s’est encore compliquée. En Europe, en cette mi-novembre, le trafic aérien est en baisse de 81% par rapport à l’an dernier à la même époque.

Une première fois totalement fermé du 1er avril au 26 juin, l’aéroport de Paris-Orly a refermé son terminal 1 le 11 novembre. À Paris Charles de Gaulle, seuls trois « sous » terminaux (sur les six du terminal 2) restent actuellement ouverts. Le trafic des aéroports parisiens atteignait en octobre à peine un quart de celui de l’an dernier. Depuis le début de l’année, le trafic des deux aéroports parisiens est en diminution de 67,3%. Le trafic total du Groupe Aéroports de Paris (ADP), qui gère directement ou indirectement plus d’une vingtaine d’aéroports dans le monde, est en baisse de 56,8% par rapport au mois d’octobre 2019 avec 9,1 millions de passagers accueillis, soit une diminution de 61,3% depuis le début de l’année.

Près de 200 aéroports européens au bord de la faillite

Dans ce contexte, le Conseil des aéroports internationaux européens (ACI Europe) a de nouveau demandé l’aide des États mardi 17 novembre pour sauver 193 aéroports au bord du dépôt de bilan. Un SOS déjà adressé début novembre à l’Union Européenne, auprès de qui l’ACI a également réclamé un plan spécifique pour l’aviation qui permettrait de continuer à verser les aides publiques nécessaires tant que des mesures de restrictions de circulation seront maintenues en Europe.

Un milliard et demi de passagers ont d’ores et déjà été perdus depuis le début de l’année par les quelque 500 aéroports membres de l’ACI Europe répartis dans 46 pays, indique l’association.

De plus, une forte majorité de ces aéroports (70%) a accordé des réductions de redevances aux compagnies aériennes afin que ces dernières puissent sauver quelques lignes. Mais les aides d’État déjà accordées aux aéroports et aux entreprises de services aéroportuaires ne s’élèvent qu’à respectivement 930 et 590 millions d’euros, contre 31,8 milliards pour les compagnies aériennes.

L’ACI Europe demande aussi la généralisation de tests Covid rapides en lieu et place des tests PCR et des mesures de quarantaine, ce que 55 aéroports européens ont déjà fait. Le groupe français ADP a ainsi signé le 5 novembre un partenariat avec les laboratoires Cerballiance pour faciliter la réalisation des tests de dépistage au départ. Ils peuvent l’être dans un des centres de dépistage Cerballiance installés le 6 novembre à Paris-Orly et depuis le 12 novembre à Paris-Charles de Gaulle.

La guerre des coûts va s’aggraver

Quoi qu’il en soit, avertit le directeur général de l’ACI, Olivier Jankovic, cité par Les Échos du 18 novembre, le modèle économique des aéroports ne pourra plus être basé sur la croissance continue du trafic, soulignant au passage que les premières à sortir de la crise seront les grandes compagnies à bas coûts, comme Ryanair.

Ryanair où, en France, le syndicat FO des personnels navigants et commerciaux (SNPNC) a réussi à bloquer en juin dernier un Accord de performance collective (APC) prévoyant une baisse de rémunération.

Mais la pression se fait de plus en plus forte. Le directeur de l’aéroport de Dublin, Dalton Philip, vient ainsi de déclarer : Ça va être un bain de sang. Avec près de 200 aéroports au bord de la faillite, tout le monde va casser les prix pour attirer des clients et cela aura des conséquences à long terme.

Le 5 novembre, l’ACI Europe avait déjà alerté : Les dépenses de trésorerie des aéroports, déjà à des niveaux insupportables, ne feront que s’accélérer avec de nouvelles pertes d’emplois, en l’absence d’une intervention urgente. Clairement, nous allons avoir besoin d’aides car celles données à certaines compagnies aériennes ne vont pas résoudre nos problèmes. Les aéroports européens plus importants et les « hubs » ne sont pas à l’abri d’un important risque financier après avoir réduit les coûts jusqu’à l’os et avoir eu recours aux marchés financiers pour consolider leurs comptes., ajoutait l’ACI.

En France, l’APLD est une première réponse, mais insuffisante pour l’aérien

Dans ce contexte, le dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD), est une première réponse, mais n’est pas totalement adapté au secteur aérien, indique Zaïnil Nizaraly, secrétaire général de la Fédération FO de l’Équipement, des Transports et des services (FEETS-FO). En effet, explique-t-il, dans le dispositif actuel, la prise en charge par l’État et l’Unedic du paiement des heures chômées n’est prévue que pour une réduction de 40% de l’activité au maximum. Or, dans l’aérien, nous en sommes plutôt à 75% de réduction ! L’entreprise y perd donc 35%, c’est mieux que de perdre 100%, mais c’est loin d’être la panacée. (La limite de 40% peut être dépassée jusqu’à 50% sur décision de la Direccte dans des cas exceptionnels résultant de la situation particulière de l’entreprise).

De plus, dans un secteur où le travail posté est fréquent, une part importante du revenu des salariés repose en temps normal sur les primes, en particulier la prime pour travail de nuit. Mais dans le cadre de l’activité partielle, ces primes sont perdues. La perte de revenus est donc plus importante qu’ailleurs, souligne Zaïnil Nizaraly.

À ce stade, les salariés les plus immédiatement en danger sont ceux des entreprises sous-traitantes [chargées de la manutention aéroportuaire par exemple, NDLR], car ils sont en bout de chaîne, s’inquiète le responsable syndical.

Dire que nous ressentons une vive inquiétude est un euphémisme, enchaîne-t-il, avant de poursuivre : Des progrès ont effectivement été faits en matière de dépistage par rapport au premier confinement pour favoriser la reprise de l’activité aérienne. Mais cela ne suffit pas. Les avions ne volent pas, les trésoreries diminuent chaque jour. Nous nous attendons à une multiplication prochaine des PSE. On sent bien que ça va arriver, il n’y a qu’à regarder ce qui se passe dans les autres pays.

Aux États-Unis, l’interruption des aides publiques a déjà provoqué la fermeture de quatre compagnies

Effectivement, la situation est d’ores et déjà catastrophique aux États-Unis où la fédération des compagnies aériennes américaines a estimé le 12 novembre que les entreprises du secteur allaient supprimer au total 90 000 emplois entre mars et décembre 2020, soit près de 20% des effectifs.

Dans un premier temps, les compagnies ont eu recours à des plans de départs volontaire ou de retraite anticipée et s’étaient engagées à ne procéder à aucun licenciement jusqu’au 30 septembre en échange de 25 milliards de subventions publiques.

Mais faute d’un accord entre démocrates et républicains sur la prolongation de ces aides financières, United Airlines et American Airlines ont mis 32 000 salariés en chômage technique en octobre et quatre petites compagnies ont d’ores et déjà mis la clé sous la porte.

Menace de licenciements secs chez Air France : FO ne signe pas le PSE dans ces conditions

De ce côté-ci de l’Atlantique, la direction d’Air France a d’ores et déjà fait savoir que le soutien de l’État (7 milliards d’euros à ce jour sous forme de prêts garantis), s’il lui permet de traverser la crise à court terme, ne l’empêchera pas d’accélérer sa transformation pour retrouver sa compétitivité. La compagnie a donc engagé un processus de réduction de ses effectifs : 6 560 suppressions d’emplois sont ainsi prévues d’ici fin 2022. Pour ce faire, la direction a mis sur la table un PSE doublé d’un PDV (Plan de départs volontaires) pour les personnels au sol.

Mais ce plan, s’il met en avant les départs volontaires, en réalité autorise à terme le recours aux licenciements secs en cas refus de mobilité, explique Christophe Malloggi, secrétaire général du syndicat FO d’Air France, lequel, de ce fait, n’a pas signé l’accord du 24 septembre dernier.

Du côté des personnels navigants et commerciaux, le syndicat FO (SNPNC) a signé en juillet dernier une rupture conventionnelle collective qui a permis à 1 100 hôtesses et stewards, pour la plupart en âge ou presque de faire valoir leurs droits à la retraite, de partir avec des compensations financières. Pour l’instant, la direction n’a pas annoncé de suppressions d’emplois supplémentaires pour ces personnels. Leur inquiétude n’en demeure pas moins forte, face à un avenir des plus incertains. Une bonne partie des 7 milliards de prêts garantis par l’État ont déjà été utilisés. Notre sort dépend du soutien futur de l’État et de la maîtrise de l’épidémie, avec peut-être l’arrivée d’un vaccin, résume Christelle Auter, responsable du SNPNC-FO.

FO exige que les aides publiques soient conditionnées au maintien de l’emploi

Nous continuerons à soutenir notre compagnie aérienne nationale si besoin est, a assuré le ministre de l’Économie Bruno Le Maire le 9 novembre. C’est une question de souveraineté nationale et puis derrière il y a des dizaines de milliers d’emplois concernés, a déclaré le ministre, tout en écartant toutefois une renationalisation de la compagnie.

La recapitalisation du groupe Air France-KLM (KLM est la compagnie néerlandaise à laquelle Air France s’est associée) n’en est pas moins à l’ordre du jour. L’État français apporterait trois milliards d’euros, auxquels s’ajouterait une contribution d’un milliard de la part des Pays-Bas. Il resterait à lever deux milliards sur les marchés financiers, toujours avides de garanties en matière de réduction des coûts d’exploitation…

L’État n’est pas non plus innocent en la matière, souligne Christophe Malloggi. C’est pourquoi, insiste-t-il, FO exige que toutes les aides publiques soient conditionnées à des engagements de l’entreprise en termes de maintien de l’emploi. À l’instar de ce qui a été obtenu dans le cadre de l’APLD, à savoir qu’Air France ne pourra procéder à aucun licenciement tant que s’appliquera le dispositif, c’est-à-dire jusqu’en fin 2023.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération