Dans l’assiette du coureur cycliste

Tour de France

« Le coup de fringale ». Principal ennemi du cycliste, pour l’éviter il faut s’alimenter tout au long de la course. © MARTIN HUBER/EXPA/PRESSE SPORTS

Sur le Tour, les coureurs font du vélo. Et ils mangent aussi, énormément même. Mais dans le plus grand contrôle. Explications avec le staff de l’équipe AG2R La Mondiale.

C’est l’ennemi du cycliste : le « coup de fringale ». Au plus mauvais moment, alors qu’on sent la victoire approcher, d’un coup les jambes flanchent, la force vient à manquer, la vue se brouille. Plus de sucre, plus d’énergie, plus rien : adieu les rêves de succès. Cet ennemi, tous les cyclistes, ceux du Tour comme ceux du dimanche le connaissent. Tous savent aussi comment l’éviter : il faut s’alimenter.

Les besoins énergétiques des coureurs sont gigantesques. Sur une étape du Tour de France, on estime qu’ils brûlent entre 4 000 et 6 000 calories, quand l’apport énergétique d’un homme adulte normal est estimé à 2 500 calories par jour… Manger est donc essentiel, mais aussi risqué : cela peut faire plus de mal que de bien lorsque l’on est sur le vélo. Dans ce domaine, rien n’est donc laissé au hasard et l’alimentation est suivie de très près au sein de chacune des équipes professionnelles. Pour éviter les fringales, donc, mais avant tout pour optimiser la performance, tout au long de l’année.

À en croire Éric Bouvat, le responsable médical de la formation AG2R La Mondiale, l’alimentation est même un facteur de performance très important chez un cycliste. Mais il prévient : Ce que mangent nos coureurs pendant le Tour est une suite logique de ce qui précède pendant l’année. Ils sont dans un état physique maximal, avec un minimum de graisse ; ils se sont entraînés à manger bien pour obtenir un rapport poids-puissance optimal, qui leur a fait perdre de la graisse et gagner du muscle. Le plus important, c’est en fait l’hygiène de vie de tous les jours… Preuve que le sujet est pris très au sérieux par les équipes pro en général et par l’équipe de Romain Bardet en particulier, trois métiers différents sont consacrés à l’alimentation des coureurs au sein du staff : le médecin Éric Bouvat, donc, mais aussi la diététicienne Véronique Rousseau et le chef cuisinier Laurent Gras. Trois pivots essentiels pour que ce que mangent les coureurs sur la Grande Boucle ait un sens.

Un casse-tête quotidien au service de la performance 

La musette remplie de sandwiches et de bidons pleins de riz gluant, la plâtrée de pâtes au petit déjeuner… On l’aura compris, ces clichés ne sont plus vraiment d’actualité. Certains principes fondamentaux restent, évidemment : les besoins énergétiques des coureurs sont gigantesques et passent avant tout par les sucres lents, donc le riz et les pâtes. Cela reste des éléments incontournables, reconnaît Éric Bouvat. Mais tout dépend de quelle quantité vous en mangez et à quelle heure. Manger deux assiettes de pâtes, c’est comme mettre 80 litres d’essence dans un réservoir de 50 litres : ce qu’il y a en trop ne va pas devenir de l’énergie en stock, mais de la graisse.

Alors, à quoi ressemblent les repas des coureurs ? Avant tout à un défi pour le cuisinier d’AG2R Laurent Gras : Pendant trois semaines, il faut cuisiner sans un gramme de beurre ! Il faut être astucieux pour proposer des plats dénués de matières grasses animales, travailler sur des cuissons différentes… Il faut aussi éviter les légumes difficiles à digérer comme les choux ou les brocolis. Un casse-tête quotidien au service de la performance, résume le chef : Notre cahier des charges est simple, il y a deux objectifs : l’apport nutritionnel nécessaire au coureur, et donner envie à quelqu’un qui a fait cinq ou six heures de vélo et qui va remettre ça le lendemain de manger, qu’il y trouve du plaisir. 

indispensable : s’alimenter en permanence et boire

Pas toujours évident lorsqu’on mange… tout le temps. Pendant le Tour, l’alimentation du coureur est permanente. Au petit déjeuner, il faut des féculents, « principalement du riz », de quoi faire des stocks de sucres lents sans s’alourdir. Pendant la course, il faut aussi beaucoup manger : Des glucides et des féculents, comme des gâteaux de riz ou de semoule aromatisés aux fruits secs, à la noix de coco, que l’on met dans les musettes, détaille Laurent Gras. Cela passe aussi par la boisson, il faut boire en moyenne un litre par heure de course, complète Éric Bouvat : de l’eau avec éventuellement des sels minéraux, ou du sirop, ou des boissons énergétiques, selon ce que les coureurs arrivent à digérer. Car la digestion sur un vélo, ce n’est pas forcément évident, surtout lorsque vous devez grimper quatre cols… Le liquide permet d’absorber du sucre aussi, encore faut-il que l’estomac le supporte, ajoute le médecin d’AG2R La Mondiale. Évidemment, selon que le programme du jour est 200 kilomètres dans les Alpes ou 10 bornes de contre-la-montre, les doses sont aménagées.

Une fois la ligne d’arrivée franchie, rebelote : dans le car qui ramène les coureurs à l’hôtel, c’est la collation. Il faut déjà bien s’hydrater, puis reprendre des glucides et des protéines sous forme d’alimentation naturelle pour optimiser la récupération, explique Véronique Rousseau ; soit une salade de légumineuses – lentilles, quinoa – avec des protéines comme du thon ou des sardines, ou des pommes de terre vapeur avec un peu de jambon sans nitrate… énonce Laurent Gras. Sans oublier des sucres rapides : un gâteau de riz ou une panna cotta. Arrivés à l’hôtel, pour les coureurs c’est la douche, le massage, un peu de décontraction et… le dîner : Des crudités, des protéines avec du poisson ou de la viande blanche, parfois même de la viande rouge… Avec des légumes cuits, des pâtes ou du riz. Puis un petit laitage pas gras, des fruits secs ou une madeleine… toujours sans beurre !

L’enjeu, c’est bien sûr que ces menus sur mesure ne soient pas vécus comme une contrainte. Il faut que ce soit bien, mais aussi bon à manger, sinon le coureur n’adhérera pas, résume Véronique Rousseau. Son rôle en tant que diététicienne est d’ailleurs de surveiller la qualité des produits utilisés en cuisine et d’accompagner individuellement les coureurs pour les sensibiliser, mais aussi les écouter, associer au suivi scientifique de leur alimentation des choses qu’ils aiment pour qu’ils respectent les principes établis plus facilement. C’est beaucoup de formation, d’éducation, assure-t-elle. On y va touche par touche. On est à l’écoute du coureur, on s’adapte, même si ce n’est pas lui qui décide, reprend le chef Laurent Gras. L’aval médical est obligatoire : en cuisine, notre rôle n’est pas de gérer la diététique de l’équipe et des coureurs, mais de l’appliquer. Et Éric Bouvat d’expliquer que nutrition ne veut pas dire diététique : on n’interdit pas. On a un cuisinier, une diététicienne, un camion cuisine qui suit l’équipe sur le Tour de France… On ne contrôle pas les coureurs, mais on leur apporte un encadrement pour les aider à ne pas dérailler. Et à carburer sur le vélo.