Le comité social et économique (CSE), instance unique de dialogue social créée par les ordonnances Macron de septembre 2017, a été instauré au 1er janvier 2018, avec une période transitoire de deux ans. Il devait donc être mis en place au plus tard au 1er janvier 2020 dans les entreprises de 11 salariés et plus.
Le CSE se substitue aux trois anciennes instances représentatives du personnel (IRP) : délégués du personnel (DP), comité d’entreprise (CE) et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ce regroupement des instances ne s’est pas fait subitement. Son origine remonte à la délégation unique de personnel (DUP), mise en place par une loi de 1993. Mais cette dernière ne permettait à l’époque que de rapprocher DP et CE, et seulement dans les entreprises de moins de 200 salariés. La loi Rebsamen de 2015 y a ajouté le CHSCT.
Dès le départ, la confédération FO s’est opposée au rapprochement des IRP, qui a trouvé son paroxysme dans le CSE. Le dernier congrès confédéral, en avril 2018, avait condamné dans cette instance unique une baisse de moyens et d’attributions sans précédent. Il avait dénoncé les atteintes portées à la représentation des salariés, conduisant à une diminution du nombre de représentants, une diminution des heures de délégation, une limitation du nombre de mandats successifs et l’exclusion des suppléants dans les réunions d’instance
. En effet, le nombre d’élus du CSE et d’heures de délégation a été fixé par décret selon l’effectif de l’entreprise. La confédération avait évalué à l’époque les pertes entre 150 000 et 200 000 mandats d’élus. Par ailleurs, le nombre de mandats successifs est limité à trois pour les élus du CSE, sauf dans les entreprises de moins de 50 salariés.
Les élus se retrouvent éloignés du terrain
FO avait aussi dénoncé l’obligation pour les représentants élus d’acquérir une multitude de compétences techniques dans des domaines divers avec le risque que certains sujets soient relégués au second rang, notamment ceux ayant trait à la santé et à la sécurité au travail
. La confédération a aussi pointé la perte d’attributions, notamment en matière d’hygiène ou de prévention des risques professionnels. En effet, les commissions de santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) ne sont obligatoires qu’à partir de 300 salariés (contre 50 salariés pour les CHSCT). Et ils n’ont pas la personnalité morale, donc pas de budget ni la possibilité de recourir à un expert
, rappelle Karen Gournay, secrétaire confédérale FO chargée de la négociation collective.
Plus d’un an après la création obligatoire des CSE, et trois ans après la mise en place des premières instances, un premier bilan peut être dressé. Le 25 mars dernier, à l’issue d’une réunion plénière du comité d’évaluation des ordonnances, la confédération FO s’est inquiétée de la présentation par la Dares d’éléments plus qu’alarmants sur l’implantation syndicale et la représentation du personnel
. L’organisme rattaché au ministère du Travail a notamment fait état d’une baisse du taux de couverture des entreprises par des IRP, ou un DS, alors que ce taux était stable par le passé.
Les CHSCT n’ont été en rien remplacés
Les remontées des structures FO et des représentants de terrain confirment les craintes exprimées par la confédération. Les élus ont constaté une dégradation générale du dialogue social. Ils déplorent notamment des ordres du jour à rallonge qui entraînent une discussion souvent trop rapide sur certains sujets. Les réclamations présentées auparavant par les DP ont du mal à trouver leur place dans les réunions, notamment parce que la loi a omis d’en déterminer les modalités dans les entreprises d’au moins 50 salariés
, dénonce Karen Gournay. À l’opposé, dans d’autres entreprises, les réclamations individuelles et collectives occupent la majeure partie des réunions, reléguant les autres sujets au second plan.
FO constate également des difficultés pour certains élus à exercer efficacement leur mandat, en raison de l’élargissement de leurs attributions sans compensation en termes de moyens. L’inquiétude de la confédération est renforcée par le fait que le CSE pourrait avoir de nouvelles responsabilités sur les questions environnementales, sans en avoir réellement les moyens.
En outre, bon nombre d’entreprises, auparavant découpées en établissements distincts, ont fait le choix de centraliser leur CSE, et les élus se retrouvent éloignés du terrain. Les représentants de proximité sont très marginaux, et quand ils existent ils n’ont pas de moyens
, déplore Karen Gournay.
En matière de santé et de sécurité au travail, la pratique montre clairement que les anciens CHSCT n’ont pas été remplacés par les commissions SSCT, ni en quantité, ni en qualité. S’il existe toujours une formation spécifique de 3 ou 5 jours pour les membres du CSSCT, FO déplore également qu’il n’y ait pas de nombre de jours minimum pour la formation des autres élus.
Dialogue social : la crise sanitaire a accéléré les difficultés des élus
Selon une enquête Syndex /Ifop sur l’état du dialogue social publiée en mars 2021, plus de la moitié des représentants du personnel (56 %) estiment que la qualité du dialogue social dans leur entreprise est mauvaise. Les élus lui attribuent une note moyenne de 5 sur 10 (contre 5,2 en 2019).
Selon FO, si les difficultés de fonctionnement des instances représentatives du personnel (IRP) n’ont fait que s’accroître depuis les ordonnances Macron de 2017, la crise sanitaire liée au Covid-19 a joué un rôle d’accélérateur.
Dans cette période très particulière, l’une des premières revendications portées par Karen Gournay, secrétaire confédérale chargée de la négociation collective, concerne le numérique. Avec la généralisation du télétravail et des visioconférences, les élus doivent pouvoir disposer d’un espace virtuel dédié sur le site Intranet/Internet de l’entreprise. Le CSE doit aussi avoir accès aux mails professionnels des salariés, sans avoir besoin d’en demander l’autorisation à l’employeur. Sinon c’est la rupture totale de communication et de lien avec les salariés, c’est le gros point noir depuis le début de la crise sanitaire
, explique Karen Gournay.
Autre difficulté, la loi du 23 mars 2020 a autorisé le gouvernement à réduire les délais d’information-consultation du CSE. Cela ne concerne que les mesures d’urgence prises par l’employeur en lien avec la crise sanitaire (congés payés, durée du travail…), les délais classiques étant maintenus pour les autres sujets. FO souligne que cette mesure porte atteinte au rôle consultatif du CSE et complique fortement le recours aux expertises.
Par ailleurs, l’exécutif a autorisé, dans le cadre de la crise, la quasi-généralisation du distanciel pour les réunions du CSE, au détriment du présentiel, ainsi que la réduction des délais de la convocation des élus. Un projet de loi porté par le gouvernement, relatif à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, prolonge jusqu’au 31 octobre 2021 le dispositif d’organisation à distance des réunions du CSE. Il permet le recours – à titre dérogatoire et temporaire ― à la visioconférence, aux conférences téléphoniques et à la messagerie instantanée sur simple information préalable des membres du CSE par l’employeur. L’exposé des motifs met en avant la nécessité notamment de permettre la consultation des instances sur les décisions de l’employeur induites par la crise sanitaire
. Pour FO, il est impératif que le champ de la consultation puisse être limité à ces cas d’urgence, pour éviter que l’employeur tente de faire passer en force
certaines mesures sans rapport avec la situation actuelle.
Le recours aux outils numériques pose également des difficultés pour élaborer des stratégies de négociation et préparer les réunions. FO déplore aussi la résistance injustifiée de certains employeurs à délivrer aux élus et délégués syndicaux les attestations de déplacement, entravant ainsi leur liberté de déplacement.
Tous ces éléments ne font que renforcer l’impossibilité d’obtenir dans l’entreprise un dialogue social de qualité et efficace, et il est absolument impératif qu’aucune de ces mesures ne soit prorogée, voire devienne pérenne
, prévient Karen Gournay.
Pour FO, il est urgent de redonner au CSE des moyens adaptés
Autre difficulté, en raison de la crise sanitaire, les élections professionnelles ont été suspendues pendant la première vague du Covid-19, jusqu’en septembre 2020. Malgré la période d’état d’urgence sanitaire, les élections professionnelles peuvent de nouveau se tenir, si le confinement n’empêche pas d’organiser le processus électoral dans des conditions assurant la sincérité du scrutin (négociation du protocole d’accord préélectoral éventuellement à distance, possibilité pour les candidats de faire campagne à distance, possibilité pour les salariés de voter). S’il estime que ces conditions ne sont pas réunies, l’employeur peut aussi envisager de reporter exceptionnellement les élections. Il faut alors renégocier le PAP pour fixer la nouvelle date du scrutin et proroger les mandats en cours. En cas d’échec des négociations, l’employeur peut décider unilatéralement.
Malgré la crise sanitaire, la disparition des CHSCT a fait que la protection de la santé et la sécurité au travail ont été reléguées au second plan. C’est pourquoi FO revendique qu’une structure dédiée à ces questions, et dotée de la personnalité morale ainsi que de moyens, soit rendue obligatoire dans toutes les entreprises dès 50 salariés.
Pour améliorer la proximité des élus avec le terrain, et lutter contre la centralisation des IRP, FO demande à recréer une représentation de terrain. Il faut aussi réassocier les suppléants et les impliquer vraiment, d’autant plus en temps de crise sanitaire. Comme ils n’ont pas le droit de participer aux réunions, ils sont isolés et sans connaissances
, déplore Karen Gournay.
Elle s’inquiète aussi de l’impact de la crise sur les budgets du CSE, calculés sur la base de la masse salariale. Dans les entreprises qui ont eu recours à l’activité partielle, les moyens ont été très amputés.
Plus globalement, elle estime qu’il est urgent de redonner au CSE tous les moyens adaptés à l’exercice de ses attributions, par l’augmentation des heures de délégation et du nombre de sièges. C’était notamment l’objet d’un courrier que FO, avec les autres confédérations syndicales, avait adressé le 14 octobre 2020 au Premier ministre.
C. J.
Le CSE à l’heure numérique : Une journée FO pour informer les élus
L es outils numériques ont été au cœur des discussions de la traditionnelle journée confédérale des CSE, qui s’est tenue le 11 mai en présentiel pour les intervenants et en distanciel pour les 102 inscrits, en raison du contexte sanitaire. Cette journée, intitulée Le CSE 3.0 : vers une nouvelle ère ?
, visait à donner aux militants des conseils pratiques et des outils pour mieux faire face à la montée inévitable du numérique dans le fonctionnement du CSE.
En effet, avec la crise sanitaire, les discussions en distanciel et la dématérialisation se sont rapidement imposées dans le monde professionnel, y compris pour permettre aux élus du CSE d’exercer leur mandat et de représenter les salariés de leur entreprise. Mais au-delà du contexte temporaire de pandémie, cette intrusion du numérique dans le fonctionnement du CSE pourrait devenir pérenne et ainsi faire entrer cette instance dans une nouvelle ère
, analyse Karen Gournay, secrétaire confédérale FO chargée de la négociation collective.
Négocier des contreparties
Deux tables rondes étaient organisées, réunissant enseignants-chercheurs, sociologue du travail, militants syndicaux… La première discussion était consacrée aux outils quotidiens (communication et propagande, activités sociales et culturelles…) et la seconde à l’utilisation des outils numériques dans les rapports avec l’employeur (outils d’information-consultation du CSE, formation des élus).
La mise en place des outils numériques arrange les employeurs, ils peuvent notamment faire des économies sur les frais d’hébergement ou de transport des élus convoqués aux réunions,