La pénibilité, grande absente de la réforme des retraites

InFO militante par Thierry Bouvines, L’inFO militante

© Sébastien ORTOLA/REA
Article publié dans l’action Réforme des retraites, FO dit stop !

Faute d’effectifs et d’une véritable prévention des risques professionnels, les conditions de travail des salariés de la santé privée se dégradent, témoigne Franck Houlgatte, secrétaire général de l’union nationale des syndicats FO de ce secteur. Un décalage de l’âge de départ à la retraite ne fera qu’accentuer les phénomènes d’éviction des salariés âgés et de report de la pénibilité sur les jeunes.

Les conditions de travail des salariés âgés sont dans l’angle mort de la réforme des retraites et pas prêtes d’en sortir. Et pour cause : C’est une réforme financière dont l’objectif est de réduire le montant des pensions, explique Franck Houlgatte, secrétaire général de l’union nationale des syndicats FO de la santé privée, à l’occasion d’un webinaire organisé le 9 février par le media Miroir social sur les conditions de travail des seniors.

Les trois quarts des professionnels de santé n’iront pas jusqu’à 64 ans, indique le militant. Or, s’ils n’ont pas validé tous les trimestres nécessaires, leur pension sera réduite à proportion. C’est que qu’il risque d’arriver si le départ à la retraite est retardé et d’autant plus sans rien changer aux conditions actuelles de travail des salariés occupant des métiers pénibles. Des conditions de travail dont la réforme fait fi.

Dans le secteur de la santé privée, la pénibilité est physique, lorsqu’il faut par exemple relever un patient obèse qui est tombé à terre dans sa chambre la nuit alors qu’il n’y a plus que deux salariés présents, mais qu’ils ne peuvent pas utiliser le lève-personne parce qu’il ne passe pas la porte, et qu’il leur faut alors tirer le patient hors de la chambre pour l’emmener jusqu’au lève-personne, raconte Franck Houlgatte à partir de l’expérience de collègues. Dans cette situation, les salariés cumulent plusieurs risques physiques : l’effort mais aussi le travail en horaires décalés. Et il faut ajouter la charge psychologique que représente le fait de ne pouvoir s’occuper d’un patient comme il le faudrait.

Report de la pénibilité sur les jeunes

Conséquence d’un manque de prévention, les salariés de plus de 50 ans sont plus nombreux à développer des maladies professionnelles. Ainsi, une sur deux concerne un senior. Et à 67% elles concernent cette population lorsque la maladie s’accompagne d’une incapacité permanente ; 95% lorsqu’elle provoque un décès, selon une étude de l’assurance maladie de 2019. En revanche, les seniors sont moins touchés par les accidents du travail. Pour autant, cela ne porte pas à la satisfaction. Le taux d’invalidité dans la santé privée est supérieur à celui du bâtiment, rappelle Franck Houlgatte. Ces mauvaises conditions de travail enclenchent un cercle vicieux : De moins en moins de personnes veulent travailler dans nos métiers, cela augmente la charge de travail des salariés en poste, ce qui génère des arrêts de travail, développe Franck Houlgatte.

Les seniors sont de moins en moins présents dans les métiers pénibles parce qu’ils ne sont pas soutenables, explique Julie Bertin, consultante santé au travail chez Tandem Expertise au cours du même webinaire. Pour autant, ces métiers demeurent et leur pénibilité aussi, faute d’un vrai travail de prévention. Il en résulte que la pénibilité est reportée sur les jeunes, explique la consultante. Elle signale une étude de l’assurance maladie qui montre que les seniors sont moins touchés par une hernie discale causée par des ports de charges lourdes (3,3%) que les jeunes (6,2%).

La réforme des retraites fait l’impasse sur la prévention

Il arrive alors que la déclaration d’inaptitude soit la seule solution. C’est en fait une protection pour le salarié, qui conserve ainsi ses droits sociaux. La décision est prise par le médecin du travail en accord avec le salarié. Certains salariés n’ont d’autre choix que de tenter d’obtenir une invalidité ou de se mettre en arrêt maladie ; beaucoup de salariés de plus de 55 ans sont en arrêt de longue durée, indique Franck Houlgatte. La décision de quitter son emploi peut aussi relever d’un choix éthique. J’ai connu un professionnel de santé qui a préféré se reconvertir en scaphandrier ! tant il lui était devenu difficile de ne pas pouvoir apporter à ses patients les soins qu’ils méritent, faute de temps et de moyens, témoigne le secrétaire général de l‘Union FO.

Pour Julie Bertin, la réforme voulue par le gouvernement ne changera pas cette situation puisque qu’elle ne prévoit aucune mesure de prévention primaire visant à réduire les facteurs de risques. Les quatre critères de pénibilité écartés en 2017 par le gouvernement (manutention de charges ; postures pénibles ; exposition aux vibrations et aux agents chimiques) n’ont jamais été réintroduits, malgré des demandes syndicales. Et il a fallu attendre deux amendements parlementaires pour que la question des conditions de travail revienne dans le débat sur les retraites, signale la consultante.

Au sein des établissements de santé, les employeurs ont quand même pris quelques dispositions, mais elles sont inefficaces. Et pour cause. Les seniors ont la possibilité d’alléger leur temps de travail mais en contrepartie d’une baisse de leur salaire, explique Franck Houlgatte. Seuls ceux qui peuvent se le permettre y recourent. Or près de la moitié des salariés gagnent -hors primes- moins que le Smic ; le dispositif est donc sous-utilisé. Quant aux formations aux bonnes postures, elles ne servent pas à grand-chose tant qu’on manque de personnel. Pour lui, la solution relative aux conditions de travail passe donc par des embauches. Mais le secteur non-lucratif, qui dépend des financements de la Sécurité sociale, est sous-doté ; et dans le privé lucratif, c’est la course au profit.

Thierry Bouvines

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération