Dans la manifestation parisienne du 9 janvier : « le gouvernement ne bouge pas, alors je suis là »

Actualités par Evelyne Salamero

Toujours là et toujours aussi nombreux. Des centaines de milliers de travailleurs, jeunes et moins jeunes, hommes, femmes, du public et du privé, ont de nouveau défilé hier dans toute la France. Ils l’ont fait avec une détermination intacte, voire plus forte encore qu’au début du mouvement, comme en témoignent ces paroles recueillies dans le cortège FO parisien.

Ils sont là, en grève pour la plupart. Coude à coude, public, privé, jeunes et moins jeunes. Ils attendent patiemment, mais bruyamment car « il faut se faire entendre coûte que coûte », que le cortège démarre.

Ils attendront plus de trois heures, tant la foule est dense. Sous les ballons et banderoles FO de cette manifestation parisienne, les slogans ne cessent pas : « La clause du grand père, on n’en veut pas, la clause de la grand-mère on n’en veut pas non plus ! » ou encore ce grand classique « La retraite elle est à nous, on s’est battu pour la gagner, on se battra pour la garder ! » Aucune lassitude, aucun découragement, bien au contraire… Tous et toutes expliquent volontiers les raisons de leur présence.

Corinne, Patricia et Gaëlle, agents communaux à Villepinte, manifestent pour la première fois depuis le 5 décembre. Patricia explique : « on était déjà d’accord depuis le début, mais maintenant on voit que le gouvernement ne bouge pas, que son projet est toujours là, alors il faut être encore plus nombreux. Là, on en a marre ! La retraite à points, on n’en veut pas. Moi je suis née en 1985, je vais travailler jusqu’à quel âge ? Je vais mourir au travail ? Et les plus jeunes, on va leur laisser quoi ? ”

« Enlever l’âge pivot ne suffira pas »

Cheminote à Paris Saint-Lazare, Emilie n’a pas fait grève tous les jours depuis le 5 décembre : « j’ai trois enfants, c’est compliqué pour moi financièrement mais je me débrouille pour en faire le maximum et être là aujourd’hui c’est important pour bien montrer qu’on tient bon. »

Agent RATP, Naïma, n’était pas non plus présente aux précédentes manifestations : « On entend dire que le grève perd de l’ampleur alors que ce n’est pas vrai, c’est pour ça que je tenais à être là aujourd’hui, pour montrer que nous sommes nombreux. Ce projet, le gouvernement doit le retirer. Enlever l’âge pivot ne suffira pas, parce que partir avec 1000 euros ou moins en fonction de combien de points on aura, ce n’est pas possible.”

Mélanie et Anne sont aides-soignantes et Delphine est infirmière. Elles travaillent toutes les trois dans un service de réanimation chirurgicale. Elles ont 27, 38 et 44 ans. Mélanie n’a pas pu être dans les précédentes manifestations car son compagnon est cheminot et gréviste aussi, « alors on se relaie pour pouvoir garder les enfants. »

« On a très bien compris que nous, les femmes à temps partiel, nous y perdrons aussi »

Déjà en grève depuis plusieurs mois contre le manque d’effectifs et de lits dans les hôpitaux, les trois jeunes femmes n’en sont plus à un combat près. « Nous, on veut garder le même système de retraite. Aujourd’hui en tant qu’aides-soignantes, on est en catégorie active, ce qui nous permet de partir à 57 ans. Maintenant, il faudrait partir au mieux à 62 ans, au pire à 64 ans ! je n’imagine aucune de mes collègues travailler jusqu’à à 62 ans au poste où on travaille. A moins de 40ans, on a déjà des problèmes de dos ! En plus, notre pension serait calculée sur l’ensemble de la carrière. Quand on voit le niveau de nos salaires ! Ca fait 20 ans que je travaille à l’hôpital et comme je travaille à 80 % en ce moment pour m’occuper de mon deuxième enfant qui a deux ans, je gagne 1400 euros nets. »

Mélanie renchérit : « Je travaille aussi à temps partiel, pour m’occuper de mes enfants. Et on a très bien compris qu’avec cette réforme, nous, les femmes en contrat à temps partiel, y perdrons aussi puisque nous aurons moins de points. »

Delphine travaille depuis l’âge de 29 ans, après trois ans et demi d’études en école d’infirmière. « Je suis donc partie pour travailler jusqu’à 70 ans. A 44 ans, j’ai déjà des hernies discales, j’ai essayé d’avoir un poste aménagé, il n’y a pas moyen. On travaille 12 heures d’affilée. Une semaine sur deux on fait soixante-dix heures. En plus de la fatigue physique, il y a le stress, parce qu’on a des vies entre nos mains ! Et ca, je crois qu’ils ne le comprennent pas ! »

« Nous, dans le privé on tient à être là, même si c’est parfois difficile »

A leur côté, tenant la même banderole, Nicolas, secrétaire du syndicat des personnels de l’assurance et de l’assistance, dans les Hauts de Seine prend la parole à son tour : « Nous sommes venus à plusieurs et de plusieurs entreprises. Nous sommes pour la plupart en grève depuis le 5 décembre, parce qu’on a constaté que les grèves saute-moutons n’ont rien apporté. On veut absolument que ce projet soit retiré parce que c’est un appauvrissement généralisé qui se prépare. Pour l’instant, nous avons le seuil le plus bas de l’Union européenne de personnes âgées en dessous du seuil de pauvreté mais, si cette réforme passe on va grimper au même niveau que la Suède ou l’Allemagne. C’est pour cela que nous, dans le privé, on tient à être là, même si c’est parfois difficile de se mettre en grève. »

Tout le monde serait impacté !

Un peu plus loin, Evelyne, déléguée syndicale centrale chez Essilor (métallurgie) exprime la même volonté : « Je suis là aujourd’hui, parce que c’est important que le secteur privé soit aussi dans le mouvement. On voit beaucoup le public, mais nous sommes tous concernés. J’ai 55 ans, et un fils et de 27 ans et un petit fils de six, c’est aussi pour eux que je suis là. Nous voulons le retrait de ce projet, pour pouvoir rediscuter, pour que tout soit remis sur la table. J’insiste aussi sur le fait qu’il n’y a pas que le problème de l’âge pivot. Le système de points entraînerait beaucoup de perte pour beaucoup de monde, quelle que soit la génération. En plus la pension va être calculée sur toute la carrière et non plus sur les 25 meilleures années. Tout le monde serait impacté ! »

"Je suis prête à tenir le temps qu’il faudra"

Annabelle, 43 ans, cheminote, commerciale en gare, résume les choses très simplement : « Faudrait avoir cotisé toute sa vie au Smic pour avoir 1000 euros ? Mais moi j’ai démarré ma carrière en contrat de qualification. Aujourd’hui je suis agent de maîtrise, donc, non, je ne veux pas que ma pension soit calculée sur l’ensemble de ma carrière, sinon forcément j’y perdrais et je ne veux pas être obligée de glaner les poubelles pour survivre. Je suis prête à tenir le temps qu’il faudra, on n’a pas fait plus de trente jours de grève pour rien, c’est fini on ne peut plus revenir en arrière. »

Gwenaelle, enseignante, 42 ans, professeur d’arts plastiques, dessine la statue de la République sur un bloc-notes, en attendant que le cortège démarre. Sans lâcher son croquis, elle explique très calmement : « Je suis toujours là aujourd’hui parce que je ne vois aucun progrès. Les seules annonces du gouvernement ne sont absolument pas claires et ne donnent absolument aucune garantie sur notre pension. Je suis contre le principe de la retraite à points. Je m’attends à travailler jusqu’à 70 ans, parce qu’il va y avoir d’autres textes, je pense que c’est le début d’un processus qui ne va faire qu’empirer. »

Quant aux compensations financières promises par le gouvernement aux enseignants, elle en sourirait presque : « Je crois que les profs savent compter ! Je ne pense pas que l’État va aujourd’hui investir massivement des milliards alors que le point d’indice est gelé depuis que j’enseigne et cela fait plus de quinze ans. IL n’y a aucune raison de penser qu’on va être augmenté de manière significative, je dis bien significative. Augmenter massivement les profs serait contraire à la politique d’austérité du gouvernement, donc ce serait incohérent. »

F.BLANC
F.BLANC
F.BLANC

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante